Nénette de Nicolas Philibert

Nicolas Philibert raconte son projet sur Nénette, seule orang-outan du zoo à être née dans son milieu naturel, à Bornéo. Pour lui, cela expliquerait la distance qu'elle met entre elle et les visiteurs. A voir le 31 mars 2010.



Le projet est né un peu par hasard. Ce jour-là, j'étais parti me promener à la ménagerie du Jardin des Plantes. Ça faisait des années que je n'y avais pas mis les pieds.

En entrant dans la « singerie », je suis tombé en arrêt devant la cage des orangs-outans. Quelques visiteurs commentaient bruyamment leurs moindres faits et gestes. Du haut de sa mezzanine, Nénette semblait ailleurs, mais en l'observant plus attentivement, je me suis rendu compte qu'en réalité, elle ne perdait pas une miette du spectacle que nous lui offrions, à notre insu...

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Priorité à Nénette.


L'idée du film est née à ce moment-là. Pour moi, c'était un court-métrage de quinze, vingt minutes maximum, mais dès que j'ai commencé à tourner, j'ai senti que ce dispositif en face-à-face allait me permettre de dépasser la durée initialement prévue. Ça s'est confirmé au montage. À partir de là, le film s'est développé tout seul, sans que j'aie à forcer les choses.



Je voulais filmer Nénette de manière frontale, à travers la vitre de sa cage, comme la voient les visiteurs. Capter ces moments troublants, comme suspendus, hors du temps, où elle nous regarde, elle aussi. Bien sûr, j'ai filmé un peu les trois autres, Tübo, Théodora et Tamü : ils partagent le même espace qu'elle , mais dans le film, je ne leur ai pas fait la même place. Priorité à Nénette.

Et pourtant, à première vue, c'est la plus discrète, celle qu'on remarque le moins. Elle est souvent en retrait, à demi enfouie sous la paille, dans son nid, où elle peut faire de très longues siestes. Elle s'économise, sans doute... vu son âge ! C'est aussi la seule à ne pas être née en captivité mais dans son milieu naturel, à Bornéo. Je ne sais pas si c'est lié mais elle est plus distante, elle s'approche rarement, contrairement aux trois autres qui n'hésitent pas à venir se coller à la vitre. C'est peut-être ce qui m'a plu. Cette présence lointaine, teintée d'indifférence, qui lui confère une sorte d'aura, de souveraineté ! Une façon de séduire sans chercher à séduire, de regarder le visiteur sans jamais quémander quoi que ce soit, et de lui renvoyer sa prétendue supériorité, son voyeurisme à la figure.


Technique : désunir l'image et le son


Le film repose d'un bout à l'autre sur une disjonction entre l'image et le son, de sorte qu'on voit les animaux sans jamais les entendre, et qu'on entend les humains sans jamais les voir. Il n'y a pas de contre champ. Pas d'échappée. La bande son entrelace plusieurs types de paroles : les commentaires spontanés des visiteurs qui passent - des familles, des couples, des touristes étrangers, une bande d'ados, des promeneurs solitaires, les étudiants d'une école d'art et leur prof de dessin, etc... - Mais j'ai aussi fait parler les soigneurs, en particulier les anciens : ils ont vu grandir Nénette et connaissent son histoire.



Enfin, j'ai proposé à quelques amis d'horizons divers de venir, et j'ai enregistré leurs réactions. Parmi eux, Erik Slabiac et Franck Anastasio, du groupe Les Yeux noirs, sont venus chanter un air de musique tzigane.


Captation et capture


C'est un film sur le regard, la représentation. Une métaphore du cinéma, en particulier du documentaire comme captation et comme capture , puisque filmer l'autre, c'est toujours l'emprisonner, l'enfermer dans un cadre, le figer, dans l'espace et dans le temps.

Par Laure Menanteau

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