Le mouvement COBRA (1948-1951)

L'exposition Asger Jorn au Centre Pompidou jusqu'au 11 mai 2009 est l'occasion de revenir sur le mouvement COBRA dont Asger Jorn fut un des fondateurs. COBRA, premier mouvement artistique international de l'après guerre, né en Europe. COBRA, acronyme de COpenhague, BRuxelles, Amsterdam. COBRA, mouvement fulgurant qui en tant que 'groupe' ne dura que trois ans.



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Les éclats de bombes ont à peine disparu. L'Europe valétudinaire pose un pied hors du grabat. Une nouvelle sève monte. Novembre 1948 : COBRA vrille soudain le ciel artistique avec la fulgurance d'une comète multicolore. Comme un bourgeon trop longtemps soumis à l'hiver, il éclate à partir de Copenhague (CO), de Bruxelles (BR) et d'Amsterdam (A). Son acte de naissance: une simple déclaration griffonnée sur le coin d'une table de café, entre Saint‑Michel et Saint-Germain des Près.

Une déclaration signée des peintres et poètes Dotremont, Jorn, Constant, Corneille et Appel. Ils y proclament
leur envie de travailler ensemble à un art expérimental loin de tout dogme et de toute
préoccupation théorique. Le nouveau groupe n'a pas encore de nom. Il sera baptisé quelques jours plus tard « COBRA », acronyme de COpenhague, BRuxelles, Amsterdam, révélant sa multiplicité géographique, son caractère international aussi bien que mouvant et mythique. Les artistes danois (Asger Jorn) lui apporteront la marque du primitivisme, les belges (Christian Dotremont, Pierre Alechinsky, Reinhoud) celle du surréalisme, les hollandais (Karel
Appel, Guillaume Corneille, Constant) la composante expérimentale.


La 'joie organique' de la création

C'est un début. Rapidement, COBRA se réclame de sources hétéroclites et rallie des artistes de tous bords, de tous pays, animés par la 'joie organique' de la création, éclaboussant les cimaises de sa verve plastique, iconoclaste, radieuse et grimaçante.



Avec l'émerveillement de l'enfance, la révolte insolente et joyeuse de l'adolescence, « Triste jeunesse que celle qui n'avance pas la provocation à la bouche », COBRA déboule au milieu des ruines de guerre. L'art primitif, notamment Africain, l'art populaire le fascinent.
Sa vitalité, son énergie, il ne sait comment les dépenser. Littérature, poésie, cinéma, photographie, sculpture, il est insatiable. Mais c'est d'abord par la peinture qu'il exprime son lyrisme. Au-delà du formalisme suranné du surréalisme 'historique' et de la froide abstraction, que cherche-t-il ? Un langage universel puisant aux sources les plus profondes de l'Homme. ' Les formes qui nous paraissent les plus valables participent à ces puissances cosmiques de la métamorphose où se situe la véritable aventure', déclare Jean-Michel Atlan qui a rejoint le mouvement. Asger Jorn lui fait écho : 'Il faut tenter de découvrir les formes de la réalité communes aux sens de tous les hommes.'




Briser les chaines esthétiques

Avec COBRA le corps reprend ses droits. Il se rappelle. Il est l'instrument privilégié qui permet à l'artiste d'exprimer le conte originel de l'humanité dans ce qu'il y a de plus universel. Il est une voie vers cette 'primitivité' recherchée. Au diable la forme pour la forme. 'Il y a plus de choses dans la terre d'un tableau que dans le ciel de la théorie esthétique', clament d'un même coeur le Danois Asger Jorn et le Belge Christian Dotremont. Trouver les voies qui permettent d'exprimer cette 'présence ancienne et fondamentale', briser les chaines esthétiques, sociales ou morales afin d'atteindre une culture qui mène un jour à 'la satisfaction des désirs profonds', tels sont les buts que se proposent ces joyeux compagnons artistes qui déploient leur activité 'décentralisée', à Paris, Bruxelles, Copenhague ou Amsterdam, sous prétexte de vacances sérieuses où l'art et le jeu se confondent dans des travaux collectifs. Ils n'hésitent pas à le dire : 'c'est notre désir qui fait la révolution.' COBRA trépigne d'impatience. Pourquoi perdre son temps 'à faire des gammes. Vive la spontanéité, il provoque, brocarde, se montre volontiers irrespectueux. ' Pierre Alechinsky et Reinhoud réalisent sans vergogne un 'Jésus-Lapin' fait d'os de lapin. A gauche, comme à droite il ferraille, intègre, exclut, prend parfois des aspects de véritable mouvement politique. Du reste certains de ses membres ne cachent pas leurs sympathies communistes, d'autres se disent marxistes, d'autres encore prônent le réalisme matérialiste. Le groupe se dote d'un bureau, devient 'l'organe du front international des Arts expérimentaux d'avant garde', possède ses militants, sa revue, ses théoriciens, Jorn et Dotremont, ses propagandistes... et même ses dissidents, c'est dire s'il est organisé !
Peu à peu la spontanéité diminue. On théorise un peu trop. Sur la couverture du N° 10 de la revue COBRA une 'pierre ruinique'. Au verso une simple note, 'Ce numéro est le dernier.' Le groupe se dissout. La comète s'est éloignée. Dans son sillage elle a laissé des myriades de couleurs, de formes, des oeuvres hétéroclytes. Le style de COBRA ? son 'tonus'.




Par Nicole Salez

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