Andrée Putman : Les Créations

La Ville de Paris consacre une importante rétrospective à la designer et architecte d'intérieur Andrée Putman, du 10 novembre 2010 au 26 février 2011. Les créations de cette icône du design français, d'abord reconnue aux Etats-Unis, et ce qui les caractérise.




Longtemps perçue par les Français comme une excentrique choquante, aimant
défendre l'indéfendable, Andrée Putman doit en partie sa notoriété aux étrangers.
Les New-Yorkais furent les premiers à la regarder comme une artiste, icône parisienne
du goût français.

1978. Andrée Putman crée Écart, première agence à laquelle succédera vingt ans plus
tard, l'Agence Andrée Putman qu'elle dirige toujours, à Paris dans le XIVème
arrondissement.

« Je suis ahurie de cette magnifique chance que j'ai d'avoir gardé la liberté, de ne pas
avoir été la petite chérie de l'establishment, d'avoir échappé à l'abrutissement des
récompenses et des honneurs »
, explique-t-elle pour justifier son parcours, hors
norme. Inclassable par la diversité des expériences mais aussi par l'énergie,
la longévité de sa créativité. Car c'est à 53 ans qu'Andrée Putman entamera
véritablement la carrière qui l'a fait connaître de New York à Hong Kong.


Une esthétique désencombrée

En matière d'agencement d'espace, d'architecture d'intérieur, Andrée Putman a
travaillé pour des hôtels, des boutiques, des bureaux, des particuliers (Arielle
Dombasle et Bernard-Henri Lévy lui ont confié en 2007 l'aménagement d'une maison
à Tanger) .

À chaque fois on retrouve cette espèce d'esthétique désencombrée, de façon de ne
pas vouloir dénaturer un lieu au point d'en révéler l'ossature, d'en mettre à nu les
matériaux pour jouer de l'immatériel, des perspectives, des matières et des effets de
lumière.

On peut lire dans ses créations, tout ce qui fait sa personnalité : la volonté de casser
les barrières, de réconcilier ce que les convenances ont banni, la volonté d'alléger la
vie des autres, d'y apporter de la fantaisie sans jamais se laisser aller à la facilité.
« Les lieux bourrés, suffoquant de richesse, d'effets, de scintillements me sont
insupportables. C'est en réaction au plein que je joue avec la lumière. J'aime revoir
l'espace tel qu'il m'est livré, dans toute sa nudité. »


Pour éviter les objets lumineux trop visibles, pour jouer avec poésie des contraintes,
Andrée Putman a par exemple transformé un escalier : dessiné sur le modèle d'un
collier qu'elle chérit, il est devenu entre ses mains une spectaculaire source lumineuse,
sans bien sûr qu'aucun fil ou ampoule n'apparaissent (Gildo Pastor Center, Monte
Carlo, 1996).

La lumière lui permet des facéties : elle inverse les vides et les pleins, raccourci ou
allonge l'espace, fait varier les couleurs intérieures en fonction de la lumière
changeante du soleil... elle truque la réalité.

Ainsi, dans l'immense espace vide du hall d'entrée d'un Sheraton (Aéroport Charles
de Gaulle, 1996), une sorte de wagon de verre, improbable, strié de toute part, énorme
nacelle lumineuse se dédoublant par réfléchissement sur le marbre du sol, structure
l'espace, masque les ascenseurs et dissimule les locaux techniques.




Le goût des improvisations jubilatoires

« L'idée qui flotte derrière tout mon travail, c'est la réconciliation. Pour oublier toutes
ces barrières entre les gens, toutes ces peurs effrayantes ».
Un appétit de réconciliation
qui va jusqu'aux matériaux. « Pauvre petit bout de ciment tu n'as jamais rencontré
la mosaïque italienne dorée à l'or fin ? Vous allez être côte à côte dans la salle de bain.
Et vous allez vous adorer car personne n'a osé vous présenter. Vous êtes l'histoire à
l'envers l'un de l'autre »
. Cette curiosité, cette absence de réticence va lancer sa
carrière internationale : c'est l'histoire du carrelage noir et blanc utilisé pour
l'aménagement de l'hôtel Morgans à New York (1984). Un simple grès cérame, utilisé
parce qu'il était le moins cher, et décliné dans tout l'hôtel, sur les tapis, des descentes
de lit, en frise dans les couloirs et jusque dans l'ascenseur.

