Irène Frain, coprésidente du Festival de la Biographie de Nîmes

Journaliste, historienne, auteure à succès, Irène Frain copréside Le Festival de la Biographie de Nîmes 2010 qui se tient autour du thème 'L'intime : sous l'oeil du biographe', du 29 au 31 janvier prochains. Elle nous parle de la biographie et de l'autobiographie.


Copyright François Frain


- Que signifie le mot 'intime', pour l'auteure et, plus généralement, pour la femme que vous êtes ?

C'est un mot capital, car c'est là, au coeur de l'être et de son secret, que naît l'acte littéraire. Se sentir seul, singulier, unique, et cependant s'approprier le mot, pour communiquer à l'autre ce qu'on a commencé par croire incommunicable...

- Peut-on tout dire dans une biographie, a fortiori dans une autobiographie ?

Les deux genres, à mon sens, sont très différents. La biographie relève de l'investigation historique. Donc on doit pouvoir tout dire. Ce qui pose souvent nombre de problèmes quand les proches de la personne dont on fait la biographie sont vivants —, la vérité risque toujours de blesser. Et a fortiori quand l' “objet” même de la biographie est vivant. J'imagine que c'est une grande difficulté humaine que de se voir transformer en objet d'écriture et d'investigation...C'est d'ailleurs pourquoi j'éprouve toujours, en tant que lectrice, les plus grandes réserves devant les “ biographies autorisées”. Je ressens la même gêne que devant un portrait de star qu'on sait minutieusement retouché par Photoshop. Même si la démarche est bien compréhensible...En fait, la biographie est l'ennemi le plus sûr, et parfois le plus perfide, du narcissisme.

- Et en ce qui concerne l'autobiographie ?

L'autobiographie, elle, entretient avec le narcissisme des rapports infiniment plus complexes. “Tout dire,” de toute façon, est un but impossible à atteindre dans une autobiographie. Il s'agit ici de ce que l'on peut appeler des “vérités aménagées sur le mode littéraire”. L'objet littéraire, sa conception esthétique y doivent par définition primer sur la “ révélation”. On n'est tout de même pas à rédiger le journal Voici!
Dans l'autobiographie, il faut aussi se méfier du règlement de comptes, grand ennemi de l'autobiographie ( la rancune pollue le texte ) et enfin, être très conscient que ce qu'on peut dire, notamment sur sa famille, peut suscister de véritables tsunamis émotionnels. Si on le fait — et ce peut être tout à fait légitime — il faut s'y engager en toute conscience du danger. Ne serait-ce que pour la hauteur, la tenue littéraire du texte. Car ce qui fait la qualité d'une autobiographie, comme pour tout acte littéraire, c'est la qualité du texte. Le risque pris, s'il est assumé, peut aboutir à de pures merveilles.

Et l'ego dans tout çà ?

L'ego est entièrement impliqué dans l'autobriographie. Cachez-le, il revient au galop. Se dévaloriser, s'abaisser, révéler ses petites et grandes turpitudes, ou tout simplement, se moquer de soi-même peut être une nouvelle façon de l'aimer, ce cher ego! Pour autant, cette attitude elle-même en révèle beaucoup au lecteur. Car toute autobiographie livre au lecteur celui qui l'a écrite, consciemment ou inconsciemment. Bien plus qu'ailleurs s'y vérifie l'un de mes principes les plus chers, à savoir qu'autant que l'auteur, c'est le lecteur qui fait le livre. Seule condition, bien entendu: que le lecteur se mette à l'écoute de l'auteur de l'autobiographie comme le fait l'analyste avec son patient. En ne prenant pas tout au pied de la lettre. En se mettant en quête des vérités inaperçues qui courent souvent sous ses phrases à l'insu de l'auteur. Le lecteur a toutefois une supériorité sur l'analyste: il n'est pas tenu d'être neutre et bienveillant! Il peut être parfaitement outré, choqué, écoeuré, ou au contraire bouleversé et enthousiasmé par ce qu'il découvre dans une autobiographie.

-Quelles sont les biographies qui vous ont le plus marquée, étonnée, séduite, charmée, appris, inspirée ?

On cherche toujours un exemple dans les biographies qu'on lit. Donc vous ne serez pas étonnée de savoir que je lis toutes les biographies de George Sand et de Simone de Beauvoir...La condition de la femme écrivain, en dépit des apparences, reste si peu enviable!

- Que pensez-vous de cette tendance à écrire des biographies ou des autobiographies à propos de personnes de plus en plus jeunes ?

Comme disait ma grand-mère, il faut bien faire marcher le commerce.

- Qu'est-ce qui vous a amenée à écrire un texte autobiographique comme ' La Maison de la Source' ?

Je m'en explique clairement dans le texte: à l'aube de la cinquantaine, j'ai eu besoin de faire ce “retour sur enfance”. Il était vital, pulsionnel, il s'est imposé de lui-même. Mon éditeur Claude Durand n'y croyait pas. Je me souviens que, lorsque je lui ai parlé de ce projet, il a tenté de me décourager en me disant: “ Vous allez devenir un auteur de dictées.” Bretonne comme je suis, j'ai persévéré. Résultat: plus de cent mille exemplaires vendus, toutes éditions confondues. Et un lien très fort avec mes lecteurs, qui, depuis, ne s'est jamais démenti.

- Le fait d'avoir fait, pour ce livre, un travail de mémoire, vous a-t-il permis de mieux vous comprendre vous-même, d'aborder la vie autrement ?

Je n'en sais rien, c'est aux autres de le dire. Tout ce que je sais, c'est qu'il fallait que ça arrive à ce moment-là, et que ce soit écrit comme çà.

- Quels conseils donneriez-vous à un(e) biographe ?

De n'avoir peur de rien. En plus de la curiosité et du talent d'écriture, c'est un genre qui exige ténacité et labeur. Je n'ai jamais été aussi épuisée de ma vie que lorsque j'ai écrit, avec L'Inimitable, la biographie de Cléopâtre. Le roman exige déjà une énergie colossale, mais la biographie en réclame encore plus. Surtout si on la considère, comme j'ai cherché à le faire, comme un objet de beauté, avec une langue, un rythme, un souffle rien qu'à elle...Quand ce livre a été achevé, je me suis exclamée: “ Ouf! Vivement que j'écrive un roman!”


Irène Frain copréside avec Alain Vircondelet le Festival de la Biographie de Nîmes 2010 qui se tient du 29 au 31 janvier autour du thème 'L'intime : sous l'oeil du biographe'.
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Par Nicole Salez

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