Briser le ”plafond de verre”

L'exemple Ernst & Young au Canada

Au Canada, le cabinet Ernst & Young s'est attaqué au 'plafond de verre' qui empêche les femmes d'accéder aux postes supérieurs dans l'entreprise. Des résultats déjà significatifs.



À l'heure de la diversité, les grandes entreprises essaient de recruter autant de femmes que d'hommes. Au premier échelon hiérarchique, pas de problème. Les filles représentent plus de 60 % de la population étudiante et elles rejoignent le marché du travail dans les mêmes proportions.


Mais ce petit avantage aux femmes s'efface dès que débute l'avancement. Plus on grimpe les échelons, plus la proportion de femmes diminue. Ernst & Young, une des plus importantes firmes comptables du monde (elle emploie 130 000 personnes, dont 3 840 au Canada), a décidé de briser le fameux «plafond de verre» qui empêche les femmes de décrocher des postes de haute direction. Une étude publiée par le site lesaffaires.com


«Investissement différentiel»

La société de services aux entreprises a mis sur pied, en 2003, une stratégie d'avancement pour les femmes, qu'elle qualifie «d'investissement différentiel» plutôt que discrimination positive.

«Nous perdions un pourcentage déraisonnable de gens de talents, explique Anne-Marie Hubert, associée et responsable de l'application de la stratégie au Canada. Or, pour atteindre nos objectifs de croissance, nous avons besoin des femmes. Il nous faut les attirer et les garder, mais aussi les motiver à grimper les échelons
Lorsque la démarche a été entamée, l'entreprise n'avait aucun mal à recruter de 50 % à 60 % de femmes à des postes de professionnels dits ' junior '. Mais aux échelons supérieurs - il y en a cinq : professionnel intermédiaire, professionnel senior, chef d'équipe, chef d'équipe senior et associé - les pourcentages de femmes fondaient. Au sommet de l'échelle, les femmes ne comptaient que pour 16 % des effectifs.


50-60 % de femmes aux postes supérieurs

Quel est l'impact de la stratégie, cinq ans plus tard ? La situation s'est nettement améliorée, affirme Anne-Marie Hubert. «Nous avons réussi à stabiliser à 50-60 % la proportion de femmes dans les quatre premiers échelons, et le nombre de femmes promues au rang d'associé a augmenté de plus de 30 %
En raison des fusions et acquisitions faites durant cette période, le pourcentage total des femmes associées n'est passé que de 16 % en 2003 à 18 % en 2007. Mais la société continue d'y travailler. «Comme les associés restent habituellement en poste pendant plusieurs années, stabiliser la proportion de femmes à ce niveau prendra plus de temps», explique Anne-Marie Hubert.


Vigie de carrière et levée des obstacles

La stratégie d'Ernst & Young a démarré avec la mise en place d'une vigie de carrière destinée à identifier les candidates à haut potentiel. Afin de sensibiliser ses superviseurs à cette problématique, l'entreprise est allée jusqu'à lier cet objectif de promotion des femmes à leur évaluation de performance. Avec IBM, elle est une des rares compagnies à aller aussi loin.

Ernst & Young s'est ensuite attaquée aux principaux obstacles à l'avancement de ces femmes à fort potentiel. Voici comment elle s'y est prise.

- Les préjugés

Les responsables ont observé que, de façon générale, les femmes ne se font pas offrir les mêmes occasions que leurs collègues masculins. Leurs mandats et leurs perspectives sont moins variés. Après avoir identifié les candidates prometteuses, les gestionnaires se sont assurés que leurs superviseurs leur feraient faire le tour du jardin et les aideraient à développer les compétences nécessaires pour progresser.

- Le réseautage

Ernst & Young a formé un réseau de femmes professionnelles au sein de l'entreprise. Elle leur offre des formations, des conférences, du coaching, etc. Des budgets spéciaux ont été débloqués pour le réseau. Et bien qu'il soit féminin, plusieurs de ses activités sont ouvertes aux hommes, comme les ateliers «Quoi faire pour être promu ?» et «Comment se comporter lors d'un cocktail ?». «Cependant, dans bien des cas, les femmes y sont plus nombreuses à y assister, signale Anne-Marie Hubert. À cause de leurs responsabilités familiales, les femmes vont moins souvent dans les cocktails que les hommes. Elles ont donc plus intérêt à participer à l'atelier.»

- L'absence de modèles

Dans le cadre du réseau des femmes professionnelles, les plus jeunes peuvent profiter des recettes pour le succès d'associées expérimentées. Par ailleurs, un programme de développement de la relève pour les postes clés a permis d'obtenir une proportion élevée de femmes dans les principaux groupes de direction. Enfin, un programme formel de mentorat a été mis sur pied. Mais, «conscient du fait que 70 % des expériences de mentorat en entreprise échouent, nous avons décidé de nous limiter à 40 parrainages sur deux ans, pour bien les encadrer et en faire un succès», précise Anne-Marie Hubert.

- La flexibilité et le télétravail

Ernst & Young facilite la flexibilité des horaires et le télétravail, de façon à permettre à ses employés d'optimiser leur temps pour réaliser leurs objectifs, tant au travail que dans les autres aspects importants de leur vie. Elle a par exemple augmenté le nombre de congés en ajoutant une quatrième journée à certaines longues fins de semaine.

«La flexibilité doit profiter aux femmes et aux hommes, insiste Anne-Marie Hubert. un programme réservé aux femmes aurait envoyé le mauvais message quant au rôle que les hommes doivent jouer dans leur famille

L'entreprise offre ainsi des congés parentaux aux hommes. «Nous n'attendons pas qu'ils nous le demandent, nous rappelons aux hommes que ce bénéfice est offert car nous croyons que c'est un moment important dans leur vie dont ils devraient profiter», affirme Anne-Marie Hubert.

Le raisonnement est le suivant : si les hommes peuvent s'impliquer davantage dans leur rôle de parents, cela coupe court aux préjugés voulant que les femmes soient moins disponibles ou moins motivées à progresser au sein de l'entreprise.

- Le développement de carrière

L'équipe chargée de la mise en place de la stratégie s'est aussi aperçue que les femmes obtenaient moins de commentaires et de soutien de leurs supérieurs masculins. Certains hommes hésitent à donner des critiques constructives à leurs employées féminines, explique Anne-Marie Hubert. «Nous leur rappelons l'importance de transmettre toutes les critiques, même négatives, pour permettre le dévelopement de tous, et nous leur donnons du soutien pour se préparer à la rencontre au besoin, et pour comprendre que lorsque les femmes pleurent, c'est souvent parce qu'elles jugent la situation injuste et ne comprennent pas ou ne supportent pas les raisons invoquées pour expliquer la situation».

Par Nicole Salez

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