Prix Renaudot 2009 à Frédéric Beigbeder pour ”Un roman français” (Grasset)

Frédéric Beigbeder a reçu le Prix Renaudot 2009 pour 'Un roman français' (Grasset), le 2 novembre 2009. L'idée de ce livre lui est venue le 20 janvier 2008, quand il était en garde à vue au commissariat du 8ème arrondissement de Paris. Comme quoi la garde à vue peut être source d'inspiration et de récompense !




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Frédéric Beigbeder a reçu le Prix Renaudot 2009 pour 'Un roman français' (Grasset), le 2 novembre 2009. Il a été élu au cinquième tour avec sept voix contre une pour Vincent Message (Les Veilleurs), une voix pour Véronique Ovaldé (Ce que je sais de Vera Candida) et une pour Justine Lévy (Mauvaise fille). Le trublion de l'édition française devenu l'un des piliers de la critique littéraire, obtient ainsi une nouvelle consécration pour son talent d'écrivain après avoir obtenu le prix Interallié 2003 avec 'Windows on the World'. Mais, écoutons-le plutôt s'adressant au lecteur de 'Un roman français'.


Un roman français

Au lecteur



L'idée de ce livre m'est venue le 20 janvier 2008, quand j'étais en garde à vue au commissariat du 8ème arrondissement de Paris. Pour oublier ma claustrophobie, je me suis réfugié dans le pays perdu de mon enfance. Je croyais avoir tout oublié, et puis...petit à petit, un monde m'est apparu. Je suis le fils d'une aristocrate limousine et d'un riche héritier américano-béarnais, mon enfance fut marquée par leur divorce en 1972. Mon paradis c'est la plage de Cénitz à Guethary, le parc de la Villa Navarre à Pau, la colline du château de Vaugoubert à Quinsac, les reflets verts des avenues de Neuilly et des allées du Bois de Boulogne : c'est un monde révolu. La France dans laquelle j'ai grandi n'avait rien à voir avec celle d'aujourd'hui, je la décris sans nostalgie, comme une contrée imaginaire, comme si mon passé était une fiction. Il m'a semblé redécouvrir quelque chose ou quelqu'un, une époque, une famille, un pays, mais je peux me tromper, je n'ai pas le recul nécessaire.

Après avoir écrit un roman qui se passait en Amérique et un autre qui se déroulait en Russie, je voulais sans doute rentrer chez moi , c'est souvent le cas des gens qui sont enfermés dans une cellule.

Bizarrement, depuis vingt ans que je publie des livres, je n'avais jamais parlé de mon passé. J'attendais peut-être, pour écrire ' Un roman français', de ne plus pouvoir faire autrement. Ou alors c'est plus grave : mon utopie est derrière moi.' Frédéric Beigbeder

