Heur, malheur ou leurre, par Jacques Brouillet
Lorsqu'un salarié est licencié, a-t-il droit aux stocks-options qui lui avaient été attribuées ? Ou sinon doit-il être indemnisé et comment ?
La question du droit à indemnisation du salarié privé de sa capacité de lever ses options du fait de son licenciement (légitime ou non) reste une 'nébuleuse assez complexe'. souligne Jacques Brouillet, avocat au barreau de Paris. Dans le texte que nous publions, ce spécialiste du droit du travail, analyse l'ambiguité des mécanismes et démontre la nécessité d'en contractualiser leurs modalités.
Voici donc 'Les stocks options : Heur, malheur ou leurre'

Alors que l'attribution de stocks-options fait l'objet d'un nouveau débat depuis les excès manifestes révélés à l'occasion de la récente crise des subprimes, la question du droit à indemnisation du salarié privé de sa capacité de lever ses options du fait de son licenciement (légitime ou non) reste une nébuleuse assez complexe.
Avantage unilatéral
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Nous ne reviendrons pas sur une certaine tendance quelque peu perverse de recruter des « managers » avec un salaire fixe inférieur à leurs prétentions (valeur) en échange d'une promesse d'attribution de stocks-options, liée à leur action sur l'évolution des performances de la Société.
- En effet, alors même qu'il paraît assez évident que cette promesse a pu être un élément déterminant de l'accord du salarié lors de son embauche, la Cour de Cassation n'hésite toujours pas à considérer que « l'offre de stocks-options constitue un avantage que la Société consent unilatéralement à son salarié, dont la validité ne dépend pas du consentement de ce dernier » (1).
- Certes, dans une analyse quelque peu confuse, elle avait déjà estimé que les stocks-options ne constituent pas un élément de la rémunération, mais ne sont qu'un accessoire du contrat de travail (2).
- Et il est vrai que cette question n'est pas traitée par le Code du Travail. Elle relève principalement du Code de Commerce (art L.225-177) Livre II titre II Chapitre IV Section IV) qui prévoit que les règles d'attribution dépendent d'une décision de l'Assemblée Générale, dont les modalités sont, par la suite, fixées par le Conseil d'Administration ou le Conseil de Surveillance.
- Ceci fait alors l'objet d'un « Règlement » et/ou d'un « Plan d'option » plus ou moins formellement porté à la connaissance de l'éventuel bénéficiaire.
Alors même que la loi du 4 mai 2004, imposant la remise d'une Annexe informative indiquant tous les accords ou règlements collectifs applicables à l'entreprise, est venue conforter notre thèse (3) du contrat de confiance en trois parties.
- Or, le plus souvent, ce règlement précisant ces modalités d'attribution des stocks-options, prévoit l'impossibilité de lever les stocks-options après la (notification ?) de la rupture.

Contractualiser l'attribution et la liquidation
Ces simples observations ne peuvent que nous conforter dans notre recommandation de contractualiser de manière précise non seulement les conditions d'attribution de stocks-options, mais aussi leurs modalités de liquidation notamment en cas de rupture du contrat avant le délai de levée d'option (4).
La jurisprudence
Nous pensons en conséquence souhaitable de revenir sur ce sujet, en examinant notamment l'évolution de la jurisprudence sur quatre questions :
-- Le droit de lever l'option,
-- Le droit de réclamer une indemnité pour perte d'une chance,
-- L'évaluation de cette indemnité,
-- La prise en compte de cette dernière dans la base de calcul de l'indemnité de licenciement.
I/ Le droit de lever l'option
- La Chambre sociale de la Cour de Cassation a validé en 2002 (et confirmé en 2004) (5) (6) un plan d'option qui interdit de lever les stocks-options, après la rupture de son contrat, dès lors que celui-ci en avait connaissance.
• que le licenciement soit licite ou non (7)
• cette interdiction ne lui apparaît pas une atteinte aux libertés (8).
- C'est ainsi que de nombreux règlements prévoient cette condition de présence, même si certains accordent un délai (90 j) après la rupture (9).
II/ Le droit à réparation pour perte d'une chance ?
- Depuis l'arrêt du 29/09/2004 (10) la question ne fait plus débat.
• La Cour estime légitime la réparation du « préjudice nécessairement créé » si le licenciement est abusif. En cumulant l'argument des dommages intérêts dus en cas de responsabilité contractuelle (art 1134 CC) et celui de l'indemnisation du licenciement abusif (art L.1235.3 CT).
- Cette position laisse cependant actuellement dans l'ombre un certain nombre de cas que nous dénoncions déjà dans notre chronique de 2002 (11), à savoir notamment :
a) Le cas du licenciement économique... qui n'est pas forcément « abusif » mais qui ajoute au préjudice subi par la perte d'emploi celui de la perte des stocks. On peut penser que cette situation risque de susciter un accroissement des contentieux sur le caractère licite du licenciement économique.
Pourtant, les cours d'appel semblent rester figées sur cette analyse, ne justifiantla réparation du préjudice, qu'en cas de licenciement abusif (12).
b) Qu'en est-il de la perte du droit d'option lors d'un transfert d'entreprise ? (art. L 1224-1). La question n'est pas réglée.
c) De même, en cas de prise d'acte de la rupture ou de demande de résiliation judiciaire :
• la prise d'acte pouvant être qualifiée de démission ou de licenciement, ce n'est qu'au moment du jugement que la question pourra être réglée.
