La femme camerounaise

vue par Yvonne Léopoldine Akoa, magistrate camerounaise

Quelle est la situation de la femme au Cameroun ? Quelles sont les évolutions possibles pour celles qui constituent la majorité de la population du pays ? Yvonne Léopoldine Akoa, magistrate camerounaise, donne son point de vue.
(Interview réalisée par Isabelle Essono et parue dans le journal camerounais CRTV du 25/05/2008.)


Yvonne Léopoldine Akoa

Isabelle Essono : Le Cameroun est un état de droit, c'est une lapalissade. Notre Constitution est claire, elle prône l'égalité des droits entre les hommes et les femmes. Mais, malgré l'existence de textes de lois, des décrets, des institutions existantes, malgré l'adhésion de notre pays à différentes conventions internationales, la situation de la femme au Cameroun demeure préoccupante.

La femme Camerounaise ne participe pas pleinement aux prises de décisions politiques et économiques , son statut social ne lui permet pas toujours d'exercer pleinement sa volonté car, on lui a toujours enseigné qu'elle doit à tout prix et à tout instant sauvegarder son statut de mère et d'épouse. Que pensez vous de ce tableau madame la Juge ?



Des barrières d'ordres divers

Yvonne Léopoldine Akoa

*Yvonne Léopoldine Akoa, Magistrate,
Juge au Tribunal de 1ère Instance/ Yaoundé / Centre Administratif, Coordonnatrice Nationale de la commission « Droit de la famille »
« Association Camerounaise de Femmes Juristes » (ACAFEJ)
: Les barrières qui se dressent ainsi devant elle, empêchant son plein épanouissement sont de divers ordres : culturelles, religieuses, économiques mais aussi légales, malheureusement. Je vais essayer d'identifier ces barrières afin de proposer quelques solutions, si possible.

I. E : pouvez vous nous parler des barrières religieuses ?

Y. L. A : Qu'elle soit chrétienne ou musulmane, la religion reconnaît à la femme à titre principal, ses attributs de mère et d'épouse : obligation de soumission et obéissance. Il s'agit d'une injonction divine et toute défaillance de la part de la femme s'analyse en une insubordination et une mécréance.

Le Coran donnerait expressément pouvoir aux époux d'infliger des châtiments moraux et corporels à celles de leurs épouses qui sont récalcitrantes. La réprimande à l'égard des épouses désobéissantes consiste à leur interdire de partager le lit conjugal et à les frapper.

La 1ère chose sur laquelle l'épouse devrait rendre compte au jour de la résurrection sera la prière et son comportement envers son mari. N'est-il pas dit qu'il y'a 4 types de femmes qui iront en enfer, parmi lesquelles celles qui en l'absence du mari ne gardent pas leur chasteté ? La religion parfois est réticente à la scolarisation des filles , pour illustrer mon propos, je prendrai indifféremment des exemples tant dans la religion judéo-chrétienne qu'islamique

Le Pape Jean Paul II affirmait : « La vraie promotion de la femme exige que soit clairement reconnu la valeur de son rôle maternel et familial face à toutes les autres fonctions publiques et à toutes les autres professions » (Familiaris Consortio 1981).


Les rôles domestique et maternel de la femme privilégiés

Cette exhortation à accorder un privilège particulier au rôle domestique de la femme et à son rôle maternel, a conduit certains hommes d'église à exclure l'intervention de l'école moderne dans l'éducation de la femme.

Certains prédicateurs à l'instar de Modibo de Kakatare (mosquée centrale de Maroua

*Une des principales villes du Cameroun
estime que c'est une hérésie que d'envoyer une fille à l'école moderne : «Si un musulman inscrit sa fille à l'école moderne, c'est qu'il déteste l'Islam car, l'école moderne détourne la jeune fille du chemin de Dieu au profit de Satan, elle n'y récolte que des visées perfides».

Malheureusement, dans plusieurs communautés religieuses, on continue de croire et de faire croire que c'est lorsqu'une fille aura été éduquée à aimer son mari, à l'honorer, à le soigner, le consoler, le servir et lui donner des enfants qu'elle sera une bonne femme telle que le veut la religion et pourra espérer avoir accès au paradis. Pour terminer, certains musulmans pensent que l ‘exercice d'une activité commerciale par la femme est une abomination.

La religion s'y opposerait en prescrivant au mari l'obligation d'assurer l'entretien de son épouse et de pouvoir au bien-être de la famille.

I. E : Madame la Juge, quelles sont les barrières politiques et institutionnelles pour l'évolution de la femme dans notre pays ?

Y. L. A
: Au Cameroun, les femmes sont plus nombreuses que les hommes et devraient constituer une véritable force politique capable de faire la différence, du fait qu'il est plus facile de les mobiliser.


