Willy Ronis - Exposition Monnaie Paris

Une poétique de l'engagement

Afin d'honorer la volonté de Willy Ronis qui, dans les semaines précédant son décès - survenu le 11 septembre 2009 -, imaginait lui-même une grande exposition à Paris pour fêter son centenaire, le Jeu de Paume et la Monnaie de Paris se sont associés à la Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, sous l'égide du ministère de la Culture
et de la Communication, pour concrétiser ce voeu de manière posthume.
L'exposition du photographe humaniste est présentée à la Monnaie de Paris.



« Mes photos ne sont pas des revanches contre la
mort et je ne me connais pas d'angoisse
existentielle. Je ne sais même pas où je vais, sauf
au-devant —, plus ou moins fortuitement —, de
choses ou de gens que j'aime, qui m'intéressent
ou me dérangent. »
Willy Ronis

L'exposition « Willy Ronis » regroupe environ 150 photographies célèbres ou inédites -
tirages d'époque et tirages modernes supervisés par le photographe -, extraites du fonds
de la donation faite par Willy Ronis, à l'État Fançais en 1983. Elle s'organise autour de
cinq grands axes : la rue, le travail, les voyages, le corps et sa propre biographie.

- Commissaire : Marta Gili, assistée de Nathalie Neumann


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Willy Ronis. Une poétique de l'engagement

Marta Gili,
Directrice du Jeu de Paume
et commissaire de l'exposition

(Texte extrait du catalogue de l'exposition)

À l'heure du centenaire de la naissance de Willy Ronis et moins d'un an après sa disparition, cette
exposition, organisée conjointement par le Jeu de Paume, la Monnaie de Paris et la Médiathèque de
l'architecture et du patrimoine, n'est pas seulement un hommage à l'un des plus célèbres photographes
français de renommée internationale —, dont l'oeuvre a été largement diffusée par l'agence Rapho
depuis 1950 —, elle a également pour objectif de dévoiler des aspects inédits de son travail.

Loin de prétendre à une étude exhaustive de l'oeuvre de Willy Ronis (tâche impossible dans les délais
impartis), elle est une première approche de son travail qui devra faire ensuite l'objet d'un véritable
catalogue raisonné et elle vise à mettre en évidence les éléments qui sont à la base de son oeuvre, en
allant de ses images les plus représentatives et connues à d'autres moins souvent publiées, mais qui,
toutes, témoignent néanmoins d'un travail riche, varié et nuancé. La sélection ici présentée, effectuée à
partir de la donation faite par Ronis à l'État français, s'organise autour de cinq grands axes (non
exclusifs mais récurrents), territoires d'observation entre espace public et espace privé : la rue, le travail,
les voyages, le corps et sa propre biographie.

De nombreux clichés de Willy Ronis —, à l'instar de ceux
d'autres photographes de sa génération, comme Henri
Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Izis, René-Jacques et
d'autres —, contribuent activement à l'élaboration du récit
humaniste qui se développe après la Seconde Guerre
mondiale. Ce courant de pensée s'était donné pour mission
tacite de rétablir la confiance dans la bonté intrinsèque de
l'être humain, et d'en faire le centre et la mesure de toute
réflexion politique et sociale. Or, si ce courant ne se limite
pas à la France, le discours humaniste de l'époque y prendra
la forme d'un récit identitaire puissant, que ce soit au
cinéma ou en littérature (et bien sûr en photographie), moins
comme un genre spécifique que comme un forme narrative
où chaque mode de fiction est parfaitement codifié en
fonction des personnages, des décors et des gestes, et ce
jusqu'à nos jours.

Ainsi l'anecdote, la parodie, la tendresse, le raffinement visuel, font partie des recours narratifs à la fois
refuges et justifications de la photographie humaniste —, mais aussi d'une certaine littérature et d'un
certain cinéma. Les rues de Paris, ses quartiers populaires, les badauds, les enfants, les scènes quotidiennes ou champêtres, le repos dominical : autant de toiles de fond sur lesquelles les
photographes conjuguent la poésie avec une volonté sincère de « changer le monde ».

Il est certain que parmi les image les plus connues de Willy Ronis, beaucoup relèvent de ce regard
porté sur la vie de tous les jours pour élaborer des micro-récits à partir de personnages et de situations
ayant pour cadre la rue. Aujourd'hui, ces images —, désormais érigées en « monuments » de l'histoire de
la photographie —, trahissent moins l'existence d'un instant donné qu'une façon particulière de
représenter l'utopie de l'unanimité humaniste : s'extasier devant la réalité et observer la fraternité des
peuples.

S'il est vrai que ses images souscrivent, dans une certaine mesure, à cette vision optimiste —, et quelque
peu mélancolique —, de la condition humaine, Ronis n'en reste pas moins intimement convaincu du
caractère restrictif qu'il y aurait à édulcorer l'injustice sociale et s'intéresse de ce fait aux classes
soumises et les plus démunies. En témoignent ses photographies de piquets de grève et de harangues
enflammées aux usines Citroën (1938) ou Renault (1950), dans les mines de Saint-Étienne (1948), ou
encore ses images d'ouvriers à Paris (1950). Sa sensibilité aux luttes quotidiennes pour survivre dans un
contexte professionnel, familial et social précaire montre que les convictions politiques de Ronis,
militant communiste, ne s'arrêtaient pas à capter çà et là une tranche de vie. Elles l'incitaient au
contraire à un engagement actif, que ce soit par la production ou la circulation d'images de la
condition et de la lutte ouvrières.