• Par contre, pour une demande de résiliation judiciaire, si la solution devait être identique, rien ne semble interdire à l'intéressé de lever ses options jusqu'au jugement.
d) Enfin, concernant les mandataires sociaux, il n'y a pas de jurisprudence, à notre connaissance. L'arrêt ETHICON (13) devrait cependant conduire à une réparation de préjudice en cas de révocation « sans juste motif ». Mais cette position ne risque-t-elle pas d'être considérée comme une atteinte au principe de libre révocation, compte tenu de son coût ? A suivre ... !!
III/ L'Evaluation du préjudice
- Depuis 2000 (14) la Cour estime que l'évaluation du préjudice relève de l'appréciation du juge., au titre de « la perte d'une chance «
• Celui-ci ne peut pas correspondre à la perte réelle de l'avantage, si cette chance s'était réalisée (15) (16) (17),
• Elle considère, en effet, que s'agissant d'un « simple accessoire ( ?) du salaire, et sa valeur ne pouvant être connue au moment du licenciement, il ne s'agit pas d'une sanction pécuniaire... mais seulement de la perte d'une chance ».
IV/ La prise en compte de la valeur des stocks-options dans le calcul des indemnités de rupture ?
- En fait, nous ne disposons pas d'une jurisprudence abondante ( !) en la matière.
• Tout juste peut-on citer un arrêt de la Cour d'Appel de Versailles (18) qui considère que « la plus-value de vente de stocks-options, même soumise à cotisations sociales, ne constitue pas un élément variable de rémunération du travail (...), mais résulte de la différence entre valeur d'acquisition préférentielle accordée au salarié et le prix de vente de ces actions sur le marché des valeurs mobilières, plus-value qui est indépendante du travail du salarié, quand bien même ces options d'achat sont stipulées dans le contrat (...). Cette plus-value ne peut donc entrer dans la base de calcul de l'indemnité de licenciement ».
- Cette décision paraît frappée du bon sens ! Mais elle nous ramène à cette ambiguïté sur la nature même des stocks-options : simple accessoire du contrat ? Avantage accordé unilatéralement par l'employeur sans avoir besoin du consentement du salarié ?
Certes ! Cette thèse serait défendable si on ne savait que dans la réalité, elle fait souvent l'objet de réelles négociations pour entraîner l'adhésion du salarié !
- Pourquoi, alors, dans ce cas ne pas franchir le pas ? Et prévoir expressément, dans le contrat, les conditions d'attribution des stocks-options et les possibilités de les lever même en cas de rupture du contrat... ou les rémunérer sous forme d'une indemnité forfaitaire préalablement définie dans son mode d'évaluation ?
• L'arrêt ENDEMOL (19) ne laisse-t-il pas entrevoir une solution de ce type, en considérant que le Golden-parachute (éventuellement) prévu au contrat couvre tous préjudices liés à la rupture et inclut donc celui résultant de la perte des stocks-options ?
• Ne serait-il pas plus simple de prévoir clairement dès le contrat que les modalités d'attributions et de levée d'option et/ou de leur valorisation sont déterminées d'un commun accord dès l'embauche ?
• Certes, les circonvolutions de l'arrêt ENDEMOL, visant à faire admettre que le protocole signé lors de l'embauche et devant être réitéré lors de la rupture vaudrait transaction ( ?) ne paraît pas satisfaisant. Ne serait-ce qu'en raison du principe qu'on ne transige pas par avance !
• Par contre, rien ne paraît interdire, au contraire, une contractualisation de ces règles d'attributions et liquidation des stocks-options sous forme de golden-parachute !
(1) Cass.Soc 5/12/2007 n° 06.43.352
(2) Cass.Soc 21/06/2005 n° 02.45.479
(3) J.Brouillet —, Savoir réinventer le Contrat de travail —, Cahiers du DRH 9/03/2000
(4) J.Brouillet : Cahiers du DRH du 14/06/2002 - Stocks-options et départ du salarié : une contractualisation nécessaire
(5) Cass.Soc 15/02/2002
(6) Cass.Soc 23/06/2004 n° 02.42.071
(7) (6) Cass.Soc 20/10/2004 n° 02.41.860
(8) Cass.Soc 1/12/2005 n° 04.41.277
(9) Cass.soc 10/12/2008 n° 04.42.766
(10) Cass.Soc 29/09/2004 n° 02.42.027 - ETHICON
(11) J.Brouillet : Cahiers du DRH 14/06/2002 —, ( Op cité)
(12) C.A. Nancy 23/01/2008 et C.A. Caen 19/09/2008
(13) Cass.Soc 29/09/2004
(14) Cass.Soc 8/03/2000
(15) Cass.Soc 20/10/2004 n° 02.41.860
(16) C.A. de Paris 10/11/2008 n° 06.12.139
(17) Cass.Soc 4/02/2009 n° 07.43.443
(18) C.A. Versailles 4/11/2003
(19) Cass.Soc 4/02/2009 - ENDEMOL
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