Spécial 8 mars. INTERVIEW : Frédéric Mitterrand, un ministre qui aime les femmes

Lorsque Frédéric Mitterrand me reçoit dans son bureau, il sort d'un déjeuner au cours duquel le Grand prix national de la poésie a été décerné pour la première fois à une femme, Anne Perrier, la poète suisse. Un hasard ? Oui et non. Car depuis son arrivée au ministère de la Culture et de la Communication, il a multiplié les nominations et remises de prix et décorations à des femmes. Moins par conviction que par évidence. Rencontre avec un ministre qui aime les femmes.

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© Didier Plowy - Ministère de la Culture et de la Communication


- Estimez-vous que la discrimination est encore forte entre les femmes et les hommes dans le domaine culturel ?

- Je ne pense pas que la culture soit un des domaines où l'injustice est la plus forte. Pour ma part, je vis dans un milieu, un contexte, où on ignore le machisme. Quand on regarde la composition de mon cabinet (ndlr : de nombreuses femmes à des postes importants dont la Direction du cabinet), les nominations que j'ai faites, on s'aperçoit que le facteur femme ne joue plus. Je n'ai pas besoin de me définir par rapport à ça. Je cherche les meilleurs. Et quand ce sont des femmes, je choisis des femmes, et voilà.

Dans mon livre « Le désir et la chance » je parle de beaucoup de femmes et je fais, entre autres, l'éloge d'Anne Baldassari (ndlr : directrice du Musée Picasso). Ni elle, ni les autres n'ont été nommées parce qu'elles étaient des femmes. Quoique... Lorsque j'examine une liste de candidats possibles à un poste, et qu'il n'y figure pas de femme, je m'en étonne et le dis. On me les met alors en évidence. Mais franchement, ça n'arrive pas souvent.


'Une femme autoritaire est considérée comme hystérique'

En revanche, la situation est différente dans la classe politique. Je suis surpris de voir que lorsqu'un homme est autoritaire, on dit qu'il est « autoritaire » et lorsqu'une femme est autoritaire, on dit qu'elle est « hystérique ». Si Catherine Tasca n'a pas été élue présidente du Sénat, c'est peut-être aussi pour cette raison. Les sénateurs socialistes voulaient-ils rester entre «mecs» ? Pourtant elle avait un rayonnement, avait été ministre, ça avait du sens aussi. Cette manière de voir m'est totalement étrangère.

-Il n'empêche que les plus hautes responsabilités des organismes artistiques et culturels sont encore largement exercées par des hommes. Le législateur ne devrait-il pas y remédier ?

- Je ne suis pas certain que l'élaboration de textes, la mise en place d'obligations soient la solution. Nous disposons déjà d'outils de veille statistique pour la parité car il y a toujours des progrès à faire. La réalité, c'est qu'aujourd'hui au stade des nominations, il y a moins de candidats femmes qu'hommes. Est-ce parce qu'elles sont bloquées dans les phases intermédiaires ? C'est possible.

- Et qu'en est-il dans le milieu artistique ?

- Dans le monde de l'art et de la création artistique, il n'y a pas de discrimination, simplement des femmes moins bien représentées, non parce qu'elles sont discriminées mais sans doute car elles ont intégré un fonctionnement général social qui leur est défavorable pour l'instant. Pour moi, il y a parité dans les esprits et je pense qu'on se rapprochera d'une société comme celle des pays d'Europe du Nord.

- Difficile tout de même de parler de parité quand on regarde la situation dans certaines disciplines : la composition musicale, par exemple.

- En ce qui concerne les artistes, c'est vrai. Mais je ne peux pas aller les chercher les unes après les autres en leur disant « vous, vous êtes un futur Mozart, allez-y ».
S'il y a moins de compositrices de musique ce n'est pas parce qu'elles sont inférieures dans la capacité d'appréhender la musique mais parce que pour beaucoup d'entre elles, ce monde est tellement marqué par la présence masculine, qu'elles ne s'y sentent pas bien. Il faudrait intervenir au niveau des conservatoires. Mais je pense que ça va changer, là aussi. Après la finlandaise Kaija Saariaho et la française Betsy Jolas, d'autres viendront.

