Editions Flammarion
Avec 'Que le jour recommence', la journaliste Annie Lemoine publie son quatrième roman. Déménager, tout recommencer, espoir ou réalité ? Parution le 4 février 2009.

L'idée de déménager avait lentement mûri en elle sans plus jamais la quitter. Déménager. Comme on efface une ardoise d'un coup de chiffon. Tout recommencer. Et s'il le faut, s'inventer un passé, une histoire, des histoires. Une petite ville au bord de la mer. Stella s'y croit à l'abri, en paix. Quand un amour du passé surgit...
Ce roman sortira en même temps que la version poche du troisième
ouvrage d'Annie Lemoine, 'Les Heures chaudes' (éditions J'ai Lu).
Extrait
Les gens ne parlaient que de ça. Du dérèglement climatique. Du fait que l'homme 
avait cassé la machine et qu'il semblait bien incapable de la réparer. Les avis 
n'étaient même pas partagés. Aucun débat. Peut-être parce que cela aurait 
demandé de l'énergie et qu'il n'y en avait plus. Depuis deux ou trois jours, le 
mercure montait trop haut, il tuait jusqu'aux optimistes. On ne trouvait plus 
personne pour dire que cela allait s'arranger. Que cela redeviendrait comme 
avant. Avec de la neige certains hivers et une chaleur acceptable l'été. 
Personne pour le dire, personne pour le croire.
Stella avait renoncé au maquillage. Rien ne tenait sur la peau. Éliminé aussi le 
foulard chic. Il était posé devant elle, roulé en boule sur la table. Elle avait 
fini par capituler. Après avoir tenté de dompter une nature de cheveux rebelle 
accablée par trop de colorations successives, elle s'était décidée à abandonner 
tout type d'artifice. Elle n'avait plus la force peut-être même plus l'ambition 
de séduire.
Elle se posait pourtant encore la question : quel était celui, y en aurait-il 
un, qui arrêterait son regard sur elle assez longtemps pour qu'elle capte son 
intérêt et tente de composer un début de sourire ?
Elle pouvait toujours compter sur ses yeux pour accrocher. Ils conservaient 
l'éclat et l'intensité d'un bleu franc, rare, dont on lui avait souvent parlé. 
Certains avaient même du mal à soutenir son regard trop longtemps. C'était un 
bleu qui faisait vaciller. Stella avait des yeux dont on se souvenait.
Elle n'aurait jamais imaginé qu'elle échouerait là, dans ce troquet ringard, 
totalement démodé avec son coin restaurant en mezzanine, ses chaises 
capitonnées, une moquette marron à motifs orangés au sol - très Orly-Sud années 
soixante-dix - et une musique diffusée par des haut-parleurs bas de gamme, 
fatigués depuis longtemps. La F.M. locale, pubs comprises.
Ce n'était pas encore la pleine saison mais il y avait déjà beaucoup de monde. 
Ce matin-là, des habitués, de jeunes supporters dopés par la victoire de leur 
équipe la veille au soir. Une clientèle de passage aussi, des touristes 
étrangers qui se réjouissaient visiblement d'une ambiance si « typique ».
Le bruit des conversations des tables voisines, qui se mêlait à celui de la 
vaisselle, des rires et des chants au comptoir, lui tenait compagnie. Elle 
tendait l'oreille du mieux qu'elle pouvait pour essayer de deviner de quelle 
actrice parlait le couple assis à côté d'elle. L'homme avait l'air consterné :
 Tu te rends compte, le maître d'hôtel a dû la relever !
 Oui... C'était pourtant une belle femme...
Elle les passait toutes en revue se demandant laquelle avait été l'héroïne 
involontaire de cette scène qui avait tant choqué celui qui la rapportait. Elle 
se disait qu'elles étaient nombreuses à pouvoir prétendre au rôle. Toutes des 
folles. L'âge venant, les fêlures devenaient de véritables failles. Le métier 
n'arrangeait rien, il se chargeait d'achever le tableau, de souligner les traits 
de manière excessive, souvent pathétique. Elle savait, elle connaissait. Elle 
avait vu certains de ces monstres de près pour les avoir habillés sur divers 
longs métrages aux succès variés.
À un moment donné, elle n'avait d'ailleurs plus été capable de supporter la 
méchanceté qui, par crise, s'emparait de l'une de ces soi-disant « stars » avec 
qui elle avait l'habitude de travailler. Elle maltraitait régulièrement son 
entourage, choisissant de préférence des cibles faciles, vulnérables de par leur 
place dans la hiérarchie ou du fait de leur manque d'expérience dans la jungle 
de la vie professionnelle, maquilleuses, coiffeuses, assistantes, qu'elle 
assassinait les unes après les autres avec sa rage de vieillir.
Un dernier épisode pénible était venu couronner un parcours somme toute usant. 
Comme beaucoup de femmes, elle devait jongler entre une vie de famille et les 
exigences d'un métier sans horaires. Un jour qu'elle était arrivée très en 
retard après avoir déposé les enfants à l'école, elle avait été prise dans une 
manifestation, on lui avait dit sans égards ni considération de rentrer chez 
elle. Elle avait été remplacée pour la journée et on lui avait laissé entendre 
que cette nouvelle organisation se répéterait les jours suivants. La production 
avait trouvé nettement plus rentable d'utiliser une stagiaire pour terminer un 
film qui explosait son budget.
Quelques mois plus tard, elle avait eu la mince consolation de le voir sortir 
dans l'indifférence générale. Stella avait alors déjà décidé de se détourner 
définitivement du milieu. Elle avait tiré un trait sur une carrière de 
costumière dans le cinéma qui, après l'avoir beaucoup fait rêver, ne 
l'enthousiasmait plus vraiment.
Annie Lemoine est journaliste. Elle a déjà publié 'Vue sur mer' (2005), 'La Vie d'avant' (2006) (Prix Saint-Germain-des-Prés), 'Les heures chaudes' (2007), aux éditions Flammarion et 'En clair, comme à la télé' (2003)aux éditions Ramsay. 
- Que le jour recommence
- d'Annie Lemoine
- Editions Flammarion
- 13 cm x 21 cm 
- 144 pages
- Publication :4/2/2009
- 15 €
Par 
 
           
  



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