Le danseur et chorégraphe Mourad Merzouki

Le chevalier du Hip Hop

Il a fait du hip hop sa ligne de vie. Le chorégraphe Mourad Merzouki, aujourd'hui directeur du Centre chorégraphique national CCN de Créteil, a fait passer cet art de la rue à la scène, il l'a porté dans le monde entier. Il a réussi à y insuffler liberté et rigueur, humour et poésie. Portrait.

 

Mourad Merzouki :'Boxe, boxe'

La vie de Mourad Merzouki pourrait évoquer un conte moderne, une histoire contemporaine de héro du XXIème siècle, de chevalier solitaire et visionnaire, même si ce cliché un peu trop romanesque le ferait certainement sourire.

Faire du hip hop sa ligne de vie et de cœ,ur, telle est l'histoire de Mourad Merzouki, danseur et chorégraphe inspiré et libre. Les étapes d'évolution, il les connaît toutes et ne retient que celles qui l'ont fait avancer vers ses objectifs d'artiste et ses initiatives de citoyen curieux de la différence, de la mixité, de l'ouverture sur la société et le monde.

« Curieux », est un mot qu'il emploie souvent. Comme un écho à un insatiable appétit pour son art, à une boulimie de projets, d'influences nouvelles, d'idées folles et belles, exigeantes et sensées, toutes fédératrices d'un mouvement de la danse vers la rencontre artistique et sociale. Toutes généreuses.
Mourad perçoit dans le hip hop, un mouvement intelligent, une liberté juste.

Absent des institutions, des conservatoires, ce mouvement artistique urbain voué à une évolution constante ne peut pas se figer. Et là réside toute sa richesse. Mourad s'évertue à mettre dans son hip hop de la sueur, du muscle, de la rage autant que de l'humour et de la poésie mais par-dessus tout un désir bouillant, volcanique de faire passer cet art de la rue à la scène et de le rendre accessible à tous.

Mourad Merzouki

Lorsqu'il crée sa première compagnie « Accrorap » à 18 ans, Mourad ne sait pas qu'il est déjà en train de changer les choses, d'apporter une nouvelle vision de la danse et de la société, d'ouvrir une fenêtre à cent battants sur le monde.

La Compagnie Käfig

Créée en 1996, Käfig, sa compagnie actuelle, fertile, en constante gestation, donne vie à autant de ballets où les danseurs de toutes cultures confondues, s'appliquent ensemble à envoyer du rêve au spectateur dans une énergie défiant les lois de la gravité. Depuis 16 ans maintenant, plus de 2200 représentations ont eu lieu dans 61 pays et 600 villes. Cinq spectacles ovationnés par un public comblé et heureux, tournent en permanence aux quatre coins de la planète telle une fête foraine enchantée.

Mais avant d'en arriver là, il a fallu digérer le goût du bitume, accepter d'entendre les portes claquer, rentrer par les fenêtres pour aller répéter dans des salles dont jamais aucune clé n'était laissée à disposition. Apprendre à bien s'entourer, avoir les bons réflexes pour répondre aux projets, être à l'affût de chaque opportunité.

Mourad raconte avec pudeur qu'il a bien failli abandonner ses rêves lorsque son premier groupe de danseurs s'est dispersé. Mais les difficultés exacerbent sa volonté et après avoir rapidement établi son propre bilan, il en conclue qu'entre la perspective de travailler dans un fast-food et celle de vivre sa passion, le choix est vite fait. Avec le recul, il rend aujourd'hui grâce à sa naïveté d'adolescent sans laquelle il n'aurait peut-être pas réussi. « J'étais naïf et heureusement ! »

Croire en ce que l'on fait aveuglément transforme les doutes en certitudes, en évidences. Circassien, il rêvait déjà de spectacle vivant, jusqu'au jour où, répétant dans la rue avec ses amis, il est remarqué et invité à se produire sur scène. Les opportunités n'ont ensuite jamais cessé de se manifester.

Trouver les mots justes

Né à Lyon en 1973, Mourad, autodidacte, s'inspire de rencontres, se forme seul aux côtés de professionnels de la danse avec qui il apprend l'écriture chorégraphique ainsi que l'art de s'exprimer, de « trouver les mots justes pour s'adresser aux gens » dit-il le plus simplement du monde. Mourad prend des risques et se retrouve parfois dans des projets « trop grands pour lui ». Cette instructive école du terrain, l'oblige à se jeter dans l'arène dont il ressort chaque fois un peu plus fort et expérimenté, nourri d'expériences enrichissantes. L'idée de se mettre en danger, de sortir de sa zone de confort et d'aller vers l'autre devient son leitmotiv parce que le pari est toujours gagnant quelle qu'en soit l'issue.

