Elizabeth Thorpe, espionne au service des Alliés

Si Mata Hari est sans doute la plus célèbre des espionnes, d'autres femmes ont travaillé pour les services secrets qui dans de nombreux pays ont comme emblème la chouette, cet animal qui observe et vit la nuit. Grâce à la collaboration d'un spécialiste de l'histoire des services secrets, toutpourlesfemmes.com vous propose une série de portraits de ces femmes qui aimaient l'aventure et le service de leur pays. L'américaine Elizabeth Thorpe a travaillé pour les Alliés durant la seconde guerre mondiale.

Elisabeth Thorpe est née le 22 novembre 1910 à Minneapolis, dans le Minnesota, aux Etats-Unis. Son père est un officier du corps des Marines US et sa mère, Cora Wells, fille d'un député, possède de nombreux diplômes d'études supérieures, ce qui n'est pas courant à l'époque. En 1916, après avoir vécu à Newport, la famille s'installe à Washington. Le père d'Elisabeth est ensuite affecté à Cuba, comme chef d'Etat major du 2è Corps des Marines, puis effectue un séjour en Amérique du Sud, avant de prendre le commandement de l'unité de Marines installée à Pearl Harbour (Pacifique). Après un long voyage en Europe, la famille revient aux Etats-Unis au cours de l'hiver 1923 et retourne à Washington, où le colonel Thorpe, désormais à la retraite, ouvre un cabinet juridique.

Dès l'âge de dix-sept ans, Elizabeth est courtisée par de nombreux hommes, séduits par sa beauté et son intelligence. Le 29 avril 1930, elle épouse un anglais, Arthur Joseph Pack, attaché commercial auprès de l'ambassade britannique à Washington. Elle n'a pas vingt ans, il en a le double. Cinq mois plus tard, dans une clinique de Londres, elle donne naissance à un garçon aussitôt mis en nourrice dans une famille anglaise.


Epouse de diplomate

En avril 1935, après un séjour de trois ans au Chili, où son mari travaillait à l'ambassade de Grande-Bretagne, et peu de temps après la naissance de leur second enfant, le couple rejoint l'Espagne, nouvelle affectation d'Arthur. Quelques semaines plus tard, Elizabeth noue une liaison avec un officier de l'armée de l'air espagnole, rencontré cinq ou six ans auparavant, à Washington. La guerre civile éclate, en Espagne, et, à l'automne 1936, les Pack s'installent à Biarritz, puis à Saint-Jean-de-Luz. Quelques mois plus tard, les prises de position d'Elizabeth en faveur des nationalistes du général Franco et sa nouvelle liaison avec un diplomate britannique, embarrassent l'ambassadeur de Grande-Bretagne, qui décide de muter le couple en Pologne.

En février 1938, installée depuis peu à Varsovie et alors que son mari est hospitalisé en Angleterre, Elizabeth s'amourache d'un jeune diplomate polonais, Edward Kulikowski. Elle obtient de lui d'importantes informations sur les intentions de l'Allemagne nazie à l'encontre de la Pologne et de la Tchécoslovaquie, qu'elle transmet à Jack Shelley, membre de l'ambassade de Grande-Bretagne et des services secrets britanniques. Elle reçoit également des renseignements de Michal Lubienski, un membre du cabinet du ministre polonais des Affaires étrangères. Au bout de quelques semaines, amoureux l'un de l'autre, tous deux envisagent de se marier, ce qui provoque l'inquiétude de la hiérarchie diplomatique polonaise et la colère de l'ambassadeur de Grande-Bretagne, Sir Howard Kennard. La guerre avec l'Allemagne semblant inévitable, les épouses des diplomates étrangers sont priées de quitter Varsovie pour rejoindre leur pays. L'ambassadeur de Grande-Bretagne en profite pour exiger le départ d'Elizabeth. Fin septembre, elle rejoint Londres, avant de se rendre à Saint-Jean-de-Luz, où son mari est en convalescence. A la mi-décembre, il est nommé chef du bureau commercial britannique au Chili.


