Paul Ranson (1861-1909), artiste nabi, à Pont-Aven

Le musée des Beaux-arts de Pont-Aven vous invite à (re)découvrir l'univers étrange et fantastique de Paul Ranson (1861-1909), l'un des fondateurs du mouvement nabi. Tour à tour amante, épouse, mère ou marâtre, sorcière ou bien encore fée, la femme
occupe une place centrale dans les créations de cet artiste majeur qui, dans son oeuvre comme dans sa vie, s'est intéressé à l'ésotérisme, à l'occultisme, au
spirituel.




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Le musée de Pont-Aven, en partenariat avec
le musée Maurice Denis de St-Germain-en-
Laye et dans le cadre du centenaire de la mort de l'artiste, présente
l'exposition « Fantasmes et sortilèges » consacrée à Paul Ranson (1861-1909).
Au coeur de la Bretagne estivale, l'exposition présente de manière inédite les
oeuvres de l'artiste et un parcours célébrant l'univers étrange et fantastique tout
autant que la place prépondérante de la femme dans les créations de l'artiste.

La sélection du musée de Pont-Aven révèle une création picturale très personnelle
des plus audacieuses, tout à la fois imprégnée des théories synthétistes, des
réflexions symbolistes et d'un sens décoratif affirmé.
Cinq grands thèmes aux
atmosphères troublantes et mystérieuses scandent le parcours : Esotérisme et
satanisme, Femmes sensuelles/femmes intimes, La nature symbolique,
Symbolisme décoratif, Imaginaire et spiritualité
. Ces thématiques reflètent
l'imprégnation de son histoire personnelle et de son rapport aux femmes dans
l'oeuvre de Ranson

Fondateur du mouvement nabi

*Le terme « nabi » viendrait du mot hébreu « nebiim » et
signifierait prophète
aux côtés de Maurice Denis, Edouard Vuillard ou
encore Ker-Xavier Roussel, Paul Ranson affiche cependant une véritable singularité
artistique. Les symboles ésotériques parsèment ses toiles tout en se mêlant à une
nature figurée.

Tour à tour amante, épouse, mère ou marâtre, sorcière ou bien encore fée, la femme
occupe une place centrale dans son travail. Parfois empreintes d'érotisme, ses
compositions présentent un caractère symboliste et diabolique. Les peintures
décoratives de style Art nouveau associent formes végétales et modèles féminins.

La vocation du musée de Pont-Aven est de présenter les artistes qui ont, d'une
manière directe ou indirecte, bénéficié de l'évolution picturale qui a vu le jour à
Pont-Aven. Le symbolisme et le mouvement nabi en constituent une émanation.
Après l'exposition « Maurice Denis et la Bretagne » en 2009, labellisée Exposition
d'intérêt national, cette approche intimiste de l'oeuvre de Ranson propose la
redécouverte d'un autre artiste nabi.

Une soixantaine d'oeuvres —, peintures, oeuvres graphiques, tapisseries, objets...-
dont plusieurs inédites, sont généreusement prêtées par de grands musées comme
celui d'Orsay, mais aussi par de nombreux collectionneurs particuliers.




Parcours de l'exposition

La thématique de l'exposition « Fantasmes et sortilèges » évoque l'univers très
particulier des oeuvres de Paul Ranson et permet de poser un regard neuf sur le
travail de l'artiste. Les aspects intimes de sa vie ainsi que ses principaux sujets
picturaux s'intègrent dans la sobriété de la scénographie.

Une approche thématique plus personnelle et intime de l'oeuvre de Paul Ranson

La production picturale de Paul Ranson, né en 1861, couvre une période de 24 ans
environ, de 1885 à sa mort en 1909. Au regard de cette brièveté créatrice, on ne
peut qu'être surpris par la variété des oeuvres, qu'il paraît difficile d'expliquer
seulement au travers d'une évolution artistique.

Fils unique, Ranson n'a jamais connu sa mère, morte en couches et, de ce fait, n'a
jamais établi cette relation fusionnelle si spécifique au lien mère enfant. On peut
imaginer que dans cette absence de construction d'une relation intersubjective, se
trouve une des explications du goût de Paul Ranson pour l'ésotérisme au sens de ce
qui n'est que partagé par les initiés.

