Amos Oz nous parle

Trois semaines après le Salon du Livre à Paris, retour sur l'un des plus grands écrivains israéliens, Amos Oz et sur son roman « Vie et mort en quatre rimes ». Signe de la vitalité de la culture israélienne, la sortie le 9 avril en France, du dernier film d'Amos Gitai, le Désengagement.

Extraits de l'entretien accordé par cet auteur majeur de langue hébraïque, dans le cadre de l'émission Métropolis sur Arte.

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Amos Oz



Une seule histoire

Je commence ma journée par une promenade dans le désert

*Amos Oz
vit à Arad, au nord du désert du Néguev
, je marche pendant une demi-heure, quarante cinq minutes, ça me permet de ramener les choses à leur juste mesure. Puis, je m'assieds à mon bureau, je lis un chapitre de la Bible et j'écris.
Si je devais résumer en un seul mot ce qui est au cœ,ur de toute mon œ,uvre littéraire, je dirais famille.
Si vous me donniez deux mots, je dirais famille malheureuse. Si vous me donniez plus de deux mots, je dirais lisez mes livres. Peut-être que moi aussi je n'ai qu'une seule histoire à raconter comme les autres écrivains, mais j'essaie de la raconter de beaucoup de façons différentes.

Inviter les morts

Ecrire pour moi c'est souvent une façon d'inviter les morts à venir me rendre visite. Je leur dis venez, asseyez-vous, je vous en prie, et parlons. Quand vous étiez en vie, on n'a pas parlé. D'accord, on a beaucoup discuté des journaux, de politique, etc., mais on n'a jamais évoqué les questions essentielles, vos émotions, vos expériences, vos origines, les raisons de votre venue, vos espoirs... alors asseyons-nous et parlons de tout çà.

Et puis je veux aussi présenter les morts à ma femme et à mes enfants, ils ne se sont jamais rencontrés. Et une fois que l'on a pris le thé, qu'on a bavardé, je leur dis partez. Je ne veux pas que vous vous installiez chez moi, allez-vous-en et de temps en temps, passez me voir, on boira un café ensemble. C'est ce genre de relations qu'on devrait tous avoir avec les morts, pas seulement nous les écrivains, mais tout le monde.


Les seuls vrais Européens

Les familles que je connais le mieux, les familles juives d'Europe de l'Est et d'Europe centrale, comme la mienne, ont été profondément bouleversées et bouleversées à jamais par l'extermination en masse des juifs par les nazis. Ce sont tous des survivants. L'Europe manquait terriblement à ces gens, ils en rêvaient, mais ils ne m'en parlaient pas, on ne parle pas à un enfant d'un amour déçu, d'un amour non partagé.
Dans les années 20, les seuls vrais Européens c'étaient les juifs, comme ceux de ma famille, ce n'était pas la Russie, la Pologne, l'Ukraine, ou la Lituanie, c'était l'Europe.

Devenir un livre

Quand j'étais petit, je rêvais de devenir un livre, pas un écrivain, un livre, à cause de la peur. A Jérusalem, il y avait un tel sentiment d'insécurité quant à l'avenir. On avait toujours cette menace qui planait d'un autre pogrom, d'une autre guerre où on serait tous massacrés.
Je me disais qu'en étant un livre, j'aurais plus de chance d'en réchapper, il resterait toujours un exemplaire de moi dans un coin de bibliothèque, à Toulouse ou ailleurs. Alors qu'en tant qu'individu, je risquais de disparaître à jamais.


Vivre dans un kibboutz

Mon père m'a laissé une moitié d'étagère dans sa bibliothèque. Il m'a dit que je pouvais y mettre mes livres, que ce serait mon territoire à moi. Et il m'a donné quelques idées pour les classer, par ordre alphabétique, par thème, par genre, c'est comme ça que j'ai été initié à l'art de la composition.
Vers l'âge de 14 ans, un an et demi après le suicide de ma mère, je me suis rebellé contre tout ce que mon père représentait. J'ai décidé de quitter notre maison à Jérusalem, pour aller vivre dans un kibboutz.

