Harcèlement moral

L'intention de nuire est-elle un élément déterminant de la preuve ?

Le harcèlement moral donne lieu à de nombreuses interprétations. Il y a le vécu du salarié, il y a le comportement de l'employeur. Ce dernier a-t-il eu des intentions malveillantes ? Qu'en est-il dans les situations où ce sont les dysfonctionnements de l'entreprise qui créent un environnement délétère ? Jacques Brouillet, avocat, fait le point sur les différentes jurisprudences. Il souligne aussi l'importance des facteurs psychologiques dans les relations employeurs-salariés.

Harcèlement moral : l'intention de nuire est-elle un élément déterminant de la preuve du harcèlement moral ?

Depuis un arrêt de la Chambre sociale du 24/09/2008 n° 06-43.504 (1), cette question ressurgit et alimente de nombreux débats.

-- En effet, en estimant qu'elle peut désormais exercer son contrôle sur la qualification du harcèlement (retenue ou rejetée par une Cour d'appel) la Chambre sociale semble vouloir mettre un frein à l'évolution d'une majorité des juges de fonds (et de la doctrine) ayant abouti au principe affirmé par la Cour d'appel de Paris le 4/11/2004 (n° 03.30.886) « la volonté de nuire caractérise le harcèlement moral ».

-- Plusieurs membres de la Chambre sociale (2) estiment même qu'une telle exigence est contraire à la rédaction de l'article 1152-1 du Code du travail qui effectivement ne relève pas l'élément intentionnel dans la définition du harcèlement moral (3).

-- Il est vrai qu'en se limitant à une analyse textuelle de cet article, on ne trouve pas cette notion de volonté, qui semble d'ailleurs exclue par l'expression « des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet de porter atteinte (...) ».

-- Selon certains, l'expression « pour effet » serait le signe même que l'intention dolosive n'est pas un élément constitutif du harcèlement et que celui-ci peut être «involontaire» ... en oubliant sans doute qu'il s'agit d'une infraction également susceptible de sanctions pénales !

-- Pour d'autres, au contraire, l'élément intentionnel serait déterminant pour distinguer le harcèlement de plusieurs autres formes d'atteintes à la santé mentale d'un salarié (4) telles que : le stress, les pressions, les humiliations, entraînées par des dysfonctionnements de l'entreprise ou des modes de management agressifs, d'autant que ceux-ci peuvent être contrôlés et sanctionnés dans le cadre désormais extensif de l'obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur.

C'est pourquoi, il paraît souhaitable de ne pas dissocier la définition du harcèlement moral (sans doute quelque peu imprécise de l'article L.1132-1-36) du système probatoire en deux temps mis en place par l'art L.1154-1.CT) (5) :

-- En effet, ce texte, en imposant à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu'ils sont au contraire justifiés par des éléments objectifs, n'induit-il pas la démonstration de l'absence d'intention malveillante ?

-- Cette obligation de se justifier, ne revient-elle pas à faire porter le débat sur l'élément intentionnel ?


Les modes de gestion perturbants



Le système probatoire en deux temps, qui dispense le salarié d'apporter la preuve du harcèlement, en lui permettant simplement « d'établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement » paraît amplement suffisant pour lui assurer une protection sans doute rendue nécessaire par l'accroissement des « modes de gestion perturbants »...

--d'autant que la loi et la jurisprudence lui confèrent une quasi-impunité en cas d'accusations se révélant sans fondement (6),
--ce qui ne doit pas pour autant l'inciter à agir à la légère... d'autant que de telles dénonciations font toujours des « dommages collatéraux » !!


En conclusion

Dès lors que le salarié peut légitimement contester une situation qu'il ressent comme une forme de harcèlement, il est pour le moins nécessaire de permettre à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'avait pas d'intention malveillante... ce qui d'ailleurs n'est pas une chose aisée !!!

Ceci n'est qu'une nouvelle illustration de l'importance des éléments psychologiques dans les relations entre employeurs et salariés, au-delà de l'analyse textuelle de la loi nécessairement interprétée de façon différente par les deux parties ... !

Il en est de même dans les relations sociales en général, (et les relations conjugales en particulier... !!) La réalité « perçue » par l'un n'est pas forcément celle « voulue » par l'autre...
Il n'en reste pas moins qu'elle constitue la réalité de chacun !

D'ailleurs, en nous incitant à l'approche téléologique des textes, la Cour de Justice de l'U.E. (CJCE) ne nous invite-t-elle pas à accorder davantage d'attentions... à l'intention ?


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(1) Semaine Sociale LAMY n° 1368
(2) Semaine Sociale LAMY n° 1404
(3) Définition légale du Harcèlement moral —, cf art L 1152-1
Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (C. trav., art. L. 1152-1).
(4) (Cf Patrice Adam —, Semaine Sociale LAMY n° 1404
(5) Article L 1154-1
Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissement ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles (C. trav., art L. 1154-1).
(6) Cour de cassation n° 07.44.092 du 10/03/2009


Jacques BROUILLET
Avocat au Barreau de Paris

Cabinet A.C.D.
120 avenue des Champs-Elysées
75008 PARIS



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