Le saviez-vous ? 2010 marque le quarantième anniversaire de la naissance du Mouvement de Libération de la Femme (MLF)... Juliette Joste, éditrice, et Valérie Ganne, journaliste ont voulu, avec l'aide de l'illustratrice Virginie Berthemet, marquer cet événement par un petit livre retraçant avec humour les grands combats et les faits marquants de l'évolution de la situation, de la place, de l'image de la femme dans notre société.
Elles l'ont intitulé 'Merci les filles', en hommage aux femmes de la génération MLF, dont elles-mêmes se disent les héritières. Toutpourlesfemmes.com les a interviewées. Alors, heureuses les filles ? Tout au long de la semaine, Toutpourlesfemmes publiera des extraits de cet ouvrage drôle et intelligent.
Pourquoi un livre sur l'histoire du MLF ? Vous vous sentez féministe ?
Juliette Joste : en fait j'ai toujours méprisé le féminisme. Bon j'y vais un peu fort là... Mais clairement, comme à peu près toutes les femmes de ma génération en France, j'ai vécu sur ses acquis en portant un regard condescendant et attendri sur ce mouvement. J'ai vécu aux Etats-Unis voici environ 20 ans. J'ai assisté là-bas à ce que je voyais comme une guerre des sexes ridicule. Bref le féminisme c'était ringard et excessif. Puis, à l'approche de la quarantaine, je m'y suis intéressée. J'ai interviewé Antoinette Fouque pour la Revue XXI il y a un an. J'ai alors découvert que l'histoire du MLF est avant tout drôle, jubilatoire. Ses militantes se sont vraiment éclatées.
En me penchant sur la question j'ai réalisé que le féminisme a été beaucoup ridiculisé, alors qu'il fait partie intégrante de l'histoire contemporaine et qu'il a apporté beaucoup de progrès sociaux et humains. En éditant ce livre-hommage un peu décalé et drôle, nous avons voulu montrer que le mot « féministe » n'est pas une insulte, qu'on peut en parler autrement que sur un ton sarcastique et que c'est loin d'être un combat dépassé. Aujourd'hui quand j'entends le terme “féminisme”, je pense d'abord à la caissière de la supérette du quartier, mère célibataire, salariée à temps partiel, travaillant en horaires décalés et habitant la banlieue. Pour elle il reste beaucoup à faire.
Valérie Ganne : Avant, je n'étais ni militante ni féministe. Jusqu'à la naissance de mes enfants je ne pensais pas qu'il existait des différences entre les hommes et les femmes dans la vie sociale et professionnelle. Ca a changé quand je suis devenue mère. Là, j'ai senti la différence ! Et puis Juliette m'a proposé de faire ce livre avec elle. J'ai accepté car le sujet m'intéressait. Femme de 40 ans, mère, active, j'étais concernée. Dans le même temps, je n'avais pas d'a priori, je pouvais donc apporter un regard neuf : journaliste, je n'ai même jamais écrit pour la presse féminine, c'est dire.
Pourquoi Wonder Woman en couverture ?
Juliette Joste : J'ai Che Guevara sur mon sac, c'est du même ressort, une référence qu'on espère drôle.
Valérie Ganne : C'est un clin d'œ,il aux années 40 et aux féministes anglo-saxonnes de cette époque, et aussi à toutes ces “superwomen” d'aujourd'hui, héroïnes du quotidien. On s'est battues pour cette couverture, certains la trouvaient trop agressive. Mais ce n'est pas une image antimasculine du tout.
Vous écrivez en page 6 : «Le féminisme serait-il ringard ?» Qu'en pensez-vous ?
Juliette Joste : Je crois que oui et c'est dommage...
Valérie Ganne : Je ne crois vraiment pas. Une certaine forme de féminisme est devenue ringarde, oui. Mais aujourd'hui les associations regroupent des filles très jeunes et très combatives, qui sont par exemple montées au créneau contre le gel des crédits du planning familial. Elles ont obtenu le report de ces mesures.
Dans le chapitre «Ménage à deux», vous écrivez : «Faites des études supérieures. Plus les femmes sont diplômées et bien rémunérées, plus la répartition des tâches dans le couple est équitable. C'est pourtant simple !» Vous croyez vraiment que les profs agrégés d'université, par exemple, font le ménage et la vaisselle ?
Juliette Joste : Evidemment c'est du second degré. Mais l'instruction c'est le pouvoir. L'égalité passe forcément par là.
Valérie Ganne : C'est vrai que plus le niveau d'instruction est élevé plus les couples partagent les tâches. Je me suis beaucoup amusée à écrire cet article. Le sujet est battu et rebattu, ça reste un point noir et je voulais tourner ça sur un mode humoristique.
Page 6 vous écrivez : «Nous avons eu envie de raconter les grands moments de cette aventure, ses émotions et ses surprises, ses tournants et ses reculs.» Vous donnez un peu l'impression que, sur le fond, rien n'a bougé ?
Juliette Joste : Le féminisme est un échec en ce sens qu'il n'a pas su communiquer. Le MLF a perdu la bataille de l'image, alors qu'il a remporté des victoires décisives. A l'inverse, les soixante-huitards ont réussi à créer un mythe pour conquérir et garder le pouvoir.