La seule alternative : la solidarité de genre

Elles participent auprès des hommes à la vie des organisations, mouvements ou partis politiques pour la conquête du pouvoir. Mais, force est de constater qu'elles sont en réalité une masse de manœ,uvre électorale : pendant la période électorale, elles font l'objet de toutes les sollicitations. Une fois le pouvoir conquis, leurs préoccupations et aspirations ne constituent plus une priorité pour les décideurs.

La seule alternative pour les femmes reste aujourd'hui la solidarité de genre, pour exiger l'application du jeu démocratique, se constituer en groupes de pressions forts, sachant poser des conditions en se donnant des moyens d'obliger ceux qui sollicitent leurs suffrages à remplir leurs obligations après.

Pour cela, une solution : renforcer leurs capacités en stratégies et éducation politique. Dans l'histoire ou la socio-politique du Cameroun, les femmes ministres ont surtout dirigé des ministères sociaux..... Jamais encore un ministère de souveraineté, où s'exerce le véritable pouvoir politique ou économique (Défense, Affaires Etrangères, Finances, etc.) ça peut changer.

I. E : Nous savons tous que la femme camerounaise est dynamique, mais qu'est-ce qui freine son évolution sur le plan économique ?

Y. L. A : Les obstacles à l'amélioration des conditions de vie et du statut social des femmes sont nombreux.


Une forte activité dans le secteur 'informel'


La division sexuelle du travail et, l'absence de reconnaissance ou de valorisation du rôle économique des femmes sont la première source de discrimination économique. Parce que les femmes sont généralement actives dans le secteur dit informel, au sein duquel elles ont des activités génératrices de revenus qui accroissent les revenus familiaux ou sont, dans certains cas la seule source de revenus des ménages, parce qu'elles assurent tous les travaux de reproduction de la famille et qu'elles participent à tous les travaux de production non rémunérés, le rôle économique des femmes est marginalisé. On les considère comme consommatrices et non comme productrices.

- a) Dans le secteur agricole :

Il est rare que les femmes qui travaillent la terre soient des propriétaires où aient accès au crédit, aux techniques et services de vulgarisation. De plus, elles sont surtout responsables de la production vivrière, donc du secteur non rentable ou non monétaire de l'agriculture.

- b) Dans le secteur commercial :

Les femmes y sont très dynamiques et pourraient assurer le leadership mais, leurs efforts pour émerger sont contrecarrés par des difficultés relatives à l'accès aux crédits.

Enfin, l'analphabétisme, l'absence de formation et de qualification professionnelle font des femmes une main d'œ,uvre abondante et à moindre coût.

C'est par l'acquisition de connaissances et d'aptitudes que les femmes viendront à bout de la pauvreté et de la misère contribuant au développement des individus, des familles et des communautés.


Des dispositions législatives discriminatoires

I. E. : La question qu'on est en droit de se poser aujourd'hui Madame la Juge, est la suivante : après l'entrée en vigueur de la CEDEF

* ( CEDEF : convention sur l'élimination de toutes formes de discriminations à l'égard des femmes , convention ratifiée par le Cameroun en 1994)
, au Cameroun, existe-t-il encore des dispositions législatives discriminatoires, nous voulons dire constitutives d'une entrave à l'évolution positive du statut social de la femme Camerounaise au sens de l'article 1er de la CEDEF ? En un mot quelles sont les barrières législatives actuelles ?

Y. L. A : Les limites législatives tiennent tantôt à un vide juridique qui laisse la place à tous les abus, tantôt à une ambiguïté des textes source d'extrêmes dérapages ou tout simplement à des dispositions iniques délibérément votées par le législateur Camerounais.

- a) En matière civile, «les fiançailles» ne sont pas réglementées, et les femmes victimes de rupture abusives de fiançailles ont bien des difficultés devant les juges a trouvé un fondement légal à une action en réparation d'un quelconque préjudice. Elles sont contraintes de trouver comme base l égale l'Art. 1382 du code civil sur la responsabilité civile délictuelle.

Les imprimés actuels d'acte de mariage sont ainsi conçus qu'on ne distingue pas très bien ce qui est régime des biens de ce qui est la forme matrimoniale, toute situation qui permet à certains officiers d'état-civil de déclarer des conjoints mariés, tout en les renvoyant à la réflexion, (s'agissant de la forme matrimoniale à choisir) , laissant de ce fait un blanc dans l'acte de mariage....

La Cour Suprême du Cameroun a depuis tranché le débat : en cas d'omission de la forme de mariage sur un acte, le droit commun est la polygamie. Vous voilà mariée, malgré vous, sous le régime polygamique.

