Interview de Martine Storti, auteure de ”Je suis une femme, pourquoi pas vous ?”

Martine Storti publie « Je suis une femme, pourquoi pas vous ?' -
1974-1979. Quand je racontais le mouvement des femmes dans Libération, aux Editions Michel De Maule. Entretien avec l'auteure.



- Qu'est-ce qui vous a inspiré le titre de cet ouvrage ?

Ce titre « Je suis une femme, pourquoi pas vous ? » est un slogan du MLF

*ndlr : MLF : Mouvement de Libération des Femmes
dans les années 70. C'est donc un clin d'œ,il à cette époque-là , moment d'un MLF plein d'insolence et d'humour. J'ai hésité entre celui-là et un autre qui me plaît aussi beaucoup : « Un homme sur deux est une femme ».

- Quel est votre objectif en le publiant ?

Avant tout un objectif de transmission. Ces années 70 ne sont certes ni inconnues, ni ignorées mais elles sont aussi souvent caricaturées. Il m'a semblé que les donner à lire à travers des articles de l'époque, qui sont donc des témoignages, et presque des documents historiques, permettaient de les appréhender dans leur richesse, leur élan, sans doute aussi leur erreurs, leur diversité. Et en effet les personnes qui lisent ce livre découvrent (ou redécouvrent) une richesse qu'elles avaient oubliée ou qu'elles ignoraient. Il y a là comme la transmission d'un héritage, dire aux plus jeunes non pas « faites ce que nous avons fait » mais « voila ce que nous avons fait, tirez en les leçons pour le présent et l'avenir ».

- Vous avez débuté votre carrière en étant professeur de philosophie, qu'est-ce qui vous a fait devenir journaliste, et à Libération ?

Je n'avais pas vraiment le projet d'être journaliste, ça s'est fait un peu par hasard, j'avais quitté l'enseignement, on m'a proposé d'entrer à Libération, j'ai accepté, mais à l'époque on entrait à Libération moins pour être journaliste que pour défendre une cause, des idées, une autre manière de traiter l'information...

- Y parler des femmes, c'était un choix ?

Ah oui, tout à fait, j'avais été embauchée pour m'occuper de la rubrique « école » mais dès le début, puisque j'étais dans un journal, mon désir et mon projet étaient de parler des femmes, de leurs luttes, de leur vie, de leurs problèmes, de leurs pensées, de leurs créations, en France et autant que possible dans d'autres pays.

- Au cours de cette période à Libération, quelles ont été les évènements et les rencontres les plus marquants, les plus déterminants, pour vous jeune journaliste femme ?

Il y en a beaucoup, d'autant que j'avais la chance, presque le privilège d'avoir une activité journalistique horizontale, transversale, parlant un jour d'une manifestation de féministes, un autre d'une grève d'ouvrières, ou d'un livre, ou d'un procès pour viol, ou de la lutte des Italiennes, des Iraniennes, des Libanaises ...Faire un choix est donc très difficile. Mais enfin j'ai été marquée par le combat mené contre le viol, par ma rencontre avec la féministe américaine Kate Millett, par mon séjour en Iran en 1979, juste après le retour de Khomeiny, quand des femmes iraniennes ont manifesté leur opposition au port obligatoire du tchador. Mais encore une fois, de nombreux événements ont été, dans ces années intenses, marquants à un titre ou un autre...

- Comment avez-vous ressenti ces 5 ans à Libé ? Qu'en avez-vous retiré ?

C'était évidemment une activité d'une très grande richesse intellectuelle, humaine. La vie à Libé était à la fois exaltante et difficile, exaltante, parce que les sujets traités l'étaient, difficile parce que, au sein de l'équipe de Libération, mes positions féministes suscitaient parfois des réactions assez virulentes, c'est le cas de le dire, des hommes du journal.

- Quand avez-vous eu le sentiment que le féminisme cessait d'être un gros mot ?

On peut dire que dans la seconde moitié de la décennie 70, le féminisme marque des points. Certes, on continue à dénoncer ce que certain(e)s appellent les « exagérations » du MLF , mais de ces prétendues exagérations, les bénéfices existent. Pour ne citer que quelques exemples : vote de la loi libéralisant l'interruption volontaire de grossesse

*ndlr : Après l'élection de Valéry Giscard d'Estaing à la présidence de la République, Simone Veil est nommée ministre de la Santé. À ce poste, elle a fait adopter la « loi Veil », promulguée le 17 janvier 1975, qui libéralise l'interruption volontaire de grossesse (IVG) en France.
, dénonciation au plus haut niveau des discriminations contre les femmes, développement des collections « femmes » dans les maisons d'édition ...Cette période est celle d'une diffusion du féministe dans la société, il y a au gouvernement une secrétaire d'état à la condition féminine (ce qui est une première)

*ndlr : Alors que Valéry Giscard d'Estaing était président de la République, Françoise Giroud a été secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la Condition féminine, entre juillet 1974 et août 1976
, les femmes adhérentes des syndicats et des partis politiques se mettent à dénoncer le phallocratisme de leur organisation, des grèves de femmes se produisent dans des usines... En même temps ce féminisme là est un féminisme que les femmes du MLF considèrent comme de la récupération car s'il met en cause les discriminations, il n'est pas une remise en cause globale de la société, plutôt une lutte pour l'intégration égalitaire à l'ordre établi.

- Actuellement, voyez-vous l'émergence d'un « nouveau féminisme » ?

A l'occasion de la célébration des 40 ans du MLF, en effet, nous avons rencontré de nombreuses jeunes femmes se désignant comme féministes. Evidemment le contexte actuel n'est pas celui des années 70. Chaque génération doit prendre à bras le corps les défis et les enjeux de son temps. Mais par delà les différences, on voit bien que les aspirations sont les mêmes, celles d'une mise en acte de l'égalité des sexes et de la liberté des femmes, non de quelques-unes mais de toutes, liberté de corps et d'esprit, dans l'espace public et privé.

- Etes-vous engagée dans la défense de la cause des femmes ?

Comment ne pas être engagée dans cette « cause » ? Je le suis en étant cette année présidente de l'association « 40 ans de mouvement des femmes » , mais c'est quelque chose de ponctuel. Je pense qu'on est féministe dans sa manière d'être au monde, d'exercer une profession, d'avoir des relations avec les autres, hommes et femmes, les enfants, bref de vivre...




Par Nicole Salez

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