Comédien, Nils Öhlund, réalise sa première mise en scène avec 'Une maison de poupées', d'après Henrik Ibsen, présentée jusqu'au 22 mai 2010 au théâtre de l'Athénée, à Paris. Une réussite. Entretien avec Nils Öhlund et biographie.

- Votre nom sonne comme un nom scandinave, êtes-vous norvégien, comme Ibsen, avez-vous vécu dans le pays ?
Non, je suis d'origine suédoise par mon père et même si je passe quelques semaines l'été chez lui et sa compagne je n'ai jamais vécu dans un pays scandinave.
- Avec « Une maison de poupée », vous vous êtes attaqué à un monument du théâtre. Qu'est-ce qui vous a fait choisir cette pièce pour votre première mise en scène ?
J'ai d'abord choisi cette pièce pour deux acteurs, Olivia Brunaux et Féodor Atkine, la pièce me semblait être la partition idéale pour faire exprimer leur talent et les autres acteurs qui les ont rejoints. Ensuite, je l'ai choisie pour le génie d'Ibsen dans sa façon de rendre compte de notre humanité, l'étude comportementaliste qu'on en retire, l'écho intime qu'il fait raisonner en nous sur la difficulté de vivre à deux, la part de soi qu'on peut abandonner ou pas, la place de l'individu dans le social, ... et cette manière de « dire » toute scandinave qui me renvoie à mes origines et me correspond qu'on peut résumer par ce cliché « le feu sous la glace », mais qui exprime une part de vérité.
- Pour cette pièce, vous ne vous êtes pas contenté de réaliser la mise en scène, vous avez aussi traduit le texte d'Ibsen et vous l'avez adapté....
Ne parlant pas Norvégien j'ai mis 6 mois à faire d'abord la traduction mot à mot en me servant de mes notions d'anglais et d'allemand et du dictionnaire envoyé gentiment par les éditions Kunnskapsforlaget et en comparant avec les autres traductions pour éviter de grossières erreurs. Ensuite j'ai adapté pour que le texte serve le projet par rapport aux enjeux que je voulais mettre en exergue. J'ai utilisé aussi mon expérience d'acteur pour que la matière ainsi créée serve au mieux le jeu des comédiens. Je me suis aussi permis d'enlever, d'ajouter, déplacer, mais dans le souci constant que cela ne se « voit » pas. En somme, j'ai le sentiment d'avoir dialogué avec la pièce d'Ibsen.
- Dans quel état d'esprit avez-vous abordé sa mise en scène ?
Dans un souci d'étude comportementaliste de ses personnages. En osant nous inspirer de nous-mêmes sans mettre les personnages à distance, traduire ce qu'ils nous renvoient de nous-mêmes et ce qu'en définitive nous avons hérités d'eux. Il s'agissait aussi de mettre en avant l'histoire d'un couple avant même le seul parcours de Nora. La pièce se réduit trop souvent à une performance d'actrice sur ce rôle entourée d'archétypes qui sont là pour la servir. Et enfin pousser les trois autres personnages, Kristine, Rank et Krogstad, à même hauteur. Ils m'interpellent tout autant, même si ils ont une plus grande part de mystère car moins détaillés par l'intrigue, ce qui les rend d'autant plus fascinants.
- Une note d'intention concernant « Une maison de poupées » ?
Ce qui fascine, surtout, c'est l'étude anthropologique que l'auteur suggère en creux, l'image qui se dessine en contre-jour de la société des hommes et particulièrement celle du couple.
Ibsen opère en visionnaire. La révolution annoncée aura lieu, la bombe a éclaté. Nous sommes les héritiers de cette histoire là et, pour moi, incarner ces personnages c'est oser la mise à nu, radicale. Pousser l'authenticité du jeu jusqu'aux confins de l'intime et jouer la spirale de ce compte à rebours inéluctable dans une douceur inouïe pour mieux mettre en valeur la violence d'une détonation. Mais aussi ponctuer la crudité des situations par la poésie de l'image en se jouant de l'espace et du temps, et rendre toute sa place à la théâtralité, c'est dans ce climat là que je l'imagine.
- Le décor, les quelques meubles, les costumes...vous avez transposé la pièce dans une époque contemporaine, pourquoi cette volonté et pourquoi les années 60 ?
Comme je le disais précédemment c'est une question d'héritage. Que restait-t-il de ces comportements à l'époque où mes propres parents vivaient encore ensemble et dont je suis issu, et par là même qu'en ai-je hérité, moi ? Cette pièce peut encore s'inscrire dans une modernité mais peut-être plus dans une contemporanéité ou alors cela nécessiterait une plus grande adaptation. L'intrigue arrive à se maintenir dans les années 60 : cela reste crédible qu'une femme fasse un emprunt par un faux dans le dos de son mari. Rappelons-nous qu'en France une femme n'a eu le droit d'ouvrir un compte en banque en nom propre qu'en 1965. Le paternalisme de Torvald est davantage vraisemblable à cette époque, même si c'est une caractéristique qui peut largement subsister mais sous une autre forme peut-être aujourd'hui. Et puis l'époque des 30 glorieuses correspond bien à ce fantasme décrit dans la pièce d'un bonheur possible et espéré qui s'appuierait sur plus d'argent, consommer et acquérir des biens matériels (un réfrigérateur, une voiture, etc...). Je crois qu'aujourd'hui nous sommes en train de prendre conscience que c'est un piège et que nous en sommes davantage des victimes et donc de chercher un épanouissement autrement.
