Musée Branly - Autres Maîtres de l'Inde

Créations contemporaines des Adivasi

C'est un autre visage de l'Inde que propose le musée du quai Branly avec cette exposition : l'Inde des populations autochtones et des communautés 'folk', dites 'adivasi' ('premiers
habitants' en sanskrit). Les pièces exposées, auxquelles s'ajoutent photographies, gravures, documents d'archives, offrent
une palette de couleurs et de matières prodigieuses : bronzes bastar, bas-reliefs d'argile des femmes de Chhattisgarh, peintures rathava, sculptures en bois bhuta... Du 30 mars au 18 juillet 2010.




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Répartis sur l'ensemble du territoire, les Adivasi, ces peuples méconnus qui maintiennent leurs traditions artistiques produisent des œ,uvres plastiques étonnantes, tant utilitaires que sacrées, bien différentes des standards connus de l'art indien.
L'exposition montre ainsi leur vrai visage, et met en avant leurs surprenantes productions.


- Commissariat de l'exposition : Jyotindra Jain, Commissaire de l'exposition, historien d'art et anthropologue dans les
cultures populaires de l'Inde / Jean-Pierre Mohen, Commissaire associé de l'exposition, docteur d'Etat en Préhistoire, et
conservateur général du Patrimoine.
- Conseiller scientifique de l'exposition : Vikas Harish, historien de l'art indien et muséologue.
- Scénographie de l'exposition : Agence Fantastic —, Stéphane Maupin.


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Stéphane Martin, président du musée du quai Branly

Editorial de Stéphane Martin :

À l'écart des castes et des communautés hindoues les plus importantes, vivent encore aujourd'hui
des peuples isolés dans des zones montagneuses ou forestières, détenteurs de traditions séculaires
et de pratiques culturelles subtiles.
Il y a encore peu de temps, seules les grandes civilisations étaient accueillies dans les musées. Une
exposition telle que Les Magiciens de la Terre, en 1989, a modifié le regard que l'on pouvait porter
sur l'histoire et elle a également mis l'accent sur la pluridisciplinarité comme tremplin à de
nouveaux champs d'expérimentation. Son impact fut international et dans son sillage, Others
Masters : Five contemporary folk and tribal artist from India
, en 1998, contribua également à ce que
la création de peuples autochtones jusqu'alors méconnus sortent de l'ombre.

Malraux l'avait pressenti : « Ce n'est pas notre perspicacité, qui nous révèle dans les plus grands
artistes des civilisations disparues, le pouvoir tantôt délibéré, tantôt subordonné, tantôt ignoré
d'eux-mêmes (et effacé pendant des siècles) par lequel leurs oeuvres nous atteignent : c'est l'entrée
en scène de l'art mondial. »
À l'aune de la mondialisation, ce carrefour de peuples, cette multiplicité de mondes dans un même
pays, tend à évoluer dans le sens de la reconnaissance sans pour autant perdre son intégrité
culturelle.