« Ces carreaux noir et blanc nous ont sauvé du rien », dira-t-elle.
Ses créations sont à ce point indatables, indémodables, que la réactualisation de
l'hôtel Morgans n'a été confiée à l'Agence Andrée Putman qu'en 2008, soit vingtquatre
ans plus tard. L'inauguration s'est déroulée le 10 septembre de cette année.
Le Morgans a ouvert la voie à de nombreuses collaborations hôtelières : Le saint
James Club à Paris, Le Lac à Kobé, Im Wasserturm à Cologne, Sheraton à Roissy,
Ritz Carlton à Wolfsburg, Pershing Hall à Paris... jusqu'au très récent hôtel du nom de
sa créatrice, The Putman, à Hong Kong en 2007 ou la tour Hilliana, de 46 étages, à
Dubaï dont la construction a débuté en 2008.

Andrée Putman a autant aimé réfléchir à la façon d'habiter les hôtels, « ce sont des
refuges pour le jour et la nuit : il faut être bien dans sa chambre qu'elle que soit l'heure
»
, qu'à celle des appartements. Et là encore, elle fait tomber les habitudes.
Pourquoi dîner dans une salle manger, cuisiner dans une cuisine, dormir dans une
chambre, quand on peut faire tomber les cloisons, changer les habitudes ? Le loft est
né des mains d'Andrée Putman.

Mais celle qui place le confort visuel au-dessus du confort physique (« Ma notion du
confort est assez éloignée des coussinets pour théière. Le dodu d'un fauteuil
m'importe peu. »), ne laisse pas le trivial gâcher un lieu. Stores, paravents, parois
coulissantes, de verre, de métal, de bois... viennent cacher les éléments d'une cuisine
ou d'une salle de bain. « Pourquoi les espaces seraient-ils accaparés par une fonction
plutôt que de favoriser les sensations qu'ils nous offrent ? ».



La diversité des lieux qu'elle investit

Andrée Putman collectionne les images, les matières, les histoires, les impressions
comme autant de signes pour constituer son propre vocabulaire. Un vocabulaire
qu'elle décline ensuite dans des lieux aussi divers qu'une boutique, un show room, un
spa, un musée, un avion, un stade...

En 2005, Guerlain désigne l'agence d'Andrée pour revoir l'aménagement de son
espace historique, sur les Champs-Élysées. Le rez-de-chaussée est classé. Il abrite
notamment des lustres de Diego Giacommetti. « J'ai cherché à préserver quelque
chose de désuet, ce qui me paraît moderne. Mais ça m'a valu des remarques telles
que: « Vous n'avez pas encore compris ce que vous aimiez puisque vous gardez des
choses à l'ancienne dans le neuf ». Je trouve ça effrayant comme limite de penser qu'il
faut la date de chaque chose pour voir si elles vont ensemble. »


Des spas, dans des hôtels ou des boutiques de créateurs, il y en aura d'autres : celui
de la boutique Anne Fontaine (Paris, 2007) où l'eau se fait fil d'Ariane pour conduire
aux cabines , celui de l'hôtel Bayerischer Hof, à Münich (2005) où l'on trouve un mur
de pierres sculptées et ruisselant. Et les plus grands noms de la mode font appel à elle
pour leurs boutiques : Yves Saint-Laurent, Alaïa, Balenciaga, Lagerfeld, Connoly...

Si hier, Andrée Putman travaille pour le Concorde (1990), où elle s'emploie à illustrer le
luxe et la technologie par la sobriété, aujourd'hui elle vient de terminer les loges VIP du
Stade de France.

