Rencontre avec Bleuenn Battistoni, jeune soliste du ballet de l’Opéra de Paris

Danseuse dans le ballet de l’Opéra de Paris depuis six ans, Bleuenn Battistoni a passé cinq ans au sein du corps de ballet avant d’être promue Première danseuse en novembre dernier. Elle nous raconte la transition du corps de ballet vers les rôles de solistes et sa façon de les aborder.

 

Bleuenn Battistoni : interview

Le Lac des Cygnes Bleuenn Battistoni est la plus à droite © Opéra de Paris

 

TPLF - Tu as été récemment promue au grade de première danseuse, le plus haut grade auquel on accède par concours de l’organisation très hiérarchique du ballet de l’Opéra de Paris. Quel est le parcours qui t’a menée jusque-là ?

J’ai commencé la danse à 4 ans et suis restée dans la même école, l’école de danse Guillemette Meyrieux, jusqu’à mes 14 ans. C’est vers 11 ans, quand j’ai commencé les pointes, que j’ai réalisé que j’avais des facilités. J’ai pourtant été refusée deux fois à l’école de danse de l’Opéra de Paris, et ai pu y entrer après une année au Conservatoire Supérieur de Musique et de Danse de Paris : après avoir obtenu la mention très bien au certificat, Elizabeth Platel (la directrice de l’école de danse de l’Opéra de Paris) m’a accordé une nouvelle audition, et cette fois j’ai été prise en 2e division à l’école de danse. J’ai ensuite fait deux fois la dernière année car je n’ai pas été prise dans la compagnie dès le premier essai.

TPLF - Une fois dans le ballet, est-ce que tu es montée rapidement dans la hiérarchie ?

Non, j’ai mis quelques années à décoller. C’est difficile de sortir de la classe des quadrilles que l’on intègre en entrant dans le ballet : on ne danse pas beaucoup, donc on a peu d’occasions de se montrer, et je suis assez discrète donc on ne me voyait pas forcément. Ça a changé en rentrant de confinement : nous n’avions pas de spectacles pendant neuf mois, et je pense que j’avais évolué dans ma façon de me présenter. J’ai commencé à avoir plus d’opportunités puis j’ai gravi les échelons les uns après les autres.

TPLF - Tu as abordé ton premier grand rôle, Giselle, en tant que remplaçante, puisque tu as remplacé au pied levé Alice Renavand en juillet dernier lorsqu’elle s’est blessée pendant une représentation. Comment t’étais-tu préparée à ce rôle ?

Pendant cette période je dansais les rôles de corps de ballet, pour lesquels nous avions des répétitions tous les après-midi, en plus d’être remplaçante du rôle de soliste. Il fallait que je me concentre sur les rôles dont j’étais titulaire ; j’ai donc pu assister aux répétitions des solistes et travailler dans un coin du studio mais je n’étais pas suffisamment disponible pour avoir des répétitions dédiées.

Mais comme c’était un rôle que je rêvais de danser et que je voulais vraiment le travailler correctement, j’ai demandé à la danseuse étoile Léonore Baulac de me coacher, et elle m’a indiqué plein de petits détails qui sont importants : sur les entrées et sorties, les accessoires, la musicalité … elle m’avait vraiment bien préparée, j’ai eu de la chance !

TPLF - En novembre 2022 tu es passée première danseuse. Qu’est-ce que ça a changé ?

Depuis que je suis première danseuse je ne danse plus les parties du corps de ballet donc pour certaines productions je vais être moins sollicitée. Le planning est plus disparate, on peut continuer à danser des rôles de demi soliste et être remplaçante ou titulaire de rôles de soliste.  Les rôles de soliste demandent beaucoup de temps de répétition car nous sommes plus exposés donc tout doit être très travaillé. En termes de rythme de travail cela reste de grosses journées mais c’est agréable parce qu’il y a un peu plus de flexibilité.

TPLF - Quelles sont pour toi, qui es récemment passée de l’un à l’autre, les grosses différences entre le travail de soliste et de corps de ballet ?

 Je trouve que nous sommes formés à la base pour le travail de soliste, et que c’est le travail de corps de ballet qui diffère de ce que l’on apprend en cours. Il y a aussi énormément de contraintes de placement, de musicalité, pour bien suivre le groupe.

J’ai quand même bien aimé le corps de ballet, c’est agréable de partager cela et danser en groupe et, quand je jonglais entre les deux, d’avoir des spectacles où je n’étais pas sans cesse sous le feu des projecteurs. Mais cela reste quelque chose de difficile, très physique, et j’admire énormément les danseuses qui font partie du corps de ballet toute leur carrière, d’autant que ça peut être frustrant de refaire ce qu’on a déjà fait. Heureusement pour ma part même si j’ai déjà dansé le lac des cygnes quatre fois je n’ai pas eu le temps de me lasser.