Le musée du quai Branly poursuit sa mission en exposant l'art des populations adivasi (« premiers
habitants » en sanskrit). Il rend ainsi hommage à la mémoire d'un peuple sans sacrifier à
l'immanence du sacré dans un pays fortement attaché à ses traditions et à ses croyances religieuses.
Les pièces exposées, auxquelles s'ajoutent photographies, gravures, documents d'archives, offrent
une palette de couleurs et de matières prodigieuses : bronzes bastar, bas-reliefs d'argile des femmes
de Chhattisgarh, peintures rathava, sculptures en bois bhuta... Quelques-unes proviennent des
collections du musée du quai Branly, d'autres appartiennent à des particuliers ou à des institutions
publiques que je remercie infiniment pour ces prêts exceptionnels.
Par ailleurs, cette manifestation a été l'occasion de lancer des commandes de pièces traditionnelles,
réalisées pour certaines dans des villages, pour d'autres exécutées devant le public dans un espace
de l'exposition qui leur a été spécialement dédié.
Une politique d'ouverture, ces dernières années, et l'accès à de nouvelles techniques ont incité des
artistes indiens contemporains, oscillant entre tradition et modernité, continuité et rupture, à
passer de la tradition collective à une expression plus individuelle.
C'est le cas par exemple de Jivya Soma Mashe (né vers 1930), d'origine warli qui bénéficia de
l'arrivée d'un nouveau support, le papier, pour explorer la peinture narrative et de Jangarh Singh
Shyam
(1962-2001), artiste gond fortement influencé par l'art aborigène d'Australie mais également
inspiré des mythes de sa propre culture.
Le commissaire de l'exposition, l'historien d'art et anthropologue Jyotindra Jain, s'était déjà
distingué avec une manifestation traitant de ce sujet au Crafts Museum de Delhi. Il nous apporte
aujourd'hui sa profonde connaissance et son extrême sensibilité.
Je lui suis particulièrement reconnaissant ainsi qu'à Vikas Harish, grand historien de l'art indien et
conseiller scientifique de cette exposition. Je souhaite aussi exprimer toute ma gratitude à Jean-
Pierre Mohen
, qui fut plusieurs années à nos côtés au musée en tant que Directeur du Patrimoine et
des Collections avant de rejoindre le musée de l'Homme dont il est actuellement Directeur de la
rénovation. Je le remercie infiniment pour sa précieuse contribution.
Grâce à leurs talents réunis, Autres Maîtres de l'Inde érige l'art tribal et populaire au rang d'art
mondial, patrimoine commun de l'humanité.
Stéphane Martin


Jyotindra Jain, Commissaire de l'exposition

Préface de Jyotindra Jain

Cette exposition évoque l'art et la culture visuelle des sociétés dites tribales et paysannes de l'Inde
rurale. « Autres Maîtres de l‘Inde » fait référence aux artistes tribaux et populaires, historiquement
« marginalisés » - académiquement et politiquement- d'abord par les commanditaires de l'art dit
« canonique » ou « classique », puis par ceux qui aujourd'hui travaillent dans les centres urbains
modernes.
Alors que l'histoire de l'art coloniale mentionnait les grands palais et les temples, elle ignorait
généralement l'Inde rurale. Lorsqu'après l'indépendance l'artisanat est développé pour créer des
emplois dans les villages et stimuler les échanges avec l'étranger, les créations tribales sont
catégorisées comme « produits commerciaux ». Cette classification ne concerne pas uniquement
l'art « industrialisé » colonial, mais également les objets rituels et votifs. Un résultat inattendu et
positif fut le détachement des femmes de la création rituelle traditionnelle pour une expression
visuelle individuelle novatrice.
L'adjectif « tribal » en Inde caractérise aujourd'hui plus de soixante millions de personnes vivant de
manière traditionnelle et isolée. Ils sont à l'origine issus de divers groupes à l'écart de l'organisation
sociale de la communauté dominante hindoue, tout en entretenant divers niveaux de contact avec
celle-ci. Le terme « tribu » n'a jamais été précisément défini après ou pendant la période coloniale.
La typologie raciale, l'isolement relatif, l'absence d'écriture ou des technologies archaïques, ainsi
que des différences de langage et d'institutions sociales, et enfin l'exclusion des castes hindoues
ont été vaguement utilisés comme critères. Le terme « tribal » caractérise ici les peuples listés
comme tels dans la Constitution indienne. Des artisans hindous fabriquent en outre souvent des
objets utilisés au sein des tribus : l'art tribal dans le contexte indien n'est pas seulement une
référence aux objets créés par les membres des tribus eux-mêmes, mais aussi à ce qui est produit à
leur usage. Le terme « populaire » est utilisé principalement pour les populations agricoles
hindouistes comme marqueur culturel et géographique.
La culture hétérogène des communautés tribales et paysannes est présentée dans cette exposition,
ainsi que ses mutations d'identité sous l'influence d'une modernité pénétrant leur quotidien par
diverses voies de contact et de communication. Elle étudie la nature de ces voies, et surtout la façon
dont les individus assument l'arrivée de la modernité dans leur culture orale et visuelle. C'est par le
transfert de cette mutation culturelle en imaginaire individuel qu'ils intègrent la sphère artistique.
L'exposition présente d'abord le regard d'autrui sur ces communautés, et se termine par les
expositions monographiques des artistes Jivya Soma Mashe et Jangarh Singh Shyam : un voyage à
travers la créativité rurale et tribale, de la tradition à la contemporanéité.




