Lydia Delectorskaya - Biographie

Une très belle exposition se tient tour à tour au musée départemental Matisse au Cateau-Cambrésis et au musée Matisse à Nice autour de Lydia Delectorskaya, modèle, aide d'atelier et secrétaire d'Henri Matisse pendant les vingt dernières années de la vie du peintre. Décédée en 1998, Lydia Delectorskaya aurait eu cent ans cette année. Biographie de cette femme d'exception d'origine russe.

Une enfance en Sibérie et en Mandchourie

Lydia naît à Tomsk le 23 juin 1910, en
Sibérie occidentale. Son père,
médecin, affronte les épidémies qui
déciment les populations pendant la
révolution russe. Il meurt du typhus
puis sa mère décède du choléra. En
1922, Lydia reste orpheline, elle est
recueillie par la soeur aînée de sa
mère Antonina Alexandrovna qui part
avec son mari et ses enfants, dans
une ville de l'ancienne Mandchourie,
peuplée essentiellement de russes,
Kharbin, au nord-est de la Chine. Elle
fait ses études dans un des lycées russes de la ville où elle acquiert
une éducation centrée sur la culture russe et ses valeurs
traditionnelles dont la devise était : « Devoir et courage ». En 1928,
la Mandchourie disputée entre la Chine et le Japon les obligent à
émigrer en France où elle passera sa vie. Lydia arrive à Paris, où elle
mène la vie difficile d'une émigrée russe ne parlant pas un mot de
français. Elle rêve de faire des études de médecine mais doit y
renoncer, faute d'avoir les moyens de les payer. A dix-neuf ans, elle
épouse un émigré russe beaucoup plus âgé qu'elle, Boris
Olmeltchenko et le quitte un an plus tard pour un autre russe dont elle
eut à subir sa passion du jeu.

Lydia Delectorskaya


Nice, aide puis modèle favori de Matisse : sa beauté magnifiée

Elle quitte Paris en octobre
1932 pour Nice où vivait
une importante colonie
russe, avec l'espoir de
trouver du travail. Mais les lois xénophobes de l'époque
interdisaient aux
émigrés les métiers autres que subalternes et
temporaires. Il ne lui restait
que des emplois de
figurantes pour le cinéma,
garde d'enfant ou autres
petits métiers sans contrat
de travail. C'est ainsi qu'elle fait une première expérience
désastreuse de modèle d'artistes.
Le hasard veut qu'elle trouve un travail auprès d'Henri Matisse. Le
peintre a besoin d'une aide d'atelier pour l'assister dans la réalisation
d'une immense composition sur le thème de la danse commandée
par un collectionneur américain, le Docteur Barnes. Après six mois,
Matisse a achevé le panneau et renvoie Lydia. C'est peu de temps
après que Madame Matisse pense à elle comme garde-malade et
dame de compagnie car des problèmes de dos l'obligent à rester de
longues heures alitée. Un jour où Matisse prend le thé avec son
épouse, selon son habitude, il s'intéresse à Lydia comme il ne l'avait
encore jamais fait. C'était une blonde sibérienne aux yeux bleus, à
l'opposé de ses modèles habituels majoritairement de type
méditerranéen.
C'est ainsi que Lydia posera pendant quatre années tous les jours.
Après s'être occupée chaque matin de Madame Matisse, elle pénètre
dans l'atelier de Matisse qui avait toujours besoin du modèle pour
dessiner ou peindre et qui attend avec impatience de commencer à
travailler. La matinée est consacrée à la peinture et l'après-midi au
dessin. Sa pose favorite est la tête couchée sur ses mains, les deux
bras appuyés sur le dossier d'une chaise ou d'un fauteuil.
Trois éléments sont essentiels à l'inspiration de Matisse, écrit Lydia
Delectorskaya dans son deuxième livre Contre vents et marées, « la
vie intérieure du modèle, un esprit éveillé, la parure ». « Dès la
première séance, Matisse faisait essayer à chaque nouveau modèle
qui avait éveillé son intérêt, plusieurs robes de sa réserve ».

Le troisième point fondamental était «un corps expressif,
harmonieux ».
Lydia D. répond magnifiquement à ces trois critères
qui feront naître peut-être les plus beaux dessins et peintures de
Matisse. Jamais, il ne se lassera de la dessiner et de la peindre.
Jusqu'en 1939, Matisse enchaîne les dessins et les peintures d'après
cette femme à la souplesse de danseuse, aux canons de beauté
idéale. Les lignes de son corps s'enchaînent avec une limpidité et
selon des rythmes arabesques. « Le dessin au trait est la traduction directe et la plus pure de mon émotion. (...). Ces dessins sont
générateurs de lumière »
écrit-il dans Le Point en 1939. Il travaille le
thème, en l'occurrence le corps ou le portrait du modèle, l'apprend
par coeur pour trouver son rythme particulier et le dessiner ou le
peindre en ne donnant que des coups d'oeil rapides au modèle. Il se
compare à un acrobate. Les photographies des états successifs des
peintures montrent comment il transforme une ligne ou un espace de
couleur pour donner l'ensemble de ses sensations dans un équilibre
et une tension qu'il trouve dans le modèle que fut Lydia. Le peintre
chorégraphie son modèle.

