Soudan : Le pays maudit

par Ghislaine Sathoud

Il ne fait pas bon transgresser la loi islamiste quand on est une femme. La journaliste soudanaise Loubna Ahmed al-Hussein l'apprend à ses dépens. Elle a osé porter un pantalon en public, dans un restaurant, en dépit de l'article 152 du code pénal en vigueur au Soudan. Son procès, prévu le 4 août, a été reporté au 7 septembre. Elle risque une peine de 40 coups de fouet. Cet événement, ô combien symbolique, de la lutte des femmes en Afrique pour leur émancipation et l'égalité des droits, a inspiré une tribune libre à Ghislaine Sathoud, originaire du Congo-Brazaville et Canadienne d'adoption.

Tous les moyens sont bons pour renforcer les discriminations sexistes dont les femmes sont victimes. D'emblée, disons que parmi les moyens utilisés pour légitimer la violence, la religion occupe une place importante. Effectivement au nom des principes religieux, de la foi, nombreux sont ceux qui sombrent dans la confusion la plus totale, alimentent des discours haineux tout en faisant subir aux femmes dans leur vie quotidienne toutes sortes de violences, de traitements inhumains. Il en est d'ailleurs de même des traditions ancestrales ! Elles sont également des armes puissantes brandies fièrement comme des pièces à conviction par les partisans du patriarcat qui prônent et valorisent les inégalités sexistes.
Cela dit, malgré l'engouement grandissant pour la promotion de l'égalité des sexes, les femmes continuent de subir des violences inouïes en raison de leur sexe. Cela se passe au niveau de l'intimité familiale où certains époux usent et abusent des liens du mariage pour avoir un contrôle absolu sur leurs épouses, et ce, au sens le plus large du terme. Dans la sphère publique, la condition féminine n'est pas du tout rose, beaucoup reste à faire...

D'une manière générale, elles sont tenues à certaines restrictions, notamment pour ce qui est des tenues vestimentaires. Pire encore, les désobéissances ne sont pas défendables , toute rébellion est formellement déconseillée , donc tout acte de résistance est sévèrement réprimandé. Dans bien des cas, les versets bibliques sont travestis afin de convaincre les croyantes de la nécessité d'obéir aveuglément aux règles discriminatoires inventées de toutes pièces.

Loubna Ahmed al-Hussein


Et disons le franchement : la mésaventure de la journaliste Loubna Ahmed al-Hussein, qui réveille à juste titre les passions à l'échelle planétaire, n'est que la partie visible de l'iceberg ! En effet, un bref tour d'horizon de la condition des femmes en Afrique permet de comprendre les motivations de leur combat pour l'acquisition d'une plus grande autonomie. Les coutumes patriarcales sont oppressantes, très oppressante même, et contrairement aux préjugés et aux idées reçues, les Africaines n'agissent pas simplement par mimétisme, loin d'être des «automates » qui reproduisent de façon irréfléchie un «mouvement» venu d' ailleurs —, le féminisme, pour le nommer —, ces militantes ont bien des raisons pour se lancer éperdument dans la conquête de leur droit. A titre d'exemple, on se souvient de la discrimination au niveau de l'accès à l'éducation qui priva et prive encore les filles de ce droit élémentaire car, le problème perdure malgré les avancées indéniables dans ce domaine, la parité est loin d'être acquise. Selon les coutumes en vigueur dans plusieurs pays, les veuves subissent des discriminations , elles sont considérées comme une partie de l'héritage et leur sort est aux mains de la belle-famille. L'excision, les violences sexuelles pendant les conflits armés, les discriminations professionnelles, ces brimades et tant d'autres sont bel et bien des raisons légitimes pour illuminer la flamme du militantisme...

Concernant les tenues vestimentaires, la situation abominable qui se passe actuellement au Soudan est une raison pour aborder la réflexion sur une problématique trop souvent négligée. Si la journaliste Loubna Ahmed al-Hussein risque 40 coups de fouet parce qu'elle a osé bafouer les interdits, si cet acte suscite l'indignation, souvenons-nous aussi que des filles et des femmes endurent silencieusement la violence - au nom des mêmes principes religieux - parce que les faits se passent dans l'intimité familiale ou dans le couple.

On peut donc facilement constater que la violence à l'égard des femmes est une barbarie, mal qui continue de faire des victimes. Où sont les victimes ? Partout dans le monde, bien sûr !
Tenez, par exemple, j'ai une histoire à raconter sur ce sujet qui délie les langues actuellement. Cette conversation résonne encore dans mes oreilles, comme si c'était hier seulement , je m'en souviens dans les moindres et détails. Et je pense qu'elle est gravée de manière indélébile dans tout mon être. En tout cas, je m'en souviendrai toujours...
Ce jour-là, par pur hasard, je rencontrais un Africain que je connaissais à travers un de mes proches. Avec lui, les débats se terminaient toujours en que de poisson à cause de son mépris insolent pour les femmes.

« Ma sœ,ur, dit-il d'un ton autoritaire, pourquoi diable t'obstines-tu à porter des vêtements d'homme, je te disais déjà une fois que la bible dénonce ces comportements. »
« As-tu vu le froid qu'il fait ? « 
Je n'avais nullement l'intention de poursuivre le débat avec mon interlocuteur. Nos échanges précédents étaient édifiants : selon lui, et c'est le même langage tenu par les autres fidèles dans son église, les femmes qui sont les descendantes d'ÈVE doivent endurer la malédiction divine... Et rien n'est laissé de côté pour rappeler à ces dernières qu'elles doivent souffrir...
« Pourtant beaucoup de sœ,urs bravent le froid pour respecter la parole de dieu », insista-t-il.
« Que ferais-tu si tes filles étaient au Congo ? A l'école il faut porter des pantalons... »
« Tu veux dire que dans ton pays les filles portent des pantalons à l'école ?é
« Bien sûr ! L'uniforme scolaire au secondaire est un pantalon et une chemise. »
« Incroyââââââble !!! », s'écria-t-il, « quelle malédiction ! Franchement le Congo est un pays maudit. Ce détail est très important, je me posais d'innombrables questions... Je comprends pourquoi ce pays est ruiné et décimé par la guerre. Souviens-toi de Sodome et Gomorrhe, si les Congolais persistent sur cette lancée, Dieu détruira votre pays... »
Dans un cas semblable, il faut garder son sang froid et éviter de prendre des raccourcis comme mon interlocuteur le faisait si grossièrement, si grotesquement. Ah bon ? C'est le sens qu'il donnait au drame du peuple congolais ? Cette conclusion hâtive et irréfléchie me confortait dans mes convictions, il faut ignorer ce genre d'individu...

Bref, cela se passait à Montréal... Il se servait des versets bibliques pour appuyer son raisonnement... Actuellement tout le monde a les yeux tournés vers le Soudan pour une affaire invraisemblable , un véritable drame est en train de se dérouler sous nos yeux. D'autres drames semblables se produisent silencieusement. D'où l'important de tirer la sonnette d'alarme, de dénoncer vigoureusement cette bestialité. Qui a dit que les luttes des femmes sont désuètes ? Une chose est sûre, la violence à l'égard des femmes est une réalité qu'il faut combattre sur tous les fronts.


Ghislaine Sathoud, originaire du Congo-Brazzaville, vit au Canada, son pays d'adoption. Actuellement elle travaille comme agente de communication à la Fédération des femmes du Québec, un organisme féministe qui encourage l'émancipation de la femme. Elle a publié divers ouvrages sur la condition et la lutte des femmes en Afrique Centrale.



Par Marie Catherine Chevrier

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