Doris Lessing

Doris Lessing : 88 ans pour un Prix Nobel. Retour sur le parcours d'une rebelle toujours à l'écoute des femmes

En apprenant que Doris Lessing a reçu le Prix Nobel de Littérature, certaines lectrices ont peut-être été surprises, la croyant « nobelisée » depuis longtemps. Mais l'Académie de Stockholm a attendu pour couronner enfin à quatre-vingt-huit ans, ce très grand écrivain. Doris Lessing, une femme qui parle de la vie des femmes.



Après avoir publié une cinquantaine de livres —, romans, nouvelles, essais, pièces de théâtre, poésie, deux volumes d'autobiographie... —, cette rebelle a gardé toute sa vivacité, son œ,il bleu pétillant, elle continue de prendre position sur les questions écologiques et politiques, et publie toujours de nouveaux livres, avec une étonnante régularité.


L'enfance africaine


Sa vie, dans ses grandes lignes, est déjà bien connue de ses lectrices. Née en Perse en 1919 de Alfred Taylor, capitaine pendant la Grande Guerre dont il sort 'mutilé' physiquement et psychologiquement, et d'une infirmière qui a soigné Taylor lors de son amputation. Celui-ci, ne supportant plus l'idée de retourner en Angleterre , va s'installer avec sa famille dans une plantation en Afrique dans l'espoir, bientôt déçu, d'y trouver une vie meilleure. Doris passe ainsi son enfance en Rhodésie du Sud (aujourd'hui Zimbabwe) ce qui marquera sa conscience politique.

Sa jeunesse


Doris Lessing est une autodidacte. Sa grande connaissance de la littérature vient d'une longue habitude de lecture, qu'elle développe pour parer l'ennui et l'isolement de la vie dans la plantation. Elle quitte l'école à 14 ans, occupe divers petits jobs, avant d'épouser à 18 ans un fonctionnaire rhodésien dont elle a deux enfants. Elle le quittera pour épouser en secondes noces un militant communiste allemand Gottfried Lessing, dont elle aura un fils, Peter. En 1949, elle divorce et part pour Londres avec Peter, laissant ses deux premiers enfants à leur père. Un an plus tard, elle publie son premier roman, Vaincue par la brousse, qui connaît un vif succès.

Une œ,uvre prodigieuse


Les préoccupations anti-colonialistes de ses années de jeunesse en Afrique et celles des années 50 en Angleterre sont au coeur d'une série de cinq romans appelée Les Enfants de la Violence et Le Carnet d'Or (prix Médicis Etranger 1976). Dans les années 70, Lessing abandonne le roman autobiographique et entame une série de romans d'anticipation (Canopus in Argos) influencée par des idées puisées dans le soufisme. Depuis une vingtaine d'années, Lessing revient aux formes narratives plus traditionnelles, pour parler de la psychologie intime : l'amour à la soixantaine (L'Amour encore), la tendance de la femme à sacrifier son « moi » pour les autres (L'Été avant la nuit, La terroriste, Le cinquième enfant), les liaisons de deux amies chacune avec le fils de l'autre (Les Grand-mères).

Le Carnet d'or


Parmi son œ,uvre foisonnante, je vous parlerais simplement du Carnet d'or qui a marqué ma jeunesse et que je viens de relire, quarante ans plus tard, avec un intérêt toujours aussi soutenu. Ce roman, considéré comme son chef d'œ,uvre, est devenu un grand classique de la littérature féminine (ou féministe) ? A vous de juger !

La structure du livre


Ce fut une innovation. Il est composé d'un roman-cadre (Les Femmes émancipées) qui raconte la vie quotidienne d'Anna, une jeune femme écrivain qui élève seule son petit garçon, milite au parti communiste de Londres et tente de surmonter à l'aide d'une psychanalyse ses déceptions amoureuses et le drame de la page blanche. Le roman est entrecoupé de quatre « cahiers », sortes de journaux intimes tenus par Anna : le cahier noir, où elle raconte son premier engagement marxiste en Afrique , le cahier rouge, qui explique son désenchantement progressif avec le Parti, le cahier jaune, dans lequel elle commence un roman qui est le miroir de sa vie , le cahier bleu, qui relate ses séances d'analyse jungienne et ses rêves. Ces cahiers sont sensés lui servir de matière première pour un nouveau roman. En même temps, ils montrent la fragmentation de sa vie, qu'elle ne pourra dépasser que grâce au carnet d'or.

A l'écoute des femmes


Pour les femmes de notre génération, Le Carnet d'or a fait l'effet d'une révolution dans la littérature car il relate, pour la première fois sous cette forme, la vie quotidienne des femmes —, non pas celle de femmes d'élite, comme Virginia Woolf —, mais celle des femmes en quête d'épanouissement en dehors des rôles traditionnels, dans la vaste classe moyenne qui se construisait dans l'après-guerre. Lessing tend une oreille sensible aux accents universels de leur discours et restitue fidèlement les soucis quotidiens et les aspirations à la liberté de ces femmes. Elle révèle les problèmes matériels des femmes divorcées, leur difficulté à jongler avec la vie professionnelle, les responsabilités parentales et le désir d'amour, leur solitude et leur malaise sexuel, autant de sujets rarement développés à l'époque, mais qui sont toujours d'actualité aujourd'hui.

Libération, oui, guerre des sexes, non !


A l'instar de Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe, d'Anaïs Nin dans son journal, Doris Lessing parle de la condition des femmes. Pourtant, elle ne s'est jamais reconnue dans le féminisme pur et dur. Son anathème lancé à Edinbourg contre ces « femmes stupides, ignorantes et méchantes qui s'attaquent aux hommes les plus intelligents et gentils qui soient » était une provocation, bien sûr, à l'égard de féministes qui dans les années 60, voulaient faire d'elle leur porte-drapeau.

Plus ça change...


Dans Le Carnet d'or, Doris Lessing fait revivre avec talent toute une époque, ses peurs, ses illusions, ses tâtonnements et ses élans à travers la vie des femmes. Certes, les problèmes politiques et sociaux se sont décalés, ont évolué, mais les grandes questions restent.

Par Suzanne Green

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