La 'Semaine de la langue française et de la Francophonie' se déroulera du 20 au 27 mars 2010. Invité d'honneur : le slam auquel une journée sera consacrée le 24 mars. Il s'agit de permettre à chacun de s'exprimer librement autour des dix mots de la 'Semaine' dans un lieu public dont l'entrée sera gratuite.

Frédéric Mitterrand,
ministre de la Culture et de la Communication
Tout le monde connaît les « dix mots ». Ils sont, chaque année, comme
des points de repère à partir desquels tous ceux qui portent les couleurs
et les valeurs de la langue française et de la francophonie, se plaisent à
délivrer les imaginations et à tresser non seulement des textes nouveaux
et vivants, mais aussi à nouer des rencontres autour de notre langue, en
France et dans le monde entier.
Il s'agit bien à mes yeux, et pour reprendre le titre fameux de l'ouvrage
fondateur de Joachim du Bellay dont nous célébrons cette année
l'anniversaire, non seulement de la « défense », mais aussi de l'« illustration
de la langue française ». La langue française ne doit être, bien sûr, ni
une galère, ni un ouvrage défensif destiné à harceler ou même
escagasser les autres langues de la planète, mais bien évidemment
à illustrer la diversité culturelle et linguistique de tous et de chacun, dont
j'ai pu apprécier cette année les variantes au Salon Expolangues. Je
suis persuadé, en somme, que la meilleure manière de défendre notre
langue, c'est justement de l'illustrer. C'est dire si je ne vis pas dans une
crainte obsessionnelle voire obsidionale face à d'autres idiomes même
plus dominants aujourd'hui et que le français, pour être notre cheval de
bataille, ne voit pas partout des chevaux de Troie dans les mots
dont l'anglais, par exemple, peut nous faire cadeau... Nous ne sommes
ni Laocoon, ni Don Quichotte... Car ces termes, nous savons aussi les
accueillir et les accommoder au génie mobile et même baladeur
de notre langue, jouer avec et les faire vivre, sans bien sûr aucunement
zapper et passer jamais de notre parler à un autre. La Délégation générale
à la langue française et aux langues de France, ainsi que les commissions
de terminologie y travaillent régulièrement : les remue-méninges de
ses mentors d'ailleurs joviaux enfantent des inventions dont un certain
nombre et même un nombre certain finissent par entrer dans l'usage et qui
démontrent que la langue vit, croît, se défend, s'illustre et se fortifie dans
le changement.
Cette année, j'ai voulu que la Semaine de la langue française et de la
Francophonie, qui précède un Salon du Livre exceptionnellement dédié
aux auteurs francophones, soit l'occasion d'un coup de projecteur sur une
pratique culturelle actuelle, le slam. Le slam est, à mes yeux, un cadeau
magnifique que l'imagination, la spontanéité et le talent notamment de
la jeunesse sont en train de faire à la langue française et à sa vitalité.
La journée du 24 mars, en particulier, « Dis-moi dix mots dans tous les
sens, dans tous les slams », doit être l'occasion de mettre en lumière cette
pratique vivante et partagée du Verbe, qui crée l'alchimie avec les publics,
et qui essaime un peu partout sur nos territoires. C'est ainsi aussi, j'en
suis convaincu, que nous ferons résonner crescendo la beauté et les
richesses insoupçonnées de notre langue.
Henriette Walter, linguiste, qui a rédigé les textes de l'exposition « Une langue en mouvement »,
répond à quelques questions sur les évolutions de notre langue :
Parmi les dix mots de la Semaine de la langue française et de la
Francophonie, quel est celui que vous préférez et pourquoi ?
Je suis gênée pour répondre à cette question, car le rôle du linguiste est seulement d'observer et
d'analyser. Néanmoins, je veux bien vous dire ma sympathie —, toute personnelle —, pour remueméninges.
J'y vois tout d'abord un excellent remplaçant de brain storming, où storm évoque la
tempête, indépendante de notre volonté, tandis que remue-méninges, pourtant si proche de remueménage,
semble vouloir favoriser une activité mentale sans contrainte. Une autre raison d'apprécier
remue-méninges, c'est que je crois y déceler une certaine forme de dérision assez représentative,
pour une fois, de l'humour français, face au très célèbre humour anglais : si l'on remue ses méninges,
plutôt que son cerveau, c'est en se moquant de soi-même. Et, en poussant la plaisanterie un peu
plus loin —, trop loin ? —,, c'est un peu « travailler du chapeau ».
Pensez-vous qu'aujourd'hui la langue française a tendance à
s'appauvrir avec le développement des SMS, des courriels... ?
Il faut reconnaître que la nécessité d'abréger nos SMS et de rendre plus concis nos courriels nous
met en effet en danger de perdre l'usage habituel de tout un vocabulaire plus précis et plus nuancé.
Mais comme ces formes tronquées et la prolifération de sigles, bien souvent opaques, deviennent
rapidement de sérieux obstacles à la communication, elles auront sans doute beaucoup de mal à se
généraliser hors de ces domaines particuliers.
Par quoi se traduit l'évolution de la langue ?
Les langues sont en perpétuelle évolution —, André Martinet, grand spécialiste en la matière, avait
coutume de dire que « les langues changent parce qu'elles fonctionnent » —, et le seul moyen de
comprendre comment elles sont en train de bouger sans que l'on s'en rende compte, consiste
justement à observer comment elles fonctionnent. Par exemple, tous les usagers du français
distinguent parfaitement entre la voyelle de cri et celle de cru dans leur prononciation, même la plus
relâchée. Cette distinction fait donc partie des zones stables du système. Mais la distinction entre
les voyelles de brin et de brun, qui ne se rencontre que dans certaines régions ou dans certaines
classes d'âge, fait partie des zones instables du système. Cette distinction est donc en état de
moindre résistance, voire en danger d'élimination. Mais les évolutions phonétiques vont lentement
alors que les évolutions lexicales vont très vite.
Comment explique-t-on le besoin de créer de nouveaux mots ?
Si on considère que chaque langue exprime à sa façon le monde qui nous entoure, dès lors que le
monde change, il faut bien trouver de nouvelles formes pour le traduire de façon adéquate. D'où la
création de nouveaux mots : par dérivation à partir de formes existantes (comme galérer à partir de
galère), par transfert de classe (de l'adjectif mobile au substantif mobile pour désigner une oeuvre
d'art), par emprunt à une autre langue (crescendo, de l'italien), par métaphore (cheval de Troie, avec
une extension récente au domaine de l'informatique) et, plus rarement, par onomatopée (mais zap
est bien à l'origine une onomatopée en anglais).
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