Les stands aussi, architecture éphémère qui doit contribuer à refléter l'image,
forcément pérenne, d'une marque retiennent son attention. Une apparente
contradiction faite pour l'amuser. En 2008, lors du Salon international du meuble de
Milan, Andrée Putman a imaginé le stand de la marque Bisazza, pour laquelle elle a
dessiné la collection « Entrevue ».

Les bureaux, comme les appartements qui doivent refléter la personnalité de ceux qui
y habitent, attireront cette acharnée de travail. Comment penser un espace consacré à
la concentration, l'efficacité, mais dont l'activité est aussi publique puisqu'on y reçoit
et négocie ? Parmi les plus célèbres, il y a les bureaux de Jack Lang, au ministère de
la culture (1985) au ministère de l'éducation nationale (1999), celui de Jacques
Chaban-Delmas, à l'hôtel de région de Bordeaux, ceux du ministère des Finances
(1989), du conseil général des Bouches du Rhône (1993), du Conseil général des deux
Sèvres (2004).


Subtiles déclinaisons de couleurs

Andrée Putman aime s'amuser avec les milliers de déclinaisons d'une même teinte.
Ainsi, pour répondre aux boiseries dorées du bureau ministériel de Jack Lang, elle
choisit d'utiliser le beige, et d'en développer toutes les possibilités : le sycomore du
mobilier, le cuir naturel et ses passepoil ivoire, le tapis d'un blanc laiteux, les rideaux
d'un beige ensoleillé... les variations sont infinies.

Dans son hôtel, le Putman (2007), elle s'amuse à la manière d'un illusionniste avec la
lumière. Résultat : la couleur change selon les heures. On devine l'heure parce que
l'atmosphère est devenue bleue, alors que plus tôt dans la journée, elle était jaune
pâle. Puis, vient le soir, et la couleur se fait vert jade.

Couleurs toujours, mais farceuses cette fois à La Bastide, un restaurant d'Hollywood
(2003), où elle fait peindre chaque mur d'une couleur légèrement différente de la
précédente, de telle sorte que l'on croit à la présence d'une ombre. Ainsi, elle fait
passer 12 couleurs différentes pour une seule.


Objets curieux

Alors qu'elle travaille à modeler l'espace, sans jamais le trahir, Andrée Putman
continue de dessiner des objets et du mobilier.

Elle se moque des excès qui conduisent à vouloir absolument redessiner des objets
parfaitement conçus par d'autres. « Il faut accepter que beaucoup de choses ne
peuvent plus être touchées ou à peine. Si on les touche, il faut apporter une graine de
plaisanterie, un recul, un humour. »


Ainsi, pour Christofle, elle dessinera la ligne de couverts et d'objets Vertigo,
remarquables pour la pureté de leur ligne et le petit anneau, légèrement tordu,
asymétrique qui y est apposé. « Le fait que cet anneau soit tordu, lui donne une vie :
est-il tombé ? pourquoi est-il tordu ? L'imperfection fait partie de la vie. »


Parmi les dernières créations remarquées, Voie Lactée, un piano à queue, a été
dessiné pour Pleyel et présenté en juin 2008. On y retrouve la sensibilité d'Andrée
Putman, son goût pour les matériaux inusités dans le contexte qui lui est proposé : ici,
l'intérieur du couvercle est paré d'une constellation d'étoiles, ses points cardinaux sont
incrustés de nacre, le bâton de couvercle et le pupitre sont habillés d'un damier en
Corian noir et blanc, et le capitonnage de la banquette est en crin de cheval.

[Source : site Agence Andrée Putman (http://www.andreeputman.com)]


- Exposition Andrée Putman
- 10 novembre 2010 - 26 février 2011
- Hôtel de Ville de Paris (Salle Saint-Jean), 5 rue de Lobau
75004 Paris
- Accès : Métro: Hôtel de ville (lignes 1, 11)/
Bus: lignes 70, 72, 74, 76, 96
- Tous les jours, sauf dimanches et jours fériés, de 10h à 19h
Gratuit

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Agence Andrée Putman
Tél. : +33 1 55 42 88 55
www.andreeputman.com
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- Exposition Andrée Putman - Paris 2010
- Andrée Putman : Biographie



Par Nicole Salez

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