Jean-Pierre Mohen, Commissaire associé de l'exposition

Préface de Jean-Pierre Mohen

Plusieurs voyages d'études en Inde et des missions m'ont permis des contacts avec les musées
indiens et leurs responsables qui ont abouti à la découverte des sociétés indigènes, ancestrales,
essentiellement campagnardes : les « Adivasi ».
Ceux-ci forment des groupes autochtones aux cultures originales très variées, représentant en tout,
plus de 60 millions d'habitants répandus à travers le vaste territoire indien. Ces populations
indigènes et surtout les femmes ont la particularité de faire appel à des traditions culturelles très
fortes, sensibles en particulier au niveau des harmonies des vêtements de couleurs et en général
dans de nombreux artisanats mais aussi dans les motifs peints sur les murs de leurs maisons. Le
fond de collections intéressantes du Musée du quai Branly, provenant de l'Inde, en particulier les
bronzes, m'a inspiré pendant que j'y étais Directeur du Département du Patrimoine et des
Collections

*entre juillet 2005 et juillet 2008
, l'idée de cette exposition.
Dans le « Crafts Museum » de Delhi, conçu et anciennement
dirigé par Jyotindra Jain, celui-ci a consacré une salle
émouvante avec sur deux pans de mur, une peinture faite en
1990 et prélevée dans une chambre nuptiale de Kohbarghar
dans la province de Madhubani, région de Bihar. Cette
peinture est l'oeuvre d'une femme, Ganga Devi, qui a
représenté les symboles du mariage, de la fertilité ainsi que
des scènes mythologiques.
La peinture est magnifique, expressive, et son contexte est
tout à fait adapté au lieu mais aussi à cette femme qui
exprime la noblesse et la beauté de la situation, en se référant
à une déesse au visage peint en bleu, sous des arbres
luxuriants. Cette peinture est restée à Dehli, mais elle évoque
bien l'attention que ces populations traditionnelles apporte à
leur environnement quotidien, avec une finesse et un art
spontané qui marque la qualité de ces manifestations de la vie
quotidienne.