- Pourquoi « Une maison de poupées », avec un 's' à poupées ?
Pour élargir le regard au cinq personnages qui sont chacun les pantins, soit d'autrui soit de la société.
- Dans bien des mises en scène de « Une Maison de poupée », les projecteurs sont en effet braqués sur le personnage de Nora...
Oui, comme je le disais plus haut, si on fait dépasser les personnages de l'écueil des stéréotypes dans lesquels ont peut les faire plonger, ils trimballent aussi leur grande part d'humanité et d'émotion : Torvald peut provoquer alternativement de l'antipathie et de la sympathie, ce qui amènera de l'empathie, Kristine me touche dans ce besoin poussé jusqu'à l'extrême de s'occuper d'autrui et de provoquer des déflagrations avec les meilleurs intentions, Rank a un discours sur la société repoussant et nous touche dans sa façon de quitter Nora et Torvald, Krogstad ne cesse d'éviter de faire du mal à Nora et est poussé malgré lui à des extrémités.
- Qu'est-ce qui vous a principalement guidé dans le choix des comédiens, du reste tous formidables, en particulier Olivia Bruneaux (Nora) et Féodor Atkine (Torvald) ?
L'amitié
- Comment avez-vous travaillé avec eux ?
Je leur ai proposé une partition très écrite à partir de laquelle ils peuvent trouver une forme de liberté individuelle. A l'image de la musique ou de la danse.
- A la fin de la pièce, Krogstad et Kristine se retrouvent en tête à tête et, tour à tour, ils se tutoient et se vouvoient. Est-ce une invention de votre part ?
Cela permettait de rendre compte de la pudeur et de la fragilité d'une retrouvaille aussi forte après une dizaine d'années.
- Ibsen disait : « Je ne suis pas certain de savoir, au juste, ce que sont les droits de la femme », malgré cela considérez-vous « La maison de poupée » comme une pièce féministe ?
Nora ne revendique pas sa condition de femme face à Torvald mais d'être humain avant tout et d'être considérée comme tel tout comme lui. Je pense que c'est une pièce égalitariste ce qui correspond bien à l'humanisme d'Ibsen.
- En dehors de « Une Maison de poupées », quelles sont vos prochaines actualités en tant que comédien ou metteur en scène ?
Je vais retourner sur les planches la saison prochaine uniquement comme acteur avec Anne Laure Liégeois sur la Duchesse de Malfi de John Webster (auteur élisabéthain) que nous créerons en novembre au Festin ― Cdn de Montlucon,, et que nous jouerons en tournée, dont trois semaines à Malakoff entre janvier et février 2011. Et puis je tâcherai de faire vivre encore notre « maison » vu l'accueil reçu et de songer à une autre aventure tout en continuant à jouer. L'acteur nourrit le metteur en scène et inversement.
Biographie de Nils Öhlund
Après avoir suivi une formation d'acteur à l'Ecole de la Rue Blanche (ENSATT) Nils Öhlund joue au théâtre sous la direction de Thierry Atlan, Hubert Saint Macary, Jean-Louis Jacobin, Serge Noyelle, Guy-Pierre Couleau (Le baladin du monde occidental, Les mains sales...), Fabian Chapuis, Anne-Laure Liégeois (Ca, Edouard II), Claude Yersin... Il participe à la reprise à Paris de Nur Du de Pina Bausch. Il tourne pour le cinéma avec Didier Haudepin, Sébastien Lifshitz, Lorraine Levy et à la télévision sous la direction de Claudio Tonetti, Jérôme Boivin, Yves Renier, Alain Wermus, Miguel Courtois, Fabrice Cazeneuve, Gérard Verges, Thierry Binisti, Alain Bonnot, Maurice Failevic, Bertrand Van Effentere, Malik Chibane... En parallèle il est assistant metteur en scène de Thierry Atlan, stagiaire assistant auprès de Georges Lavaudant. Il créé une compagnie avec des élèves sortant de l'ERAC (Fabrice Cals, Ludovic Abgrall, Agathe Rouiller, Fanny Paliard...) et co-met en scène en 1997 avec Fabrice Cals et joue Le Véritable Ami de Carlo Goldoni.
- Athénée théâtre Louis-Jouvet -Square de l'Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau 75009 Paris
- Accès : M° Opéra, Havre-Caumartin/ RER A Auber
- Du jeudi 6 au samedi 22 mai 2010
- Mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h/ Matinées exceptionnelles : dimanche 16 mai à 16h et samedi 22 mai à 15h
- Location : 01 53 05 19 19
- Plein tarif : de 30 € à 13 € -Tarif réduit : de 24 € à 11 €
- Durée du spectacle : 2h05 sans entracte
-------------------------------------------------------------------------------------------Lire également : Une Maison de Poupées - Théâtre de l'Athénée
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