Copyright © Éditions Grasset & Fasquelle


Extrait

Les ailes coupées

Je venais d'apprendre que mon frère était promu chevalier de la Légion d'honneur, quand ma garde à vue commença. Les policiers ne me passèrent pas tout de suite les menottes dans le dos , ils le firent seulement plus tard, lors de mon transfert à l'Hôtel-Dieu, puis quand je fus déféré au Dépôt sur l'île de la Cité, le lendemain soir. Le président de la République venait d'écrire une lettre charmante à mon frère aîné, le félicitant pour sa contribution au dynamisme de l'économie française : ' Vous êtes un exemple du capitalisme que nous voulons : un capitalisme d'entrepreneurs et non un capitalisme de spéculateurs. ' Le 28 janvier 2008, au commissariat du VIIIe arrondissement de Paris, des fonctionnaires en uniforme bleu, revolver et matraque à la ceinture, me déshabillaient entièrement pour me fouiller, confisquaient mon téléphone, ma montre, ma carte de crédit, mon argent, mes clés, mon passeport, mon permis de conduire, ma ceinture, mes lacets et mon écharpe, prélevaient ma salive et mes empreintes digitales, me soulevaient les couilles pour voir si je cachais quelque chose dans mon trou du cul, me photographiaient de face, de profil, de trois quarts, tenant entre les mains un carton anthropométrique, avant de me reconduire dans une cage de deux mètres carrés aux murs couverts de graffitis, de sang séché et de morve. J'ignorais alors que, quelques jours plus tard, j'assisterais à la remise de Légion d'honneur de mon frère au palais de l'Élysée, dans la salle des fêtes, qui est moins étroite, et que je regarderais alors par les baies vitrées le vent troubler les feuilles des chênes du parc, comme si elles me faisaient signe, m'appelaient dans le jardin présidentiel. Allongé sur un banc en ciment, aux alentours de quatre heures du matin, en ce soir noir, la situation me semblait simple : Dieu croyait en mon frère et Il m'avait abandonné. Comment deux êtres aussi proches dans l'enfance avaient-ils pu connaître des destins aussi contrastés ? Je venais d'être interpellé pour usage de stupéfiants dans la rue avec un ami. Dans la cellule voisine, un pickpocket tapait du poing sur la vitre sans conviction, mais avec suffisamment de régularité pour interdire tout sommeil aux autres détenus. S'endormir eût été de toute façon utopique car même quand les séquestrés cessaient de beugler, les policiers s'apostrophaient à haute voix dans le couloir, comme si leurs prisonniers étaient sourds. Il flottait une odeur de sueur, de vomi et de bœ,uf-carottes mal réchauffé au micro-ondes. Le temps passe très lentement quand on n'a plus sa montre et que personne ne songe à éteindre le néon blanc qui clignote au plafond. À mes pieds, un schizophrène plongé dans un coma éthylique gémissait, ronflait et pétait à même le sol de béton crasseux. Il faisait froid, pourtant j'étouffais. J'essayais de ne penser à rien mais c'est impossible : quand on enferme quelqu'un dans une niche de très petite taille, il gamberge affreusement , il tente en vain de repousser la panique , certains supplient à genoux qu'on les laisse sortir, ou piquent des crises de nerfs, parfois tentent de mettre fin à leurs jours, ou avouent des crimes qu'ils n'ont pas commis. J'aurais donné n'importe quoi pour un livre ou un somnifère. N'ayant ni l'un, ni l'autre, j'ai commencé d'écrire ceci dans ma tête, sans stylo, les yeux fermés. Je souhaite que ce livre vous permette de vous évader autant que moi, cette nuit-là.


Copyright © Éditions Grasset & Fasquelle

- « Un roman français »
- de Frédéric Beigbeder
- Éditions Grasset
- 282 pages
- Parution le 20 août
- 18 €


Biographie

Source Wikipédia

Frédéric Beigbeder naît dans une famille d'origine béarnaise. Sa mère, Christine de Chasteigner de La Rocheposay, est traductrice littéraire (romans de Barbara Cartland, par exemple) et son père, Jean-Michel Beigbeder, est recruteur (« chasseur de têtes »). Son frère, Charles, est le fondateur de la société de courtage en ligne Selftrade, puis de la société Poweo. En avril 1979, âgé alors de treize ans, il fait une apparition sur TF1, interviewé sur la science-fiction lors de l'émission Temps X des frères Igor et Grichka Bogdanoff.

Il effectue sa scolarité aux lycées Montaigne et Louis-le-Grand à Paris. Diplômé de Sciences Po Paris (section service public), il achève ses études par un DESS en marketing —, publicité au Celsa. En 1990, âgé de vingt-cinq ans, il publie son premier roman, Mémoires d'un jeune homme dérangé. Il devient ensuite concepteur-rédacteur dans l'agence de publicité CLM/BBDO tout en étant critique littéraire ou chroniqueur nocturne dans les magazines Elle, Paris Match, Voici ou encore VSD. Il fait également partie de l'équipe des critiques littéraires de l'émission Le Masque et la Plume et de Rive droite / Rive gauche sur la chaîne câblée Paris Première.
En mai 1991, il épouse Diane de Mac Mahon avant de divorcer en mars 1996.

