Au Japon, la jeunesse est un univers en soi, dont ce livre, réalisé par Muriel Jolivet, décrypte la géographie, les tribus, les langages, les codes vestimentaires, la sexualité, les moyens de subsistance, les angoisses, les révoltes et les rêves...
Muriel Jolivet vit depuis plus de vingt cinq ans au Japon et enseigne la sociologie à l'université Sophia, au coeur de Tokyo.

La jeunesse est vécue au Japon comme un état de grâce, une parenthèse exemptée de tout devoir et toute responsabilité : c'est à dire que la jeunesse y est un univers en soi, dont ce livre décrypte la géographie, les tribus, les langages, les codes vestimentaires, la sexualité, les moyens de subsistance, les angoisses, les révoltes et les rêves...
C'est l'exploration d'un monde fascinant à force de richesse et de complexité. Un univers à part, hors jeu, qui pourtant se révèle le miroir grossissant des contradictions et de la fracture sociale (kakusa) qui se creuse entre les nantis (jôryû) et les démunis (karyû).
Cette enquête passionnante et minutieuse repose sur la lecture de plus d'une centaine d'ouvrages et de dossiers parus dans la presse japonaises, sur la visualisation de documentaires ou de feuilletons, ainsi que des observations directes, des interviews d'auteurs et des échanges quotidiens avec les jeunes Japonais - et plus de trente-sept ans de méditation en immersion totale dans la société japonaise.
Et en Occident...
Oserons-nous dire que les constatations faites chez la jeunesse nipponne telles que peur de grandir, student apathy, hikikomori
*Jeunes vivant retirés chez eux, qui refusent tout contact avec l'extérieur,
y compris avec leurs parents à la charge desquels ils sont pourtant. Ils passent
leurs journées à dormir ou à surfer sur Internet.
, NEET
*Not in Education, Employment or Training, non occupés par l'éducation,
l'emploi ou la formation.
, ou encore parasaito
(parasites), ont leur pendant en Occident ? Comme le note Muriel Jolivet, 'les
qualificatifs ont beau varier, le phénomène reste comparable
dans les pays nantis ', que ce soient les Peter Pan
*Voir Dan Kiley, The Peter Pan Syndrome : Men Who Have Never Grown
Up, poche, 1995 (1re édition 1983) [éd. française : Le Syndrome de Peter Pan :
ces hommes qui ont refusé de grandir, Laffont, 1985].
ou
les twixters
*De betwixt (between adolescence and adulthood), soit entre l'adolescence
et l'âge adulte, ou kidult.
aux Etats-Unis, les Tanguy, adulescents ou
kidultes en France, les mammone
*Ou trentenaires dits « maman-dépendants ».
en Italie, les kippers en
Grande-Bretagne, les Nesthocker, ou oiseaux nidicoles, en
Allemagne, les boomerang kids au Canada.
L'auteure : Muriel Jolivet
Muriel Jolivet vit depuis plus de vingt cinq ans au Japon. Elle s'y est mariée, elle y élève ses deux enfants et enseigne la sociologie à l'université Sophia de Tokyo.
- Japon, la crise des modèles
- Auteure : Muriel Jolivet
- Editions Philippe Picquier (Collection Reportages, dirigée par
Pierre-Antoine Donnet)
- 320 pages
- Parution : septembre 2010
- 22,00 €
Sommaire
- Avant-propos
- Introduction
Au commencement était le moratoire...
- L'ère des jeunes en moratoire
- Consommer pour exister : la jeunesse dite « cristal »
ou les enfants gâtés de la bulle
La culture jeune face au postmodernisme
-Une jeunesse dite « visuelle»
(bijuaru-kei)
- Variations sur le thème des gyaru
- Quelques aspects de la culture gyaru
- Gosuloli et autres dekora-chan
Une génération postmoderne
en manque de repères
- Le versant sombre d'une certaine jeunesse paumée
- Mizutani Osamu, Yomawari sensei :
une vie vouée à secourir les jeunes
- La descente aux enfers de deux stars
- Hikikomori, la phobie scolaire est-elle assimilable
au hikikomorisme ?
Montée de la bipolarisation dans la jeunesse
- Attention, les écarts se creusent !
- Les hommes selon Miura Atsushi
- Les gagnants et les perdants
- Les femmes selon Miura Atsushi
Le mariage en question
- La première vague (1988)
- La deuxième vague : Le syndrome de
« Je ne me marierai peut-être pas après tout »
(1990)
- La troisième vague (au tournant du siècle)
- Le mariage sous conditions
- Moratoire autour du mariage et des naissances
Et les hommes dans tout ça ?