Chez ces groupes autochtones, les maisons construites en pisé, appliqué sur des armatures en bois,
reçoivent sur leurs parois intérieures ou extérieures des peintures blanches (poudre de riz), ou
rouge (ocre) plus ou moins élaborées, décoratives mais aussi protectrices des habitants de la
maison. Dans les cours, sur une couche de préparation à base de bouse de vache, des motifs
géométriques blancs, disposés en « rosace », ont pour but d'accueillir toute personne, de la maison
ou de l'extérieur. Ces peintures sont renouvelées chaque année, sauf en temps de deuil, qui dure en
principe un an. Ce sont les femmes, jeunes et plus âgées qui sont chargées de peindre ces signes
d'accueil et en même temps de prospérité en liaison avec quelque divinité tutélaire.
Nous pouvons aussi citer l'exemple très intéressant des Warli, dans l'Ouest de l'Inde, où
traditionnellement les femmes et les enfants peignent en blanc, des rondes de petits personnages
se tenant par la main ou participant aux activités villageoises. Ces figures humaines sont formées de
deux triangles opposés par l'un des angles, avec une tête ronde et des membres filiformes. Des files
de danseurs ayant le même profil, se trouvent déjà dans les peintures pariétales très anciennes du
site de Bhimbetka (Madhya Pradesh, au centre de l'Inde).
Dans la communauté des Warli, un homme, Jivya Soma Mashe, a développé à partir de l'inspiration
ancestrale, une peinture personnelle qu'il diffuse maintenant sur toile à travers le monde.
Fortement inspiré par la tradition de sa région d'origine, où il continue à vivre avec sa famille, il
contribue grandement à révéler la force et les subtilités d'une pensée sociale et religieuse, le culte
de la déesse étant souvent au centre de ses compositions, et à transmettre ainsi un magnifique et
puissant message universel.
Son exemple rayonne aujourd'hui à travers le monde et son style se reconnaît comme celui d'un
maître. Il est issu d'une société dont les femmes vivent aussi intensément ces peintures,
quotidiennement présentes, qu'elles peignent et repeignent dans le culte raffiné de la maison, du
village et de la vie.
D'autres styles, d'autres couleurs, d'autres messages divins se lisent sur les peintures figurées ou
symboliques que d'autres femmes de ces cultures traditionnelles de l'Inde s'appliquent à faire et
refaire selon les saisons, sur l'argile séchée des maisons et des cours. Ces subtilités de cultures si
raffinées, évidentes aussi dans les costumes féminins formés, de drapés et de voiles de couleurs
vives et complémentaires, soutenues par des bijoux à chaînettes d'argent, impliquent une maturité
forte et délicate qui nous laissent admiratifs.
Cette impression est d'autant plus forte, que ces traditions dans leurs variétés semblent pouvoir
être suivies depuis des siècles et nous avons été impressionnés de découvrir ces expressions
spirituelles, dans leur style et leur technique picturale régionales, liées à une vie traditionnelle et
cérémonielle souvent très riche.
Cette anthropologie des populations autochtones de l'Inde, nous confronte aussi bien à l'actualité
de ces groupes contemporains qui tentent de s'intégrer dans des structures modernes sociales et
professionnelles, encouragées récemment par l'Etat Indien, et en même temps préservant des
traditions identitaires indispensables à la survie de ces groupes.
L'exposition du Musée du quai Branly, montre cette dynamique des cultures, entre tradition
ancienne et adaptation aux contraintes contemporaines, c'est-à-dire l'élargissement des espaces
culturels, en même temps que la fidélité à des valeurs villageoises et des comportements sacrés
ancestraux de certains artistes indiens. Elle actualise ces richesses culturelles venues du passé dans
une modernité curieuse et admirative de ces traditions.


L'Inde autochtone - La situation tribale


En Inde, la culture dite « tribale » concerne plus de soixante millions d'individus qui vivent depuis
des siècles en Inde. Ils appartiennent à différents groupes raciaux, ethniques ou linguistiques
exclus de l'organisation sociale de la communauté hindoue dominante, sans pour autant n'avoir
aucun contact avec elle.
Les ancêtres de certaines de ces populations tribales sont peut-être les anciens habitants des
territoires qui composent l'Inde actuelle, raison pour laquelle on les appelle souvent Adivasi, ou
autochtones. Attestée depuis l'Inde ancienne, la question de l'identité tribale des groupes et de
leurs traditions artistiques a évolué au cours de l'histoire politique, économique, et politique du
pays.

- Brève histoire de l'Inde autochtone,
par Jyotindra Jain, Commissaire de l'exposition