Le législateur Camerounais n'a pas réglementé la polygamie. Une épouse qui a un an de mariage pourrait prétendre lors de la liquidation de la communauté après le décès du mari, aux mêmes droits que celle qui a 20 ans de mariage. Il faut dire que les juges essayent du mieux qu'ils peuvent à rendre à chacune ce qui lui revient de façon équitable.

Les dispositions ambiguës sont complétées par les dispositions iniques. Nous nous attardons sur quelques unes ,

Nous pensons en réalité que le point de départ de toutes les violations des droits de la femme dans sa sphère privée est l'article 213 du Code Civil duquel il résulte que l'époux est le chef de la famille. Ces dispositions violent l'article 16 (c et h) de la CEDEF qui enjoignent aux Etats-parties d'assurer sur la base de l'égalité de l'homme et de la femme, les mêmes droits et les mêmes responsabilités au cours du mariage.


Substituer la notion d'autorité parentale à celle de puissance paternelle

C'est parce qu'il est le chef de famille que c'est lui qui détient la puissance paternelle. En fait, c'est lui qui distribue les bons points et les mauvais points. C'est lui qui violente, je voudrais dire corrige femme et enfant insolents ou têtus : c'est le chef.

La notion d'autorité parentale doit être substituée à celle de puissance paternelle afin de nous conformer aux dispositions de l'article 16 (d) de la CEDEF.

Les articles 1421 et suivants du code civil donne au chef de famille, le mari, les pleins pouvoirs pour gérer, disposer, aliéner, vendre librement les biens de la communauté sans le consentement de son épouse. Le mari administre seul tous les biens personnels de la femme sur lesquels il prend toutes les décisions qu'il veut, exerce toutes les actions mobilières et possessoires qui appartiennent à la femme sans son consentement. Evidemment, la femme ne peut engager la communauté que pour les dettes du ménage.

Par ailleurs, les amendes encourues par le mari peuvent se recouvrer sur les biens de la communauté alors que celles encourues par la femme ne peuvent s'exercer que sur la propriété de ses biens personnels tant que dure la communauté (article 1564 du code civil).

Pour combattre les dispositions iniques des articles 1421 et suivant du code civil en attendant l'avènement du nouveau code de la famille, les femmes doivent devant les juges, invoquer et se prévaloir des dispositions impératives de l'article 15 (2) de la CEDEF qui énoncent que les Etats-parties reconnaissent à la femme, en matière civile une capacité juridique identique à celle de l'homme et les mêmes possibilités pour exercer cette capacité. Ils lui reconnaissent en particulier des droits égaux en ce qui concerne la conclusion de contrat et l'administration des biens.

C'est l'article 16 (h) de la CEDEF qui doit être invoqué pour contrecarrer les dispositions iniques de l'article 559 du code du commerce, qui sont une entrave à la libre jouissance de l'épouse du commerçant en faillite de ses biens personnels.

S'agissant toujours des dispositions législatives discriminatoires en matière civile, nous avons l'article 506 du code civil qui dispose en substance qu'en cas d'interdiction judiciaire de la femme, le mari est de droit le tuteur de cette dernière, alors que la femme mariée si elle peut être nommée tutrice de son mari interdit judiciaire doit obligatoirement être assistée du conseil de famille (article 507 du code civil). Le législateur Camerounais s'est senti obligé de lui donner un « ange-gardien ».


L'accord de l'époux...

- b) En matière sociale, s'il est vrai que l'Acte Uniforme a résolu pour la femme commerçante le problème posé par l'article 74 de l'ordonnance de 1981, s'agissant du droit conféré au mari de s'opposer à l'exercice d'une profession séparé de sa femme, il n'en demeure pas moins vrai que cet article, discriminatoire, continue d'exister et peut encore causer de graves préjudices aux femmes , il doit être abrogé.

L'article 4 de la CEDEF autorise et recommande aux Etats-parties de prendre des mesures discriminatoires positives en faveur de la femme. Ces mesures seront abrogées dès que les objectifs en matière d'égalité de chances et de traitement seront atteints.

Donc, en matière de droits civil et politique de la femme, pourquoi ne pas légiférer sur un système de quota qui régirait la participation des femmes à la vie politique ? En tout cas cette loi serait conforme à la CEDEF.

Je voudrais ici, en matière de santé reproductive de la femme, interpeller non pas le législateur, mais spécialement les médecins qui violent les textes en exigeant systématiquement l'accord de l'époux, pour pratiquer sur le corps de la femme une stérilisation définitive.

Ils donnent à la femme un imprimé conçu par nous ne savons pas trop qui, mais, sur lequel le mari doit signer. Important : Si la malheureuse n'arrive pas à convaincre son mari, le médecin refuse de pratiquer l'opération même si manifestement toute autre maternité mettrait la vie de la femme en danger.

