Viva la Saeta d'Agnès Fornells

Agnès Fornells a filmé la Semaine Sainte à Jerez en 2002. Elle a archivé ces bobines pendant cinq ans pour aboutir, en 2007, à cette vidéo muette qui, paradoxalement, raconte un chant, la saeta.

Comment filmer une musique sans donner à entendre la musique. Le poème « La musica callada del toreo » de Jose Bergamin était en son temps une réponse possible. Agnes Fornells en donne une autre avec « Viva la saeta », film muet, tourné à Jerez pendant la semaine sainte. Les protagonistes sont les saeteros, ceux qui chantent la saeta, et la foule. La saeta, littéralement la flèche, est ce chant flamenco très court, il n'excède que rarement les 2 mn 30, qui s'interprète pendant la semaine sainte sur le passage des pasos, chars portés à dos d'hommes, qui promènent majestueusement, au son des clarines et des tambours, les vierges aux Douleurs, des Neiges, de l'Espérance ou de la Miséricorde, les christ en gloire ou portant la croix. Jamais les chars n'apparaissent à l'image.

Viva la saeta
Pendant la semaine sainte, le temps est distordu. Il s'arrête une première fois, la rue étant livrée jours et nuits aux défilés, confréries et autres porteurs de cierges. Dans ce temps suspendu, le moment de la saeta est encore un espace volé au temps. La seule voix arrête le paso et par sa force unique oblige la foule à l'écouter. Les humbles, les anonymes peuvent être des saeteros remarquables.

La force d'Agnes Fornells est d'avoir fait un film muet, laissant à l'imagination libre cours. Le traitement de l'image en noir et blanc, presque flou dans sa définition, est intemporel. A première vue, il pourrait s'agir d'images d'archives de la guerre civile. Des indices ancrent le film dans le présent. Mais cela importe peu. De la dizaine de chanteurs et chanteuses filmés, la vidéaste a su saisir la force. La progression du chant va inéluctablement vers un paroxysme qui permet à la flèche d'atteindre son but. Le montage suit cette progression vers la quasi-transe, chaque saetero étant unique dans sa progression.

Par Marie Catherine Chevrier