TPLF - Quel était ton premier grand rôle, et comment est-ce que cela s’est passé ?

Mon premier grand rôle était Gamzatti dans La Bayadère. C’est un rôle important qui demande beaucoup de caractère et comme je suis assez discrète je ne me voyais pas forcément dans ce rôle de méchante qui assassine sa rivale. Mais c’est très intéressant, parce que comme ça ne m’était pas naturel j’ai dû réfléchir à comment le personnage pouvait m’aller, et l’adapter à ce que je me sentais de faire.

 

Bleuenn Battistoni : interview

Mayerling - © Opéra de Paris

 

TPLF - Après avoir commencé comme soliste avec ces deux rôles très classiques, tu as enchainé avec deux ballets du chorégraphe MacMillan, deux rôles de courtisane : Mitzi Caspar dans Mayerling puis la maitresse de Lescaut dans Manon. C’est quelque chose de très différent ?

C’était la première fois que je dansais des rôles demandant autant de théâtralité. Chez MacMillan c’est du théâtre très naturel, avec du jeu de scène improvisé. Même si l’on nous donne quelques pistes et qu’il y a des interactions qui sont placées sur la musique, beaucoup de choses sont vraiment laissées libres. C’était nouveau pour moi et ce n’était pas évident, surtout en répétition, d’oser jouer avec, sans costumes ni décors. J’ose plus facilement sur scène.

TPLF - Comment est-ce que tu prépares tes rôles, au-delà des répétitions : est-ce que tu lis ou regardes les vidéos d’autres danseurs ?

En général je commence par regarder toutes les vidéos que je peux trouver. C’est aussi intéressant de lire et contextualiser, même s’il y a au total peu de ballets tirés de livres.

Pour Manon j’ai lu le livre, non pas pour le rôle que je dansais (la maitresse de Lescaut), qui n’y figure pas, mais parce que j’étais aussi remplaçante du rôle principal.

TPLF - La saison prochaine tu vas danser cette fois deux rôles comiques : « The Concert » dans la soirée Robbins, et La fille mal gardée. Est-ce qu’il y a d’autres registres que tu aurais envie d’aborder ?

Il y en a beaucoup, je suis déjà contente de pouvoir commencer à danser les rôles du répertoire classique et y prendre mes marques. Mais j’ai vraiment envie de danser dans des registres plus dramatiques comme Roméo et Juliette.

Je rêve aussi de danser Petite mort de Kylian et a priori cela va être le cas en décembre.

TPLF - Certains de ces grands classiques sont parfois considérés comme démodés ou problématiques. Qu’en penses-tu ?

Je n’ai pas d’idée arrêtée sur s’il faut danser certains ballets ou pas, par contre je pense que la danse classique est un art qui est très beau et qu’il ne faut pas abandonner. Je pense que c’est à nous aujourd’hui de l’interpréter d’une manière qui touche le plus possibles les spectateurs, de raconter des histoires peut-être plus modernes avec, et que c’est très bien d’avoir une réflexion sur des parties de ballets qui sont vraiment dépassées et qu’on ne peut plus danser comme avant. 

TPLF - Tu commences maintenant à acquérir une certaine notoriété. Comment le vis-tu, lorsque tu lis des choses sur toi ou que des spectateurs viennent te parler ?

Cela m’arrive de lire des choses sur moi en effet, ça n’est pas forcément évident à notre petite échelle, nous n’y sommes pas préparés, mais comme nous sommes exposés il est normal que les gens donnent leur avis. Et il y a aussi des choses à prendre dedans, je trouve intéressant d’avoir des retours extérieurs sur ce que je fais.

Le spectacle vivant c’est quelque chose qui ne reste pas, contrairement à ce que l’on met sur les réseaux sociaux. Comme je commence à avoir une petite notoriété je fais attention à ce que j’y mets, car je sais que des personnes plus jeunes peuvent être influencées, et je me dis par exemple qu’il n’est pas très sain de leur donner l’impression qu’il est normal de danser sept jours par semaine.

J’aime bien rencontrer les spectateurs après une représentation mais je suis un peu timide donc je n’oserai pas venir dire bonjour et demander si ça a plu, en revanche il ne faut pas hésiter à venir me parler !

 

Bleuenn Battistoni dansera dans le programme Robbins à l’Opéra Garnier à partir du 24 octobre, puis dans le programme Kylian à partir du 8 décembre et dans La fille mal gardée du 15 mars au 1er avril.

 

Interview réalisé par Allison Poels Toutpourlesfemmes

 

* Crédits photos : Opéra de Paris

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