En Inde, la question de l'identité tribale est quelque peu complexe. Selon d'anciens textes indiens,
de petits groupes de communautés homogènes —, tels les Shabaras , les Nishadas , les Kiratas ou les
Bhillas —, vivaient confinés dans les forêts, unis par le sang ou la langue et dotés chacun de sa propre
organisation sociopolitique, formant une jana, ou communauté.
Ces groupes vivaient en marge du système hindou du jati, couramment appelées castes. Avec le
temps et après d'interminables migrations et de nombreux mélanges socioculturels, il serait difficile
et vain d'assimiler l'identité de ces anciennes communautés à celle des tribus actuelles.
Cependant, il semble certain que les tribus des collines et des forêts avaient des contacts avec les
Hindous dans l'Inde ancienne.
À l'époque coloniale, la population de l'Inde était étudiée et répertoriée en « Peuples de l'Inde », ou
« castes » et « tribus ». Le terme « tribu » n'a jamais été défini avec précision, avant ou après
l'indépendance. La typologie raciale, l'occupation d'un territoire sur une longue période, le relatif
isolement des montagnes ou des forêts, un sens non-linéaire de l'histoire, l'absence d'alphabet et
de littérature, l'archaïsme des techniques de production, les différences d'un groupe à l'autre en
matière de langue, d'institutions sociales et de religion, ont vaguement servi de critères pour définir
certains groupes comme « tribus ».
En outre, le terme de « caste » a été couramment appliqué à des sous-groupes héréditaires à
l'intérieur de l'organisation sociale hindoue, sous-groupes marqués par les hiérarchies sociales que
reflétaient des termes aussi populaires que « castes supérieures » et « classes inférieures ». Ici, le
terme « tribal » est utilisé conformément à la définition officielle qu'en donne la Constitution
indienne.
Dans le but d'améliorer le sort des populations socialement et économiquement défavorisées, la
Constitution de la République de l'Inde fournit deux cadres : l'un pour les tribus, l'autre pour les
castes. Ces cadres sont actualisés de temps à autre par des amendements qui relèvent du Président
de l'Inde. La constitution ne fournit aucun critère permettant de déterminer qu'un groupe est une
tribu et semble recourir aux critères établis de facto pendant la période coloniale. De temps en
temps, ces listes sont mises à jour avec l'accord du Président indien, et d'autres groupes viennent
ainsi s'ajouter à la liste des populations intouchables.

- De l'objet 'autochtone' à l'objet d'art

Historiquement, la plupart des populations dites tribales indiennes ont vécu à proximité de leurs
voisins, hindous ou autres, favorisant ainsi les échanges culturels réciproques. À tel endroit, les
voisins les plus avancés d'un point de vue économique et technique ont influencé de diverses façons
les tribus autochtones (adivasi).
Ces tribus, quant à elles, ont souvent fait leurs les valeurs culturelles des premiers pour progresser
socialement, même si le système hindou des castes exclut toute assimilation sociale des tribus.
Néanmoins, localement, les paysans et les artisans hindous ont très fortement influencé
culturellement les communautés tribales tant d'un point de vue matériel que religieux et
mythologique.
En fait, en de nombreux endroits, ce sont les castes hindoues d'artisans et non les tribus ellesmêmes
qui réalisent les images cultuelles et les figures votives tribales, et font que les objets de la
vie quotidienne répondent parfaitement aux besoins de leurs clients tribaux.
L'art tribal renvoie donc non seulement aux créations propres aux tribus mais aussi aux
créations que d'autres ont imaginé pour ces mêmes tribus. Dans le cadre de cette exposition, le
terme « populaire », qui désigne principalement les paysans hindouistes (en l'occurrence, ceux qui
vivent près des tribus), est utilisé comme marqueur culturel et géographique plutôt que comme
critère de civilisation dont la nature est fluctuante.
Cela nous permet donc de parler aussi bien de « contemporain populaire » que de « contemporain
tribal ». Il faut toutefois noter que, dans une grande partie de l'Inde, les tribus et les communautés
villageoises hindouistes vénèrent les mêmes divinités régionales.
De même, le développement des traditions des tribus et des communautés paysannes voisines a été
grandement favorisé par d'autres influences culturelles exogènes telles celles liées au mode de vie
et aux institutions coloniales, mais aussi aux technologies industrielles et médiatiques modernes.
Cette exposition présente également la culture composite des communautés tribales et
paysannes dans l'évolution dynamique de leurs identités sous l'influence de la modernité qui
s'est imposée par le développement de formes de contact et de communication diverses.
Ces influences ont permis aux communautés autochtones d'adopter et d'adapter nombre de
particularités de leur environnement culturel contemporain, à commencer par la notion d'art.
Certains objets du quotidien, considérés comme des objets ethnographiques, sont devenus des
objets d'art : sans fonction au sein de la communauté, ils sont bel et bien produits dans un cadre
artistique, certains se sont révélés être des ouvrages exceptionnellement innovants qui ont franchi
la frontière du contemporain pour entrer dans le monde de l'art. Certains ont le statut d'oeuvres
d'art, fruit d'une expression individuelle et subjective. Cette catégorie d'objets qui reflètent le
visage contemporain des communautés de l'Inde autochtone occupe une place centrale dans
l'exposition.