En 1994, paraît son deuxième roman, Vacances dans le coma puis, en 1997, L'amour dure trois ans, qui clôt la trilogie de Marc Marronnier. Suit un recueil de nouvelles chez Gallimard en 1999, Nouvelles sous ecstasy. L'année suivante, Beigbeder est licencié pour faute grave de chez Young & Rubicam, peu après la parution de son roman satirique 99 francs (depuis réintitulé 14,99 € puis 6,20 €) qui se vend à 380 000 exemplaires, roman qui épingle les travers de la publicité. Le roman est adapté au cinéma par Jan Kounen, dans un film sorti le 26 septembre 2007. L'écrivain, qui a participé activement à l'écriture du film et au tournage, y joue également un petit rôle.

Entre-temps, Frédéric Beigbeder obtient sa propre émission littéraire, Des livres et moi, sur Paris Première. En 2002, durant la campagne présidentielle, il s'occupe de la campagne médiatique du candidat du Parti communiste, Robert Hue. La même année, il accepte de co-animer avec Jonathan Lambert une émission quotidienne d'access prime-time sur Canal+, l'Hypershow, qui compte moins de 500 000 téléspectateurs en moyenne et dure moins de trois mois.

En 1999 naît sa fille Chloé de son union avec Delphine Vallette. En janvier 2003, Flammarion propose à l'écrivain de passer « de l'autre côté du miroir » et de devenir éditeur. Le premier roman qu'il choisit s'appelle Une fièvre impossible à négocier de Lola Lafon, sur son engagement alter-mondialiste et son appartenance au groupe anarchiste des « Black Blocs ». En trois ans, il publie environ vingt-cinq livres pour le compte de Flammarion, avant de quitter ses fonctions en 2006.

Son roman Windows on the World, qui se déroule dans les tours jumelles du World Trade Center durant les attentats du 11 septembre 2001, reçoit le prix Interallié en 2003, et sa traduction anglaise (par Frank Wynne) est récompensée de l'Independent Foreign Fiction Award en 2005. Il publie en 2005 L'Égoïste romantique et, en 2007, Au secours pardon (suite des aventures d'Octave, le héros de 99 francs).

Entre septembre 2005 et mai 2007, il est chroniqueur dans Le Grand Journal, présenté par Michel Denisot.

Frédéric Beigbeder est également animateur de l'émission hebdomadaire de critique littéraire et cinématographique Le Cercle sur Canal+ Cinéma et est par ailleurs chroniqueur à Lire et intervieweur pour GQ.

Le 29 janvier 2008 à Paris, l'écrivain a été surpris par des policiers en train de 'sniffer' de la cocaïne sur le capot d'une voiture peu après 3 heures du matin dans le VIIIe arrondissement de Paris. Accompagné d'un ami d'infortune, Fred tente de fuir à la vue des policiers. Mais ils sont vite ratrappés et interpellés. Dans les poches de l'écrivain, la police a trouvé deux sachets contenant l'équivalent de 2,6 grammes de cocaïne, selon TF1.LCI.fr. Ils seront relachés le surlendemain. Cet épisode sera à l'origine d'une polémique impliquant le procureur de la République de Paris : Jean-Claude Marin est, en effet, placé « en détention non provisoire » au chapitre 27 du Roman français de Frédéric Beigbeder, paru le 18 août 2009 chez Grasset. Invoquant la peur des conséquences judiciaires, l'éditeur demande à l'écrivain de retirer certains passages du livre. Ce que l'écrivain fait sans broncher. Il s'agit d'un des rares cas d'autocensure de la part d'un écrivain français ces dernières années. Cet épisode douloureux pour la liberté d'expression a laissé des traces sur le CV du critique littéraire de Voici mais ne l'a pas découragé de concourir pour le Renaudot. Il n'avait pas été sélectionné pour le Goncourt... Le 2 novembre 2009, il reçoit le Prix Renaudot.

Frédéric Beigbeder a fondé le Prix de Flore en 1994 et préside son jury depuis lors. Ce prix a couronné notamment Michel Houellebecq, Virginie Despentes, Amélie Nothomb, Christine Angot et Guillaume Dustan. Il crée également le Prix Sade en 2001 avec Lionel Aracil et siège dans le jury du Prix Décembre.

Par Nicole Salez

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