Retour sur Richard Serra

'C'est une œ,uvre d'art, cela va de soi.'


Rose Marie Arbour

Nous souhaitions revenir sur l'intrigante exposition Monumenta au Grand Palais qui accueille cette année le plasticien américain Richard Serra. L'occasion nous en a été donné en rencontrant, de passage à Paris, l'historienne de l'art et québécoise Rose Marie Arbour. Observatrice très attentive de la scène artistique actuelle, elle a signé un essai intitulé L'art qui nous est contemporain (Editions Artexte, 1999) ainsi que nombreuses études et articles sur des questions d'art contemporain. Grâce à son approche simple et directe, loin du discours 'intello' souvent associé à ce type d'exposition, elle nous permet de mieux saisir et apprécier ce qui peut apparaître comme indigeste à une bonne partie du grand public.

'Richard Serra au Grand Palais, c'est pour moi très américain...'

«Dans le trio artiste, spectateur, œ,uvre, c'est une tentative dans laquelle l'artiste n'est plus que le metteur en scène d'un espace et d'objets disposés au gré du spectateur. C'est toute une théorie sur la place du spectateur qui date des années 60, et qui est d'abord dans l'histoire de l'art américain. Il s'agissait de dire que l'artiste n'est plus le roi créateur ou l'équivalent du divin dans son geste créateur, mais il est là, avec des gens... Ici, il semble que l'artiste, Richard Serra, se mette en retrait, et qu'il met le spectateur comme acteur de l'œ,uvre : c'est du discours, mais en même temps de quoi on parle quand on parle de l'œ,uvre ? C'est de Serra ! Donc on parle de lui en tant que grand metteur en scène.
Pour lui, c'est le spectateur qui fait l'objet de sa manipulation : quand tu regardes là, tu vois quoi au fond ? Et puis quand tu regardes là ? La question c'est donc: « Qu'est ce qui se passe ?»

Richard Serra, Grand Palais 2008



'La puissance et le pouvoir américain ...'

«Moi en tant qu'étrangère, quand je vois Richard Serra, d'abord aux Tuileries avec la sculpture Clara-Clara, puis au Grand Palais, je me dis tout de suite que c'est aussi la prise de position du pouvoir américain... Pour moi c'est clair ! La puissance et le pouvoir américain... Mais aussi dans ce qu'il peut avoir de plus positif, c'est-à-dire dans un calme, tout est calme.

Clara-Clara de Richard Serra


Certes il n'est pas le porte-parole de l'idéologie américaine, ce serait trop au premier degré, mais tout de même, ces grands espaces, ... moi, je pense que c'est plus la prise de possession d'un espace pur et simple... Par exemple le land art, même si ça existe en Europe, c'est très peu comparativement à ce qui existe aux USA !
Ça exprime un certain sentiment américain, le sentiment de puissance : dominer la nature, l'organiser. Je suis là, présent dans ce monde, ça lui suffit. La puissance tranquille de ces plaques rend au Grand Palais une très grande sérénité à l'espace. C'est aussi une puissance sidérurgique, technique... C'est évident que c'est le type d'œ,uvre qui a besoin de gros moyens, avec le soutien de grandes entreprises ! On ne pourrait pas faire ça tout seul avec deux trois assistants...
'Promenade', installation © Richard Serra.


Ça montre tout un système de l'art , et en même temps, ces œ,uvres sont faites en se disant « personne ne pourra acheter ça, on est contre le marché »... Mais les photos du land art étaient vendues dans les magazines, on n'en sortait pas».


'C'est une œ,uvre d'art, cela va de soi.'

«L'idée que la sculpture, c'est le poids et l'équilibre, cela a toujours été. Serra est dans la lignée des Grecs... Mais avec des pièces levées sans contenus, sans objectifs. Mais il y a toujours la question de l'espace, du temps, de la lumière, des saisons, donc ça fait fonction de calendrier sacré.
Tu vois, quand on est au Grand Palais et qu'on regarde ces plaques, on ne peut pas consommer ça en un instant... Il faut être là, il faut tourner autour, faut regarder, faut s'éloigner derrière deux trois plaques, faut revenir. Ce n'est pas une œ,uvre qui se consomme instantanément...
Qu'on soit d'accord ou pas, il faut tout de même rendre justice au travail de Serra. Il y a le véritable travail d'un géomètre, d'une mise en perspective et la monumentalité. Il faut dire que quand on est à côté et qu'on sent cette énorme masse à côté de nous, et bien physiquement ça a un effet de poids, de volume, comme dans la tradition de la sculpture depuis toujours, c'est le POIDS.

Promenade de Richard Serra


D'ailleurs on ne dit plus dans l'art contemporain que c'est une question de beauté, mais « c'est intéressant »...»


Terminons en rendant la parole à Richard Serra :


« ... c'est le visiteur qui crée l'œ,uvre en marchant tout autour, en changeant de perspective, en la redéfinissant et en l'apprivoisant par son regard avec cet autre paramètre qu'est le temps ». «L'art n'est pas un objet à consommation immédiate ... Je veux susciter un autre regard sur l'espace et l'architecture du Grand Palais, mais aussi sur cette ville à la beauté glorieuse et intacte. »

>> Voir aussi l'article ' Le Grand Palais invite Richard Serra'


Monumenta du 7 mai au 15 juin au Grand Palais : www.monumenta.com.



Par Jérôme Lefebvre

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