Le parallèle est en effet facile à établir entre les signes et codes singuliers
caractéristiques de la relation mère enfant et, par exemple, les codes linguistiques
utilisés par les nabis entre eux et dont leur correspondance témoigne. Le mariage
de Paul Ranson avec l'une des cousines avec laquelle il avait partagé bien des
vacances de son enfance et qui lui servira de modèle pour de nombreuses oeuvres,
pourrait participer du même mécanisme inconscient.

L'oeuvre de Ranson et particulièrement ses représentations de la féminité, mêle
ainsi au fil des années, symbolisme, peinture japonisante ou pleine d'érotisme et de
signes ésotériques puis, après l'annonce de la naissance de son fils Michel, visions
démoniaques terrifiantes comme si la naissance annoncée lui faisait craindre de
voir l'histoire se renouveler et son fils lui enlever à jamais son modèle féminin.

Après la naissance de son fils, Ranson délaissa très vite sa famille et passa les
dernières années de sa vie auprès de son ami Lacombe au sein d'un univers
misanthrope, peuplé, ça et là de quelques faunes et faunesses comme si, à ses
yeux, seule la nature méritait encore d'être représentée.

Marc-Olivier Bitker
Co-commissaire de l'exposition





Esotérisme et satanisme

Texte de Gilles Genty —, historien d'art et co-auteur du catalogue raisonné de l'artiste

Le rapport que Ranson entretient avec l'ésotérisme et la
sorcellerie est à replacer dans une perspective historique
longue. (...)
Celle-ci est à mettre en regard des images conçues par
Ranson et dont les schémas iconographiques viennent
souvent de la peinture ancienne , La Sorcière dans son
cercle
est une figuration, parsemée de signes cabalistiques
dont on trouve le motif dès le Moyen-âge et dont Dürer
fixera la représentation. (...)

Dans Schouchana (Suzanne et les vieillards, 1891), Ranson
reprend assez précisément la mise en page imaginée par
Théodore Chassériau pour sa Suzanne au bain (Paris,
Musée du Louvre). Parfois, Ranson juxtapose les signes
sans que ceux-ci fassent véritablement sens. Dans le
Suppost de Sathan (vers 1892), Ranson inscrit des lettres
hébraïques mais elles ne signifient rien. La différence
d'avec Maurice Denis est ici notable , chez Ranson, le symbole n'est pas porteur de
vérité mais évoque un pays imaginaire, aux contours indécis (...).


Femmes sensuelles, femmes intimes


Texte du Musée Maurice Denis

La silhouette très féminine de son épouse France, a servi
de modèle dans maintes représentations de la femme
chez Paul Ranson, Nu se coiffant au bord de l'étang, vers
1897 par exemple. Dans son oeuvre apparaissent trois
types de femmes intimement liées à son histoire
personnelle.

La mère représente pour lui l'absente, car Jeanne Ranson
est morte au sortir de ses couches. Elle est parfois sans
visage, souvent belle mais méchante ou perverse, car
coupable, plus que l'enfant d'être partie au moment de la
naissance (L'Explication, 1896).

L'épouse, présente chaque jour, élégante, femme
d'intérieur, motif de décor, est souvent plus silhouette ou
attitude que personnage véridique (Femmes en blanc ou
Femmes vêtues de blanc
, 1894). L'amante, parenthèse
entre la mère et l'épouse, est représentée de manière
plus mystérieuse, son visage est authentique et sa beauté figure dans des attitudes
suggestives (Baigneuse trempant son pied, vers 1900).


La nature symbolique

Texte de Gilles Genty

Les années 1895-1897 sont pour Ranson des années difficiles , à la mort de Charles
Rousseau, père de France Ranson et de Germaine, la famille est contrainte de
déménager à Paris et s'installe rue d'Alençon, à proximité de l'atelier de l'artiste.
L'artiste a de moins en moins de temps pour travailler. Ses escapades hors de la
maison familiale sont fréquentes. Ces années sont aussi difficiles
professionnellement. (...)

Passées les années 1897-1899, moment de l'évolution esthétique des nabis vers
l'impressionnisme ou la peinture classique, le temps de la peinture de Ranson
persiste à ne pas être celui de son siècle, ni même de sa décennie. Ranson quitte de
plus en plus souvent Paris pour se réfugier auprès de son ami Georges Lacombe en
forêt d'Ecouves où ce dernier possède une grande maison baptisée fort justement
« L'Ermitage ».

