Sophie Jabès : la Duchesse de Singapour

Sophie Jabès, a aimé la ville de Singapour où elle a vécu il y a 15 ans. Elle l'a choisie pour en faire le cadre réaliste de son cinquième roman, à moins que ce ne soit la ville qui l'ait choisie. Un roman très différent de ses précédents qui tenaient plus du conte et de l'absurde. Un premier livre commencé à cette même époque. « Ce roman m'a accompagnée pendant 15 ans. Je n'arrivais pas à le lâcher. Je modifiais l'histoire, les mots. Il y avait un va et vient avec le texte. » Un roman qui évoque une femme qui assume son désir et va jusqu'au bout.



L'héroïne, Eva débarque à Singapour. Une amie lui a dit à Paris qu'elle doit rencontrer une femme fascinante, la Duchesse. Engluée dans la routine des thés organisés par ces dames expatriées et pathétiques, elle n'a de cesse que de trouver cette autre femme. Un jour, elle la reconnait sans qu'on la lui présente. A partir de ce moment, une amitié, des secrets de femmes, des désirs pour un homme, la passion assumée de la duchesse pour cet homme, vont les lier. Eva va apprendre de la vie de cette femme, des choses sur elle-même et l'amener à assumer sa propre vie.

Sophie Jabès commence à écrire ce roman alors que, comme l'héroïne, Eva, elle suit son mari à Singapour et fait une croix sur son métier de productrice de télévision. Elle découvre la vie dorée de « femme de ». « On n'est plus qu'une mère ou une épouse, on n'existe plus en tant que personne. » Si elle l'histoire de passion de la duchesse de Singapour est totalement inventée, la critique sociale des expatriés est nourrie de son expérience personnelle.

Ses livres précédents, (« Alice la saucisse »), tenaient plus du conte, de l'absurde, de sa volonté d'explorer les tabous. Celui-ci est plus personnel et plus proche. Le cadre est réaliste, l'histoire est fantasmée.

« La vie d'expat' est très dure pour les femmes, malgré les conditions de confort exceptionnelles. Le mari est surtout très absent. Il voyage dans toute l'Asie. Pour les femmes actives, c'est une plongée dans le vide. C'est atroce et violent. Ou les femmes boivent, dépriment, deviennent maman puissance 20 000 ou elles essayent de retrouver une activité ».
Sophie Jabès a monté sa société. Elle s'est occupée de la promotion de son frère en Asie, le joaillier Jérôme Jabès, avant de devenir correspondante de Marianne.


Dans le livre, la ville de Singapour, son ambiance très anglo-saxonne, le creuset constitué d'européens, de chinois, de malais et d'indiens, son climat équatorial, moite, pesant, sont très présents. Eva, son personnage « a besoin d'extraordinaire, elle ne peut pas se contenter de l'ordinaire. » Le personnage de la Duchesse est pour Eva comme une construction mentale. « C'est une amitié en miroir mais aussi en abîme. Elle voit vivre cette femme qui assume son désir, ses plaisirs. Tout au long du livre, elle apprend, elle devient adulte. » Grâce à la duchesse qui va jusqu'au bout, assumer ses désirs.

« Cette femme que j'ai inventée est une croisée de plusieurs personnes que j'ai rencontrées. Une ou deux personnes qui m'ont fascinée. Elles avaient beaucoup de charme mais en même temps elles étaient assez ordinaires. J'ai voulu décrire cette fascination pour une personne qui prend du pouvoir sur l'autre. »

Eléments autobiographiques et histoire fantasmée se mélangent dans cet ouvrage. La maison qu'elle décrit comme résidence d'Eva était la sienne. Un mot revient périodiquement sous la plume de Sophie Jabès : « Rosacée » : « Il décrit le jardin, mais aussi l'amour à partir d'une couleur. Il exprime une sensation, rose, rouge, la sensualité par l'intermédiaire de la fleur. Il est un peu le symbole de la sensualité. Je me souviens, j'avais de très belles fleurs qu'on ramassait le matin. Je regardais souvent ces roses. Eva, aussi. Elle comprend le monde par la contemplation. »

Même si Sophie Jabès a commencé l'écriture d'un nouveau roman, elle est encore emplie de son texte. « S'il doit être réédité, je sais ce que je changerai. Au moins, un mot. » Décidément, l'auteur ne peut laisser aller son bébé. Peut-être parce qu'Eva, femme fascinée par une autre femme qui assume ses désirs, ressemble beaucoup à Sophie Jabès. Dans la bouche de l'écrivain revient souvent le mot « assumer » qu'elle parle de ses personnages ou d'elle-même. En écrivant ce roman, elle a commencé à assumer ses désirs artistiques. Etudiante, après Sciences-Po, elle a la possibilité d'aller suivre des cours d'écriture à l'université de Californie, mais elle finit par tourner autour de son désir d'écriture sans l'assumer vraiment. Productrice de télévision, elle participe au développement de scénarios mais ne prend pas la casquette de scénariste à part entière. Elle ne se l' autorise pas vraiment.

Aujourd'hui elle a envie de mettre en scène sa seconde pièce, un sujet sur Camille Claudel. « Je ne me suis jamais autorisé à le faire mais là j'aimerais bien. » Encore un effort et Sophie Jabès s'autorisera tous ses désirs d'adulte.


Sophie Jabès est divorcée et maman de deux fils de 18 et 20 ans.



Par Veronique Guichard

Portrait de admin

Ajouter un commentaire