Matisse réalise les grands dessins au pinceau, aux «gouaches
découpées» et à la Chapelle de Vence : Lydia D. est
l'assistante du peintre


Après une grave opération que subit Matisse en 1941, elle devient sa
précieuse assistante. La guerre les oblige à déménager à Vence.
Lydia s'occupe de lui trouver les modèles, et de lui fournir les
conditions matérielles et les fournitures dont il a besoin pour créer.
Son rôle matériel est essentiel. Elle gère la maison, l'approvisionne,
souvent pendant la guerre dans des conditions difficiles, s'occupe de
la santé de Matisse. Elle se dévoue avec toute son énergie et assiste
le peintre jusqu'à la fin de sa vie.



Un extrême dévouement

Lydia pensait qu'après la mort de Matisse, en novembre 1954, elle
aurait quelques années de travail pour payer sa dette à son maître.
Elle estimait qu'elle avait un devoir. Il fallait qu'elle transmette tout ce
qu'elle savait du peintre. « Transmettre tout ce que je sais », Lydia
avait peur d'oublier. Elle raconta et écrivit. En réalité, jusqu'au dernier
jour, elle n'eut de cesse de confier et écrire, tout ce qu'elle savait de
son oeuvre. Elle n'eut de cesse de donner et de se dévouer comme
elle l'avait fait du temps de Matisse. Elle publie deux ouvrages
monumentaux Le premier —, ...l'apparente facilité... » Henri Matisse.
Peintures de 1935-1939»
. Adrien Maeght Editeur. Paris. 1986. Le
second livre —,Lydia Delectorskaya. Henri Matisse. Contre vents et
marées. Peintures et livres illustrés de 1939 à 1943
. Editions
Hansma, Paris, 1996.
Avec un soin méticuleux, elle fait les montages des gouaches
découpées de Matisse, à partir des éléments découpés, jusqu'à la
dernière Océanie le ciel et Océanie la mer dont elle retrouve les
différents morceaux partagés entre les descendants du peintre.
Elle devient la traductrice d'un de ses auteurs russes préférés, C. G.
Paoustovski dont elle traduit l'oeuvre complète pour les éditions
Gallimard et obtient en 1979 le prix littéraire A. M. Gorky de l'Union
des écrivains soviétiques. Elle s'adonne à une de ses passions, les
voyages. Elle va voir l'aurore boréale en Norvège, traverse les Etats-
Unis en train, visite l'Union soviétique Novgorod, Pskov,
Mikhaylovskoe, Zagorsk, Vladimir et Suzdal', sa ville natale —, Tomsk.
Elle constitue des collections de jouets en bois et en argile, de
poupées russes, serviettes brodées, céramiques de Gjel et de l'Asie
centrale. Tous ces objets personnifiaient pour elle la Russie. Enfin
dès la fin de la guerre, elle voue à Matisse une reconnaissance
qu'elle concrétise par la donation aux musées russes de Moscou et
de Saint Pétersbourg, de toutes les oeuvres de l'artiste qu'elle lui avait
achetées ou qu'il lui avait données. Elle s'intéressa aux deux musées
Matisse de Nice et du Cateau-Cambrésis qui se transformaient et se
professionnalisaient en les aidant de toutes ses possibilités.
Lydia aurait eu cent ans cette année.

Le 16 mars 1998 à l'âge de 88 ans à Paris est décédée Lydia
Nikolaevna Delectorskaya (pseudonyme littéraire —, Lydia Delt).
Comme elle le demandait dans son testament, ses cendres sont
enterrées à Pavlovsk, dans les environs de Saint-Pétersbourg, à côté
de ses proches dans « un vieux cimetière très joli ».



- Lydia D., « muse et modèle de Matisse »

- Du 28 février au 30 mai 2010 au musée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis
Palais Fénelon, Place Commandant Richez
59360 Le Cateau-Cambrésis, France -
T. +33 (0)3-27-84-64-50 / F. +33 (0)3-27-84-64-54
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Du 18 juin au 27 septembre 2010 au musée Matisse, Nice
164, avenue des Arènes de Cimiez - 06000 Nice -
T. +33 (0)4-93-53-40-53 / F. +33 (0)4-93-53-00-22
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- Exposition organisée dans le cadre de l'année France - Russie
2010
- Coproduction Musée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis et Musée Matisse, Nice
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----------------------------------------------------------------------------------------------------------------Lire également : Lydia D., « muse et modèle de Matisse »



Par Nicole Salez

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