- La représentation de l'autre,
par Vikas Harish, conseiller scientifique de l'exposition


Vers 1840, la photographie, technique alors récente en Europe, est introduite à Calcutta. Alors que
les dessins réalisés par les colons britanniques donnaient une image « européanisée » des Indiens, la
photographie est nécessairement fidèle à son sujet. Elle devient de ce fait rapidement la technique
choisie pour décrire les autochtones : l'administration coloniale souhaitant identifier et classer la
population indienne, une multitude de projets de recensement donne naissance à un nouveau type
de fixation photographique, « le portrait contextuel ».
L'anthropologie établit ainsi une homologie entre le sujet et son milieu, les individus étant souvent
représentés avec les outils propres à leur catégorie professionnelle —, un balayeur avec son balai, un
chasseur avec son arc et ses flèches. Photographiés de profil et de face, ils sont classifiés selon les
caractéristiques ethnographiques de leur physionomie. Ces études ne s'intéressent pas à l'individu
mais aux groupes, confondant souvent tribal et rural, castes supérieures et castes inférieures , elles
présentent une image déformée de l'Inde.
Des milliers de cartes postales photographiques illustrant courtisanes
indiennes et « filles dansant » sont à cette époque publiées comme
objets du désir masculin, soigneusement présentées dans des albums
qui font office de harems personnels pour les collectionneurs. En
1947, un nouveau genre de photographie voit le jour dans la foulée
de l'Indépendance. Fondée sur la bonne volonté née de l'admiration
et du respect de « l'Autre », cette photographie commence à
s'intéresser à l'Inde rurale et tribale dans son « innocence » et sa «
sensualité ».
Les images ne s'intéressent désormais plus au groupe en tant que tel,
mais à l'érotisation, souvent obscène, du corps féminin. Par le biais
du cinéma et de la publicité, l'Inde moderne s'empare elle aussi de
l'érotisation et de l'exotisme du « tribal » pour autoriser la nudité
dans un pays pour le moins prude.
Les tribus, même quand elles symbolisent la diversité culturelle du
pays à l'occasion des fêtes du Jour de la République, sont souvent
représentées sous forme de tableaux trompeurs inspirés par les
albums de photographie orientale et les dioramas des musées.



La description de l'identité tribale qui a caractérisé les clichés anthropologiques du début du siècle
est aujourd'hui au coeur de la photographie contemporaine. Les artistes font de la définition du
« tribal » -encore souvent établie par les castes supérieures- le sujet même de leurs images. Les
nouvelles aspirations à l'ascension sociale des communautés tribales et populaires constituent un
autre paradigme offert aux regards des photographes documentaristes actuels.


- Lire également : Autres maîtres de l'Inde : Parcours de l'exposition
--------------------------------------------------------------------------------------------- Autres maîtres de l'Inde - Créations contemporaines des Adivasi
- Musée du quai Branly
- 30/03/10 - 18/07/10
- Galerie Jardin
- www.quaibranly.fr
- Tél : 01 56 61 70 00 / contact@quaibranly.fr
- Horaires d'ouverture :
Mardi, mercredi, dimanche : de 11h à 19h - Jeudi, vendredi, samedi : de 11h à 21h -
Fermeture hebdomadaire le lundi, sauf durant les petites vacances scolaires (toutes zones)
- Accès : L'entrée au musée s'effectue par les 206 et 218 rue de l'Université ou par les 27 ou 37 quai Branly,
Paris 7e. Accès visiteurs handicapés par le 222 rue de l'Université.



Par Nicole Salez

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