L'art.16 (d) de la CEDEF est pourtant clair, qui reconnaît à la femme le droit de décider librement du nombre des naissances , mieux, il faudrait que ces médecins sachent qu'ils peuvent sur le plan pénal, être l'objet de poursuites pour «refus d'un service dû» article 148 du code pénal.

- c) En matière pénale, la discrimination posée par l'article 361 du Code Pénal en ce qui concerne l'adultère de la femme est assez étonnante : l'adultère de la femme mariée consiste à avoir des relations sexuelles avec un autre homme que son mari alors que l'homme ne commet l'adultère que s'il a des rapports sexuels avec une autre femme que son ou ses épouse(s), soit au domicile conjugal, soit de manière habituelle hors du domicile conjugal.

Par ailleurs, le législateur pénal a omis de protéger la femme spécifiquement, s'agissant d'une catégorie particulière des atteintes à son intégrité physique que la doctrine qualifie unanimement de «violences domestiques».
Il faut dire que la «Déclaration de 1993», premier instrument de protection des femmes contre la violence définit la violence comme étant :
«Tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles, ou psychologiques y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée.».

Les atteintes à l'intégrité physique et psychologique des femmes non sanctionnées par le législateur sont entre autres : le viol conjugal (que certains justifient par l'obligation de cohabitation), la répudiation, les différents attentats à la pudeur (fellation, sodomie qui est une forme de viol), les mutilations genito-feminines qui sont encore pratiquées dans les provinces de l'Extreme-Nord, du Sud-Ouest et de l'Est, le harcèlement sexuel, les rites violents de veuvage

Il est urgent pour un avenir de la femme Camerounaise plus sûr, que notre législateur se penche sur ce vide juridique.


Des stratégies de changements

I. E. : Au regard de toutes ces barrières de divers ordres qui se dressent ainsi devant la femme camerounaise et qui entrave son plein épanouissement quelles sont les stratégies pour que cela change ?

Dans le processus du combat contre la discrimination à l'égard des femmes la société civile (ONG et Associations) a un rôle fondamental à jouer et, doit prendre ses responsabilités sur le plan socio-culturel, religieux que économique.

Sur le plan économique, secteur si sensible, elle doit participer à la revalorisation du travail et des activités des femmes et à sa reconnaissance comme une contribution indispensable au développement de la société. La société civile peut y arriver, à condition que les pressions qu'elle exerce soient de plus en plus fortes.

Elle doit sensibiliser ses membres sur la nécessité de transformer les rapports sociaux entre les genres. L'objectif est de faire accepter aux populations que ces rapports relèvent plus des croyances sociales que d'un déterminisme biologique, une fatalité, et qu'ils sont établis au détriment des femmes.

Sur le plan politique, la société civile peut former des cadres politiques et syndicaux féminins aux fonctionnements des mécanismes institutionnels et juridiques. En tout état de cause, une éducation juridique est nécessaire. Pour cela, la simplification et la traduction dans des langues nationales des textes juridiques, s'imposent afin de les rendre plus accessibles et plus compréhensives.

De simples appels pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes n'émeuvent ni les gouvernements, ni les particuliers, à moins qu'ils ne soient suivis de plans bien conçus pour améliorer la condition féminine , sinon ils ne servent à rien.

Le problème posé par les dispositions législatives existantes et protectrices des droits des femmes, reste leur applicabilité du fait de leur méconnaissance par une grande majorité des femmes : les femmes que sont censées protéger ces lois, ignorent purement et simplement leur existence.

D'ailleurs, même lorsqu'elles sont informées, les femmes sont réticentes à utiliser les recours en justice à cause des pesanteurs sociales et culturelles mais aussi à cause des dépenses qu'occasionnent les actions en justice. Elles arrivent pour la plupart à trouver péniblement des subsides au quotidien, alors aller en justice défendre leurs droits ?! C'est un luxe qui n'est pas à leur portée. Enfin, les lois coutumières et religieuses contredisent souvent les lois civiles et finissent par l'emporter sur les politiques gouvernementales.

Je m'en voudrai de terminer notre entretien sans attirer l'attention de ceux qui ont la charge de la relecture de l'avant —, projet du Code de la Famille sur l'impérieuse nécessité de conformité du futur Code de la Famille avec, aussi bien, la CEDEF que la CDE, (convention sur les droits de l'enfant). Ces deux instruments de protection des droits des femmes et des enfants régulièrement ratifiés et promulgués par le Cameroun ont une valeur normative supérieure à nos textes internes et, les juges camerounais ne manquent pas de le relever dans leurs décisions à chaque fois qu'ils en ont l'occasion.


Isabelle Essono

CRTV

Par Nicole Salez

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