Retour du Brésil : Delphine Gigoux-Martin à Paris

A travers la sculpture, le dessin, l'installation, ou encore la vidéo, Delphine Gigoux-Martin s'appuie souvent sur la métaphore animalière pour interroger notre humanité et offrir un autre rapport au monde. Pour la première fois, la figure de l'homme fait son apparition dans son œ,uvre. L'artiste présente, jusqu'au 27 octobre à la galerie Metropolis, à Paris, les premiers travaux inspirés par un séjour dans les régions brésiliennes d'Amazonie et du Pantanal.

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la vague de l'océan


Chimères et histoires à dormir debout : le travail de Delphine Gigoux-Martin est le lieu de rencontres étranges et fortes. Par la grâce de ses œ,uvres, l'artiste confronte sans cesse le spectateur à des énigmes riches d'interrogations paradoxales.

Dans La Vague de l'océan, un renard s'essaie à l'envol avant de s'écraser contre un mur. Dans L'Arc est bandé et ajusté, évite la flèche, une biche tente d'échapper à un cerf en rut. Tous deux, naturalisés et inertes, prennent vie dans l'étendue du dessin ou du film d'animation. Par la projection d'images animées, l'artiste crée un moment de tension, de rupture. Elle élargit l'espace d'évolution et multiplie les pistes de narration. Le mouvement s'invite dans l'installation et, avec lui, cette vie qui a cruellement déserté le corps des animaux.



Née en 1972, Delphine Gigoux-Martin n'a pas voulu faire les Beaux-Arts, préférant étudier l'histoire de l'art. A 19 ans, la jeune artiste commence par exposer dans le « circuit alternatif », comme elle le décrit, greniers, caves et champs, au gré des invitations.

Dès ses débuts, elle s'est sentie libre dans ses orientations et ses moyens d'expression. Cependant, on n'échappe pas aux fondamentaux. Le dessin, et plus précisément l'étude de la décomposition du mouvement, a toujours occupé une place primordiale dans son travail. Un intérêt que la plasticienne exploite dans les vidéos projetées dans ses installations. Sur le principe du dessin animé, chaque vidéo est travaillée image par image, à l'ancienne. De même, les motifs couvrant les murs de l'exposition en cours à Paris sont reproduits à la main et au fusain par l'artiste.


La place de l'animal


L'animal, quant à lui, s'est imposé dès le départ. « J'ai depuis pu réfléchir sur la place de l'animal dans mon travail. Certes, le rapport entre l'homme et l'animal m'intéresse beaucoup. Mais ma recherche se situe en fait dans une réflexion plus vaste qui englobe nature et culture. Je ne vise absolument pas l'anthropomorphisme. »

Chez elle, la métaphore animalière sert à interroger notre humanité et les paradoxes absurdes qui habitent une société où le schéma social s'impose avec la même cruauté que l'ordre naturel. La hiérarchie du vivant et la prédation ne sont guère absentes de la comédie humaine , elles se placent juste à un autre niveau, moins carnassières et plus cyniques sans doute. Les abattoirs sont relégués loin des villes, même la mort animale n'a plus droit de cité dans le paysage des vivants. La taxidermie est d'ailleurs un choix audacieux de la plasticienne, plus ou moins bien reçu —, voire supporté —, par le public. « Les animaux que j'utilise proviennent d'abattoirs et de chasses, précise Delphine Gigoux-Martin. Je ne cherche pas à leur donner l'apparence du vivant. D'ailleurs, ils n'ont pas d'yeux. Ce geste symbolique n'est pas anodin, il agit sur le ressenti de la pièce. J'aime que mon travail provoque des émotions ambiguës. »



Dans la cuisine de notre inconscient



Car si la leçon est féroce, elle met en appétit. Les installations de l'artiste célèbrent aussi la fluidité d'une nature généreuse. Comme dans un récit initiatique, générosité et gourmandise vont de pair avec rire et cruauté. Aux imaginations enfantines, le conte de fées apporte la frayeur. Entre enivrement de la découverte et traumatisme de l'inconnu, l'art de Delphine Gigoux-Martin donne à voir ce qui se mijote dans la cuisine de notre inconscient.

Dans le bruissement des forêts profondes, une force ancestrale est à l'œ,uvre, une énergie première à laquelle il est bon de s'abandonner. On ne saurait désobéir aux ordres de la nature : il faut vivre, mourir, ne pas oublier le plaisir et avancer en confiance. « Le monde est tout tissé d'harmonie profonde », disait le poète Sandro Penna.

Delphine Gigoux-Martin crée ses dessins animés image par image, à raison de douze par seconde. Son trait elliptique, proche de l'esquisse, et la lenteur voulue du film créent une sensation de flottement, un espace méditatif. Elle s'attache cependant à une décomposition fine du mouvement et travaillait donc jusqu'à présent à partir de vidéos ou de films documentaires, qu'elle louait ou achetait.

Soutenue par le Centre national des arts plastiques, la plasticienne a entrepris en juillet 2013 un voyage d'un mois au Brésil dans les régions d'Amazonie et du Pantanal. Son but : constituer sa propre banque d'images et aller « à la rencontre de rituels et d'histoires sociales en rapport avec l'animal ».

Pendant son séjour, elle a notamment observé combien la liberté de l'animal sauvage est menacée. Si l'écotourisme préserve bien la biodiversité, il sous-tend aussi une obligation de résultat pour les guides. Les apprentis explorateurs, venus de très loin, exigent en quelque sorte que la nature leur rende l'effort qu'ils ont consenti. On parle notamment de baguer les jaguars pour mieux les suivre... Nul doute que cette nouvelle approche élargira bientôt le champ des recherches de Delphine Gigoux-Martin , les vidéos de singes, piranhas ou anacondas tournées au Brésil seront transformées en dessins animés et trouveront leur place dans de futures installations.


En attendant, les premières œ,uvres inspirées par ce voyage sont exposées à la galerie Metropolis, à Paris. Sur des photos en noir et blanc , anciennes ou contemporaines, l'animal y tient encore la vedette et s'invite au premier plan : émeu farceur qui chatouille de jeunes mariés ou grenouille exotique avalant un garçon. Des images qui signent la première irruption incarnée de la présence humaine dans le travail de l'artiste.

Par Armelle Bajard

Contact > Retour des pays chauds, jusqu'au 27 octobre à la Galerie Metropolis, 16 rue de Montmorency, 75003 Paris, France. Tous les jours de 14 h à 19 h. Tél. : 01 42 74 64 17.





Par ArtsHebdoMedias.com

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