Au service des Alliés

Voilà donc Elisabeth à nouveau installée à Santiago du Chili. Elle décide de dénoncer l'action des nazis en Europe, en écrivant des articles, dans les quotidiens La Nacion et South Pacific Mail. Pour ne pas gêner l'ambassadeur de Grande-Bretagne, elle signe sous le pseudonyme d'Elizabeth Thomas. En 1940, de passage à Washington, elle reprend contact avec les services secrets britanniques. Elle rencontre John Arthur Reed Pepper, un des assistants de William Stephenson, le patron du BSC (British Security Coordination), une couverture du MI 6, le service de renseignement extérieur britannique. Ce dernier souhaite qu'elle se réinsère dans la haute société de Washington, en espérant qu'elle pourra convaincre certains élus américains de revenir sur leur opposition à l'entrée des Etats-Unis dans la guerre en Europe. Désormais, pour ses contacts avec le BSC, elle s'appellera Cynthia. Elle rencontre l'amiral Alberto Lais, attaché militaire de l'ambassade d'Italie, qu'elle a croisé quelques années auparavant chez ses parents. L'Italie est alors alliée de l'Allemagne. Devenue sa maîtresse, elle lui avoue être un agent britannique, et lui demande le code des messages de l'ambassade italienne. Ne pouvant le lui fournir lui-même, l'amiral lui donne le nom du responsable du chiffre italien, avec lequel le BSC traitera directement. Quelque temps plus tard, l'amiral Lais est rappelé en Italie.

Début décembre 1941, après l'attaque japonaise contre la Marine américaine à Pearl Harbour, les Etats-Unis entrent en guerre aux côtés de la Grande-Bretagne contre l'Allemagne et le Japon. Le gouvernement français du maréchal Pétain étant favorable à une collaboration avec l'Allemagne, son ambassade à Washington devient l'objet d'une surveillance particulière. Quelques mois plus tard, Elizabeth est mise en contact avec Ellery C. Huntington Jr., membre de l'OSS (Office of Strategic Services), le nouveau service de renseignement américain, qui travaille avec le BSC. Après avoir séduit Charles Brousse, attaché de presse de l'ambassade de France, elle lui demande le même service qu'à l'amiral italien. Là encore, elle obtient satisfaction et organise, avec son amant, le cambriolage de l'ambassade de France par une équipe BSC-OSS, qui réussit à photographier les livres du chiffre français. Grâce à ces documents, les Alliés pourront contrôler les mouvements de la flotte française et préparer plus efficacement le débarquement américano-britannique de novembre 1942 en Afrique du Nord (opération Torch).

Au lendemain de cette opération, ses employeurs de l'OSS et du BSC songent à envoyer Elisabeth en Espagne, en la faisant passer pour la fille des Brousse. Mais le projet est abandonné, à cause de blocages administratifs. Et puis Mme Brousse a découvert que son mari la trompe avec Elizabeth, et menace de tout révéler.

En octobre 1944, après avoir chacun rempli séparément de nouvelles missions pour l'OSS et le BSC, Elizabeth et Charles prennent le bateau à La Nouvelle-Orléans pour rejoindre Lisbonne, puis de là, Paris, libérée de l'occupant allemand quelques semaines plus tôt. L'année suivante, mariés, ils s'installent dans un château du Midi de la France.

Le 1er décembre 1963, atteinte d'un cancer, Amy Elizabeth Thorpe, alias Cynthia, décède. Elle a cinquante-trois ans.


Ancien membre des services de renseignement français, Claude Faure est l'auteur de Shalom-Salam, dictionnaire pour une meilleure approche du conflit israélo-palestinien, et de Aux Services de la République, du BCRA à la DGSE, publiés chez Fayard.



Par Claude Faure

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