Je voulais être tout le contraire de mon père et ne lui ressembler en rien. C'était un intellectuel, je me suis mis à conduire des tracteurs. C'était un nationaliste de droite, j'ai opté pour le socialisme. C'était un bourgeois de la ville, je suis devenu un kibboutzin. Il était petit, alors j'ai décidé d'être grand, ça n'a pas marché, mais j'ai essayé !

Ecrire dans les toilettes

Je vivais dans le kibboutz Oulda. La journée, je conduisais un tracteur dans les champs, et le soir j'écrivais. Il faut savoir que notre appartement était très petit. Alors, j'allais m'enfermer dans les toilettes. Elles étaient aussi exiguës que dans un avion. Je m'asseyais sur la cuvette, un livre consacré à Van Gogh sur les genoux et un bloc de feuilles. C'est comme ça que j'ai écrit mes premiers livres....

J'appartiens à la deuxième génération d'écrivains de langue hébraïque, ça implique pour moi une vraie responsabilité. Parce que je sais qu'il est encore possible de faire évoluer la langue, de créer de nouvelles formes d'expression, même parfois des mots nouveaux. J'ai inventé quelques mots qui se sont mis à circuler, ils se sont inscrits dans le cycle de vie de la langue. Un jour, j'ai entendu un de ces mots dans la bouche d'un chauffeur de taxi, il n'avait aucune idée que j'en étais l'heureux parent. On ne peut pas espérer davantage l'immortalité !


Regarder le paysage de la vie

Enfant, j'étais fasciné par Jules Verne et d'autres auteurs de livres d'aventures, surtout ceux qui avaient une vision humaniste, optimiste, figuriste, des choses. Leur monde captivait mon cœ,ur, mon imagination. À l'adolescence, j'ai été plus attiré par la littérature pessimiste et mélancolique. J'ai eu aussi ma période Dostoïevski, puis j'ai beaucoup lu Tosltoï.

Mais, ces dernières années, ma principale source d'inspiration, ça a été Tchekhov, parce qu'il est capable d'effacer la frontière entre la comédie et la tragédie et que moi, je ne crois plus que cette frontière existe. Je ne vois pas la comédie et la tragédie comme deux planètes différentes, je les vois plutôt comme deux différentes fenêtres à travers lesquelles nous regardons le paysage de la vie.

Trouver un compromis

Quand j'ai des questions et pas de réponses, je sais qu'une histoire ou un roman est en gestation. Quand j'ai des réponses, normalement je n'écris pas une histoire mais un article rageur où je dis au gouvernement d'aller au diable. Il n'écoute pas et il ne va pas au diable, mais j'écris le même article, encore et toujours en lui disant d'aller au diable, j'insiste. Mon message est simple : dans le conflit israélo-palestinien, il n'y a pas de bons ou de méchants, c'est une tragédie. C'est une confrontation entre le bien et le bien, et très souvent entre le mal et le mal. La seule solution, c'est de trouver un compromis, même s'il est douloureux et incohérent, car, par nature, les compromis sont incohérents....
Je ne suis candidat à aucune fonction politique parce que j'ai un handicap, je suis incapable de dire sans commentaires, alors comment pourrais-je faire de la politique !

- Voir par ailleurs l'article sur le dernier livre d'Amos Oz : «Vie et mort en quatre rimes»


- Né Amos Klausner en 1939 à Jérusalem, Amos Oz a rapidement pris le nom de Oz qui signifie 'force' en hébreu.
- Poète, romancier, essayiste, journaliste engagé...traduit dans une trentaine de langues, multiprimé, cofondateur du mouvement «La paix maintenant », Amos Oz est Officier des arts et des lettres en France.

-Emission diffusée le 15/03/2008, à 20h15 (Producteur: Ex Nihilo), sur la chaine Arte, à l'occasion du Salon du Livre qui s'est tenu du 14 au 19 mars à Paris. Israel en était l'invité d'honneur.



Par Nicole Salez

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