Valérie Ganne : Par “surprises”, je fais allusion aux moyens d'expression des féministes, qui ont toujours beaucoup utilisé l'humour. Par exemple, Louise Weiss dans les années 30 faisait voter des femmes dans des cartons à chapeaux ! Les “tournants” font référence aux grandes victoires, et les “reculs” aux retours en arrière qui ont souvent suivi les progrès, car pour que les choses avancent vraiment il faut parfois qu'elles reculent, comme les marées...
La double page sur la fille qui enlève le bas dans un bouquin féministe, c'est fait exprès ?
Juliette Joste : C'est une pub culte pour notre génération, elle a marqué son époque ! Je ne trouve pas ça antiféministe. Ca m'agace, les puritaines qui montent au créneau dès qu'on voit une femme dénudée. On a le droit d'être sexy et féministe, on peut être libérée et porter des talons aiguilles.
Valérie Ganne : Au-delà de l'histoire du féminisme, Merci les filles est un livre sur les mouvements de société d'une époque. Cette publicité est à double tranchant : elle montre à la fois une femme triomphante, fière de son corps, et une femme-objet. Elle est représentative de l'évolution de la condition féminine. Elle annonce bien les années 80. On a aussi fait une double page sur les pubs machistes. On aurait pu en faire une sur les pubs féministes...
J'ai été surprise de voir la Mère Denis quasiment transformée en icône du MLF ?...
Juliette Joste : Elle est devenue une star dans le milieu des années 70. En 1975, c'est le triomphe du MLF... et de la Mère Denis sur les écrans de télévision... marrant non ? Cette image traditionnelle rassure une France effrayée par tous ces changements. On rejoint l'idée de Valérie : pour que ça avance, il faut que ça recule. La Mère Denis témoigne aussi d'une époque qui savait encore rire de soi. C'est plus difficile aujourd'hui, au nom du politiquement correct.
Valérie Ganne : C'était un clin d'œ,il en forme de provocation, histoire de faire réagir. Je suis d'accord avec Juliette, je reviens au mouvement de marée...
Dans le chapitre sur le “plafond de verre”, vous parlez de la loi de 2010, qui impose un quota de 40 % de femmes à la tête de 350 entreprises cotées en bourse. Cette loi prévoit en 2016 la nullité des nominations et délibérations dans les entreprises réfractaires. Vous croyez VRAIMENT à l'efficacité de telles mesures ?
Juliette Joste : Evidemment non, d'autant que beaucoup de lois ne sont pas appliquées. Mais ça crée un effet d'annonce.
Valérie Ganne : Evidemment ce n'est pas très applicable, mais l'adoption de telles lois témoigne d'une volonté de changement. En Norvège ça a marché, au point que le quota de 40 % est dépassé : les cabinets de chasseurs de tête traquent maintenant les “golden skirts”, jupes dorées, c'est-à-dire les femmes à fort potentiel.
A la fin du livre vous donnez la parole aux hommes. Ils sont plutôt sévères. Vous avez dû en prendre plein la figure ?
Juliette Joste : Oui mais on s'y attendait...
Valérie Ganne : C'était prévisible. Nous avons voulu interroger des hommes de différentes générations, hétérosexuels et homosexuels. Un homme 20 et un autre de 70 ans disent en substance la même chose : ils distinguent les féministes dogmatiques et agressives de celles qui se battent vraiment pour plus de justice et d'égalité...
Vous ne citez pas la Journée internationale de la femme créée par l'ONU, ce n'est pas assez MLF ?
Juliette Joste : Euh... on ne cite pas la Journée de la femme ? C'est vrai, je trouve ça institutionnel, convenu, tristounet... Ce jour-là mon Franprix m'offre une rose : j'en veux pas !!
Valérie Ganne : Ce n'est pas un livre sur le MLF mais plus largement sur le féminisme. Ceci dit, le MLF était contre le principe car, pour elles, c'est un échec : la Journée de la femme ça devrait être tous les jours ! Mais aujourd'hui, les nouvelles associations féministes se manifestent ce jour-là.
En 2010, à l'heure où une loi est votée pour interdire le port de la burka en France, ne pensez-vous pas que la création d'un nouveau MLF serait justifiée ?
Juliette Joste : Les “jeunes” associations féministes sont très actives. C'est le cas notamment d'“Osez le féminisme”. Elles savent très bien communiquer et utiliser les outils d'aujourd'hui, comme Facebook. Elles ont organisé récemment une campagne d'affichage sauvage qui mettait le doigt sur certaines injustices criantes. Exemple : «Comment appelle-t-on un salarié payé 25 % de moins ? Réponse : unE salariéE.» Je crois qu'elles prennent très bien la relève.
Valérie Ganne : Je ne crois pas trop aujourd'hui en un mouvement unique où les querelles de personnes et d'appareil domineraient très vite. Je crois à la diversité des mouvements féministes, à leur réalisme et aux actions de terrains.
Lire aussi
- Simone de Beauvoir, le choc du 'deuxième sexe'
- Louise Bourgeois, Niki de Saint Phalle, Annette Messager : le pavé dans l'art
- Ouvrières chez Lip, 1973
Tout ce qu'il faut savoir sur le féminisme pour être ravissante et pas idiote
--Par Juliette Joste et Valérie Ganne
--Illustrations : Virginie Berthemet
--Editions Hors Collection, 2010, 16 €
Par
Ajouter un commentaire