- Timides ou décalés ?
- L'art et la manière de trouver chaussure à son pied
- L'école de la drague, l'école des maris
et le club des puceaux
- Derrière le succès de Densha otoko
(Le garçon du train)
Quand le mari n'assume pas
- La prostitution masculine
- Host
- Sexless
- Conclusion
- Glossaire
- Chronologie de la jeunesse japonaise
depuis les années 1960
- Bibliographie
Avant -propos
On dit beaucoup de choses sur les jeunes Japonais,
mais que sait-on au juste sur eux ? La culture régressive
manga, otaku et kawaii s'est exportée contre toute attente
en Occident, mais que sait-on de ces gyaru aux cheveux
décolorés, dont la plasticité du corps permet d'arborer
—, selon les modes et les époques —, un look black, blanc ou
« tropical », et dont la peau, foncée aux UV, a pris toutes
les nuances possibles du caramel au beurre salé.
Où ces jeunes se situent-ils par rapport aux pays occidentaux
? Comme l'écrivait sur sa copie un étudiant qui
revenait du Vietnam : « L'été dernier, pour la première fois
de ma vie, je suis allé en Asie... »
Est-il exact de dire, comme me l'expliquait un sociologue
français, que les jeunes dorment d'un sommeil acritique
profond et que la diversité affichée de leurs cheveux
multicolores n'est que l'affaire d'un shampoing ?
C'est peut-être un peu vite dit, et c'est ce qui m'a donné
envie d'écumer tout ce qu'on pouvait dire et écrire à leur
sujet au Japon. On parlait de moratoire quand je suis arrivée
, on parle maintenant de rosu gene (génération perdue),
mais qu'entend-on au juste par ces termes ? Les jeunes
sont-ils victimes de l'ancien gouvernement Koizumi, et, si
tel est le cas, pourquoi ne se font-ils pas entendre ? Alors
que les émissions sur les nouveaux pauvres qui squattent
les cybercafés se multiplient, leur apparente « adaptation »
à la crise dissimule-t-elle une révolution à venir ?
Je me suis laissée guider par toutes ces interrogations,
sans être sûre d'avoir trouvé une réponse. Révolutionnaires,
ces jeunes ? Certes pas, mais il faut leur reconnaître une
certaine lucidité face à l'évaluation qu'ils font de la vie, de
leurs chances à venir.
Certains déconcertent par leur courage, comme ce jeune
absentéiste scolaire de 15 ans, qui a décidé de se reprendre
en faisant à pied (son matériel de camping sur le dos), les
1 400 kilomètres du long pèlerinage des 88 temples sacrés
du Shikoku
*L'expérience très touchante d'Okada Mitsunaga a été publiée dans Jû go
sai no « o henrô » : moto futôkô ga aruita Shikoku hachi jû hakkasho, Kôsaidô
shuppan, 2005.
.
Au hasard de la vie, j'ai rencontré des jeunes qui voulaient
prendre la tonsure, entrer dans le showbiz, remettre
les compteurs à zéro en changeant de travail, réfléchir au
sens de leur passage sur terre...
Ces jeunes, je les ai côtoyés pendant plus de vingt-cinq
ans que j'enseigne à l'université Sophia, au coeur de Tokyo.
Le grand bureau qu'on met à notre disposition permet aux
étudiants de venir se confier ou décompresser. Beaucoup
m'amusaient, d'autres me confiaient leurs secrets que
jamais je n'ai trahis. J'ai parfois le bonheur de voir déambuler
mon fan-club, un bébé dans une poussette, pour faire
une « remise à jour », comme ils disent. Autour d'un petit
café que je leur sers toujours, j'écoute leurs tribulations
en jouant à la maman avec leur dernier-né dans les bras...
On vient parfois me rapporter un livre que j'avais prêté
dix ans plus tôt (et que j'avais cherché des heures et des
jours durant !), mais je sais que ce n'est qu'un prétexte
pour venir se raconter. « Je passais dans le quartier, alors
je suis venu voir si vous étiez toujours là... Hisashiburi
desu ne (comme ça fait longtemps que nous ne nous sommes
vus !), dix ans peut-être ? » Les plus polis se croient
obligés d'ajouter : « Vous n'avez pas du tout changé ! En
revanche, j'ai du mal à reconnaître l'université ! Tous ces
nouveaux bâtiments... »
Je laisse venir, sans jamais brusquer, en préparant un
petit café ou un thé au jasmin...
Muriel Jolivet
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