Les lieux de vie deviennent alors ceux
de la peinture. La forêt qu'ils
parcourent, peuplée d'apparitions dans
leurs peintures, est en réalité un des
motifs récurrents de la littérature
symboliste de ces mêmes années 1895-
1905. (...) Les forêts que Ranson peint
deviennent également
anthropomorphiques, renouant ainsi
avec un des motifs favoris de la
peinture romantique.

Les arbres creux dessinés par Ranson
dans les années 1897-1905 ne sont pas
des motifs réalistes , d'ailleurs souvent
le même motif est réutilisé dans des
paysages différents. Ce sont aussi, comme dans les oeuvres symbolistes, les chênes
d'où les Celtes faisaient jaillir les fontaines de jouvence, ou encore, où les prêtres
réfractaires cachaient de petits autels durant la Révolution (...).


Symbolisme décoratif

Texte du musée Maurice Denis

La formation initiale de Paul Ranson à l'Ecole des Beaux-arts
appliqués à l'industrie de Limoges, de 1877 à 1881, et sa
rencontre avec les futurs membres du groupe des nabis à
l'Académie Julian en 1888, où le message de Paul Gauguin
lui fut révélé, ont permis à l'artiste d'aboutir à un style
personnel et identifiable où les sujets d'inspiration, la femme,
la nature et parfois l'ésotérisme ou la sorcellerie se
conjuguent harmonieusement à la composition. En ce sens,
on peut affirmer que parmi le groupe des nabis, Paul Ranson
est celui dont le style se rapproche le plus des créations Art
nouveau. L'ensemble décoratif le plus complet de Paul
Ranson reste le décor commandé en 1894 par Siegfried Bing
pour la salle à manger du Salon de l'Art nouveau, qu'il
ouvrira l'année suivante, rue de Provence à Paris. Le style de
ces panneaux correspondait parfaitement à l'aménagement de
la pièce et aux meubles créés par l'architecte belge Henry Van
de Velde
. Parallèlement, Paul Ranson, comme ses amis nabis,
s'est investi dans l'art de la scène où il a créé décors, programmes et costumes pour
des pièces jouées notamment au Théâtre de l'oeuvre de Lugné-Poe.


Imaginaire et spiritualité


Texte du musée de Pont-Aven

L'art est le moyen trouvé par Paul Ranson pour mettre à
distance la mélancolie existentielle. Que les représentations se
rapportent à la religion ou qu'elles évoquent les contes et les
fables de l'enfance, l'enjeu est toujours de se soustraire aux
pesanteurs du quotidien. Pour autant, les transgressions
ésotérico-mystiques pratiquées par l'artiste ou l'athéisme qu'il
revendique doivent être tempérés. Selon Gilles Genty, les sujets
profondément bibliques tels que Suzanne et les vieillards
(1891) ne sont pas traités avec une distance provocatrice, bien
au contraire. Il précise aussi que « dans les lettrines parsemées
du Livre de la Vierge (1895), les animaux plus ou moins
démoniaques que Ranson dessine ne sont pas une
contradiction du texte ». D'autres oeuvres se rapportent à
l'imaginaire de l'enfance et des contes dans lesquels il
construit un univers mythique et irréel. La nature végétale
apparaît dans ses tableaux comme protectrice et rassurante. Gilles Genty précise
que « l'enfance est chez Ranson un fil d'Ariane qui traverse toute son oeuvre, depuis
les tableaux de jeunesse jusqu'aux pastels de maturité » qui, de fait, investit tous
les lieux, toutes les mises en scènes et toutes les temporalités



Paul Ranson,
un artiste nabi (1861-1909)

À trop analyser l'esthétique des oeuvres réalisées par les nabis, à trop vouloir
inclure leurs productions dans un continuum d'évolution des formes et des
couleurs, on en oublierait presque l'essentiel, l'évidence : les sujets de ces images
sont souvent profondément en décalage d'avec leur époque, d'avec l'évolution même
de la vie quotidienne et des usages.

Ce qui est une généralité pour les nabis devient une particularité de la peinture
chez Paul Ranson. Il faut en effet mettre d'emblée en perspective le décalage
existant entre une « fin de siècle » machiniste, qui voit avec l'Exposition universelle
de Paris en 1900 le triomphe de l'électricité et l'invention de l'automobile, et les
scènes de la peinture symboliste, aux sujets bibliques, ésotériques, installées dans
un passé aux contours mal définis. Chez Ranson, nuls trains entrant en gare Saint-
Lazare, nuls personnages à bicyclette, aucune Tour Eiffel que leur mentor à tous,
Paul Gauguin, admire pourtant. L'espace urbain lui-même n'est vu que de manière
parcellaire, depuis l'intérieur des appartements. Décalage également entre ses
femmes récoltant à la main des légumes, notamment dans les panneaux réalisés
pour Bing, et les progrès contemporains des machines agricoles.

