Le refuge : Entretien avec Isabelle Carré

La comédienne Isabelle Carré revient sur le film de François Ozon qu'elle a tourné pendant qu'elle était enceinte. Entretien.




Comment avez-vous vécu l'expérience de tourner enceinte ?


Normalement quand je joue, j'aime prendre mon temps. Là, j'étais tout le temps pressée ! Pressée d'avoir du temps pour moi, de me reposer. L'idée était vraiment de protéger mon enfant. Je n'étais pas vraiment concentrée sur le film, finalement...

En même temps, il me reste une sensation très
précise de mon personnage, de comment elle était, du plaisir de jouer,
de l'angoisse, de la fatigue parfois. Tout cela forme un tableau plein de
couleurs, très denses.

Au début du tournage, j'étais un peu méfiante vis-à-vis de François, mais au fur et à mesure des jours, j'ai vu qu'il était à l'écoute, même si parfois, je lui reprochais de ne pas l'être assez sur ma fatigue physique. Je l'ai engueulé comme du poisson pourri, une fois ! On escaladait les dunes, il n'y avait plus de rampe, j'étais très fatiguée ce jour-là. Et puis j'avais peur pour le bébé.


Et sa manière de vous diriger ?


Il a une manière très naturelle d'être sur le plateau. Il ne prend pas de
pincettes, il est très simple, honnête. Sa direction d'acteur est précise, il
donne beaucoup d'indications de gestes, de regards... Il laisse aussi la place à l'improvisation, si on a envie de rajouter quelque chose.

Pour moi, il a un côté boulimique dans son appétit de cinéma, de tourner
beaucoup. On a l'impression qu'il a grandi au milieu des films, le cinéma
est son domaine. En même temps, on peut avoir un rapport franc avec lui, il entend les critiques sans se vexer. Il est dans le travail, il a un rapport sain et équilibré à son métier.




Comment ressentez-vous le rapport à la maternité de Mousse ?


Mousse est dans le déni de sa maternité, la présence d'un bébé dans son
ventre est d'avantage celle de l'homme, qui est mort et qu'elle aimait.
Inconsciemment, elle fait une sorte de transfert d'une présence disparue vers son bébé à naître.

Comme j'étais tout le contraire de Mousse, ça m'a plu que François veuille me changer physiquement, me faire une frange, que je sois très maquillée à certains moments, que je porte des boucles d'oreilles, des tatouages... Ça me permettait de mettre à distance le personnage. Il y avait aussi la façon dont il me faisait jouer. Il voulait toujours que je regarde dans le vague, que je baisse la tête. Alors que moi dans la vie, j'ai plutôt tendance à regarder en l'air, à être d'un naturel très souriant, optimiste...




Comment êtes-vous entrée dans la peau d'une future mère droguée ?


François m'a demandé de parler à un médecin, de ce que ça représente d'être droguée et enceinte. Je l'appelais dès que j'avais une question. Il m'a raconté des choses très concrètes, qui m'aidaient dans mes gestes, mon comportement.

Comme le fait de prendre de la Méthadone ressemble à boire du sirop. Et donc on a envie de passer ensuite sa langue sur ses lèvres, de se rincer la bouche...

Il m'a aussi dit que boire une bière décuple l'effet de la méthadone.
Du coup, on a fait boire des bières à Mousse, qui la désinhibent. Je lui ai aussi demandé si la prise de méthadone fragilisait. Au contraire, elle annihile les pics d'humeur. On est plus flottant, plus constant. Tous ses renseignements m'ont aidée pour imaginer l'état et les émotions de Mousse.


C'est la première fois qu'on vous voit dans la peau d'un personnage
aussi dur...


Oui, ça m'intéressait beaucoup de rompre avec la douceur, l'enfance. Ou
même un côté poli, un peu lisse. J'ai hâte qu'on me voie au-delà de mon
visage enfantin. Je n'ai aucune envie de jouer les vieilles petites filles toute ma vie !

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Par Laure Menanteau

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