- Le problème existe aussi dans les arts plastiques où les femmes sont encore bien moins nombreuses, qu'en pensez-vous?

- Oui, mais cela a beaucoup changé depuis vingt ans et cela continue de changer. Que les femmes aient besoin d'être plus fortes, plus organisées, qu'elles aient une obligation d'excellence dans un monde où les critères masculins sont encore prégnants, c'est vrai. Souvenez-vous de la phrase célèbre de Françoise Giroud : « La femme sera vraiment l'égale de l'homme le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente ». Mais c'est toute la structure de l'Etat qui fonctionne comme ça.


S'interroger sur 'le désir des hommes'...

Frédéric Mitterrand lors de l'exposition consacrée à Brigitte Bardot


- Même au théâtre et au cinéma, pour les grands rôles, les carrières des femmes sont souvent moins longues...

- Là, il faudrait s'interroger sur le désir, le désir des hommes. La façon dont le désir est manipulé dans la société. Sur le fait que le désir de l'homme l'emporte sur celui de la femme. La présentation du désir de l'homme est celle qui suscite le plus fortement le travail des scénaristes. C'est vrai que c'est le désir masculin qui est prégnant sur la représentation érotique de la société. Donc cela explique peut-être que les rôles des hommes soient plus importants et mieux distribués, etc. C'est un vrai sujet qui nous renvoie à l'archétype qui existe dans la société. Les carrières d'acteurs mâles sont plus longues que celles des femmes. Mais là encore, l'espoir... Deux des films français qui ont le mieux marché cette année ont été réalisés par des femmes : Valérie Donzelli (La guerre est déclarée) et Maiwenn (Polisse).

- Ne devrait-on pas prendre le problème à la racine, en réhabilitant dès l'école, la place des femmes artistes dans l'Histoire ?

- Bien sûr, mais aujourd'hui le problème est que l'enseignement des Arts ne marche pas comme il devrait. Enseigner Madame Vigé-Lebrun qui fut effectivement un des grands peintres de notre histoire, et les textes admirables de Mme de Staël pendant le procès de Marie-Antoinette, dénonçant précisément que la Révolution française faisait un procès à la femme et non à la reine. Oui, il faudrait faire entrer cela dans l'éducation des Arts. Il faut faire évoluer toutes les mentalités. C'est un énorme travail.

- Quelles sont les figures féminines les plus remarquables que vous ayez rencontrées dans le domaine culturel ?

- Sans doute la néerlandaise Nellie Kroes, Commissaire européenne en charge de la société numérique , une femme géniale. De même que la chypriote Androulla Vassiliu, Commissaire européenne à la Culture.

Du côté des artistes, j'étais très ami avec Niki de Saint Phalle. Elle réfléchissait beaucoup aux questions de parité. C'était une battante. Elle a joué un peu sur la culpabilisation des hommes mais sans beaucoup de conviction. Elle était plutôt dans l'affirmation de sa propre identité personnelle. Au fond, elle n'y croyait pas vraiment.

Et surtout des comédiennes. Audrey Hepburn, une personnalité à la fois féminine et forte. Je l'ai très bien connue , Catherine Deneuve, féminine et forte aussi, dont la carrière inouïe est une œ,uvre.


'Il y a des choses que les femmes font mieux que les hommes'

Frédéric Mitterrand dans son bureau, devant un tableau de Jean-Michel Sanejouand


Frédéric Mitterrand me raccompagne vers la porte de son bureau et pointe son doigt vers un mur.

« Ceci est un tableau de Jean-Michel Sanejouand, UN peintre. Et là, de part et d'autre, ces deux photographies sont l'œ,uvre de deux femmes : Nan Goldin et Lise Sarfati.

En me serrant la main, il ajoute : « L'égalité s'établit dans la différence. Il y a des choses que les femmes font mieux que les hommes. Est-ce que l'inverse est vrai ? Je n'en suis même pas sûr. »

Par Michèle Folian
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