Cette distance revendiquée des nabis avec leur siècle, cette fascination pour les
temps révolus, sont communs à bien d'autres artistes symbolistes, mais puisent
également ses racines dans le passé. En d'autres termes, les thèmes qu'ils
abordent, les images qu'ils produisent, sont tout à la fois hérités de Puvis de
Chavannes
et de Gustave Moreau, mais aussi de la peinture ancienne, avec laquelle
ils sont moins en rupture qu'on ne l'a parfois dit.

Texte de Gilles Genty


Les nabis

Texte du musée Maurice Denis

C'est vers 1888 que le terme « nabi », qui viendrait du mot hébreu « nebiim » et
signifierait prophète, fut proposé par le poète Henri Cazalis comme nom à un cercle
de jeunes peintres fondé par Paul Sérusier.
En septembre 1888, Paul Sérusier rencontre Gauguin à Pont-Aven et peint sous sa
direction Le Talisman (Paris, musée d'Orsay), un petit paysage aux formes
schématisées et aux couleurs affirmées : « Comment voyez-vous cet arbre, avait dit
Gauguin. Il est bien vert ? Mettez du vert, le plus beau vert de votre palette, et cette
ombre plutôt bleue ? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible. » A son
retour à Paris, Sérusier montre Le Talisman à ses camarades de l'Académie Julian —,
Bonnard, Denis, Ibels et Ranson —, et de l'école des Beaux-arts —, Vuillard, Roussel et
Piot.

Enthousiasmés par cette nouvelle manière de peindre, ces jeunes artistes forment
bientôt un véritable groupe à la recherche de toutes les nouveautés picturales dont
Maurice Denis devient le véritable théoricien, qui a su mettre en forme le didactisme
enthousiaste de Sérusier.
Pour les nabis, la peinture doit être une transposition de la nature, « l'équivalent
passionné d'une sensation reçue ». Peindre un symbole ou une allégorie, c'est
traduire une sensation en image, lui donner un équivalent plastique et coloré.
Bien que partageant des convictions communes, les nabis développent des
tendances diverses à l'intérieur du groupe : emploi de la couleur en aplat et des
arabesques décoratives chez Denis et Ranson, grâce intimiste chez Bonnard et
Vuillard, simplification et observation chez Vallotton... Tous en revanche participent
au mouvement général qui tente de lever la barrière qui sépare l'art décoratif de l'art
de chevalet.

Le mouvement ne dure que quelques années puisque les nabis se dispersent vers
1900. Toutefois, au tournant du siècle, ceux-ci font la transition et annoncent, ou
préfigurent, les recherches contemporaines de l'Art nouveau.

- Commissaire de l'exposition du Musée de Pont-Aven : Estelle Guille des Buttes-
Fresneau
, Conservateur du Musée de Pont-Aven
- Commissaire-adjoint : Camille Armandary, Adjointe du Conservateur

- Catalogue édité par les éditions Somogy, 176 pages


- 'Paul Ranson, artiste nabi :
fantasmes et sortilèges'
- du 5 juin au 3 octobre 2010
- Musée des Beaux-arts de Pont-Aven,
Place de l'Hôtel de Ville
29330 Pont-Aven
Tél. 02.98.06.14.43
Fax. 02.98.06.03.39
- Site : www.museepontaven.fr
- Tarifs
Plein tarif : 6,00 € - Tarif réduit : 4,00 € (Groupes à partir de 10 personnes, étudiants de 18
à 25 ans, chômeurs)
- Horaires :
Ouvert tous les jours
De 10h à 12h30 et de 14h à 18h30 en juin et septembre -
De 10h à 19h00 sans interruption en juillet et août
- Accès :
RN 165, Gare TGV : Quimperlé,
Aéroports : Lorient ou Quimper
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Lire également
- Paul Ranson, artiste nabi : autour de l'exposition
- Paul Ranson (1861-1909), repères biographiques
- Catalogue Paul Ranson - Fantasmes & sortilèges



Par Nicole Salez

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