Sans être misérabiliste, Ronis ne maquille pas la pauvreté, il ne l'esthétise pas, il ne la glorifie pas non
plus. Son appareil photo lui sert simplement à représenter le mouvement des travailleurs pour étayer
ses manifestes revendicatifs. C'est ce qui explique que les images de Willy Ronis sur le monde ouvrier
continuent encore aujourd'hui d'inspirer respect et solidarité.

La tradition veut que l'on ait tendance à circonscrire la production de Willy Ronis au territoire
français. Pourtant, même si la plupart de ses images les plus reproduites ont été prises en France,
depuis sa jeunesse Ronis n'a eu de cesse de voyager et de photographier d'autres lieux. Il s'agit là d'une
des facettes peu connues de son travail que cette exposition voudrait mettre en avant. Polyglotte,
curieux et cultivé, Ronis effectua de nombreux séjours dans divers pays méditerranéens et européens,
en Afrique du Nord, dans les Balkans, en ex-République démocratique d'Allemagne, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Certains de ces voyages étaient le fruit du hasard, d'autres, en
revanche, s'inscrivaient dans le cadre de projets
concrets, comme ses deux séjours répondant à une
commande de l'Association française d'échanges
franco-allemands (EFA) en RDA.
En effet, en 1967, à deux reprises Ronis s'est rendu
en Allemagne de l'Est, dans le but de montrer une
société différente de la société occidentale, en
portant son intérêt en particulier sur le monde
ouvrier et sur son appropriation d'une culture
autrefois réservée à la bourgeoisie. En pleine
guerre froide, il a ainsi parcouru le pays pendant
cinq semaines, accompagné d'un chauffeur et d'un
traducteur pour rassembler des documents sur les
paysages, les villes, les activités culturelles et
industrielles.

Les images nocturnes de Londres (1955) méritent également un intérêt particulier. Ronis s'y
abandonne à l'attraction d'une métropole en pleine ébullition, peuplée d'anonymes, et recourt à des
stratégies formelles qui tranchent avec le reste de sa production (images floues évoquant le mouvement,
lumières déformées des grands néons publicitaires, vues plongeantes, etc.). Les clichés de Londres,
comme certains de ceux réalisés à New York, donnent le sentiment que Ronis a pris délibérément le
parti d'une lecture poétique, placée sous le signe cette fois non pas de l'engagement, mais de
l'étrangeté.

Le style de Ronis reste intimement lié à son vécu et à son propre discours sur la photographie. Il était
réputé pour ses innombrables anecdotes sur le moindre cliché, le moindre lieu, joignant la parole à
l'acte, le récit à l'image*. Et, pour donner un sens à cette pléthore de représentations, Ronis n'hésitait
pas à évoquer sa propre vie et son contexte politique et
idéologique. Au fil des images et des textes, on découvre ainsi un
photographe désireux avant tout d'explorer le monde, épiant en
secret, attendant patiemment que celui-ci lui dévoile ses mystères.
À ses yeux, l'important est davantage de recevoir des images que
d'aller les chercher, d'absorber le monde extérieur plutôt que de le
saisir et, de là, bâtir son propre récit.

C'est pourquoi Ronis n'hésitera pas à capter la vie des siens, qu'il
s'agisse de son épouse ou de son fils, manifestant par là —, avec une
certaine candeur doublée de nostalgie —, que son intimité participe
elle aussi de cette poétique de l'universel dans le particulier.
D'ailleurs, la recherche de cette intimité des corps et des affects
met très certainement en tension une grande partie de son travail,
des corps déambulant dans les rues aux nus féminins, de l'usine au
foyer. Corps et affects, décors et idées, gestes et actions se
rejoignent ainsi en un parcours visuel dans lequel les spectateurs
du XXIe siècle seront peut-être moins enclins à l'identification ou
à l'empathie qu'à la fascination née d'une véritable poétique de
l'engagement.

*Chacun sait l'importance que Ronis prêtait au contexte dans lequel ses oeuvres étaient reproduites et aux textes les accompagnant,
comme il l'écrit lui-même dans son célèbre texte intitulé Sur le fil du hasard (Paris, éditions Contrejour, 1980).


- Monnaie de Paris, 11 Quai de Conti, Paris 6e
- Du 16 avril au 22 août, du mardi au dimanche de 11 à 19h, jeudi jusqu'à 21h30. Fermé le lundi et le 1er mai.
- Plein Tarif : 7 € -Tarif réduit : 5 € .
Billets sur place ou à la FNAC : tel : 0892 684 694 OU www.fnac.com
- Accès : Métro : Pont Neuf , Odéon/
Bus : 24.27.58.70.96.63/
RER : St Michel , Châtelet
- Renseignements :
Monnaie de Paris : www.monnaiedeparis.fr /
tél : 01 40 46 56 66
Jeu de Paume : www.jeudepaume.org /



Par Nicole Salez

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