L'univers du cirque, puis des arts martiaux et de la boxe qu'il a pratiqués pendant son adolescence ont nourri son imaginaire et font partie de ses ballets, de son univers artistique. Sur scène, les objets du décor prennent vie et créent du mouvement avec les corps des danseurs. Dans « Boxe Boxe », le ring roule, s'ouvre et se ferme, le sac de frappe se balance, les punching ball dansent, rebondissent, virevoltent. Dans « Agwa » les verres d'eau volent et retombent comme une pluie divine.

Dans son processus de création, Mourad travaille sur l'image, met en scène l'énergie et ne cherche pas forcément à faire passer un message. Il sculpte, dessine avec les corps et réinvente une magie chorégraphique dans un subtil métissage où force esthétique, émotion, humour, musicalité et poésie s'entremêlent. « Dans la création, mes sens sont constamment en éveil, en alerte. Tout me parle. Un mot clé m'évoque une forme, une couleur, un tableau, une image, un son, une musique ». Ainsi naissent ses spectacles, sans chercher l'aspect analytique des choses mais en les laissant parler et exister d'elles-mêmes. Et c'est sans doute là que naît le sens qu'il ne cherche pas, quand il procure au spectateur une émotion, une surprise, un éveil.

Offrir une chance aux jeunes compagnies

Les clés qu'il n'a jamais eues, Mourad les distribue aujourd'hui aux jeunes compagnies talentueuses qui nécessitent un soutien institutionnel, des infrastructures, de l'espace pour travailler dans des conditions décentes. En 2007, il crée le festival « Karavel » offrant ainsi la chance à certaines compagnies de danser sur scène. En 2008, il fonde un espace de création dédié au développement chorégraphique nommé « Pôle Pik », dans la ville de Bron. Aujourd'hui, notamment grâce à l'appui du Centre Chorégraphique National de Créteil dont il est directeur depuis 2009, il veille à apporter sa coopération à de nombreux projets, cultivant ses besoins d'exigence dans un souci de qualité.

Mourad Merzouki : avec les danseurs des favelas

Il n'hésite pas non plus à parcourir le monde pour aller débusquer un groupe de danseurs brésiliens issus des favelas et à en faire la branche brésilienne de sa compagnie en créant les ballets « Agwa », « Correria », « Kafig Brazil » en tournée internationale depuis maintenant cinq ans.

Mourad renouvelle l'expérience sur chaque continent qu'il foule : en Afrique du Sud, il part à la rencontre de jeunes gens vivant dans les townships pour partager son art. En Asie lors de la tournée du nouveau spectacle franco-taïwanais « Yo Gee Ti », puis en Amérique du Sud, des ateliers sont organisés dans un objectif de rencontre de la danse vers l'autre, toute barrière socio-culturelle écartée , belles initiatives récompensées lorsqu'il reçoit le Trophée « Créateurs sans frontières » .

Apporter son hip hop à l'étranger, à des jeunes qui n'évoluent pas forcément dans un milieu favorisé lui a permis de retrouver dans le rapport à la danse et au public - dit-il - ce qu'il commençait à perdre en France: cette espèce de rage, d'impatience, d'insolence dans la danse qu'il ressentait à ses débuts.

« Depuis que le hip hop s'est un peu institutionnalisé, qu'il évolue dans un peu plus de confort - et ce n'est pas que négatif - on a perdu en fraîcheur, en authenticité. » L'aspect « rugueux » du hip hop qui marque son identité perdait de sa force comme un tag devenu trop lisse déformant sa griffe, sa patte. L'idée d'associer le voyage à la danse s'inscrit parfaitement dans sa philosophie d'homme affranchi et d'artiste exalté. « Cela nourrit et agrandit ma vision de la danse, j'ai besoin de ces expériences-là. »

Au cours de ses voyages, Mourad cherche à être poussé dans ses retranchements, à être bousculé dans son processus de création, car la communication entre personnes ne parlant pas la même langue trouve son paroxysme dans le corps, la gestuelle, et l'oblige à réinventer sa relation avec la danse, la musique, et les danseurs. La différence prend ainsi tout son sens, et de ses créations hybrides s'écoule le récit de ses merveilleuses rencontres humaines et artistiques.

Quand on lui parle de transmission, son regard s'illumine : « J'ai la responsabilité de passeur. Les jeunes sont les danseurs de demain et renouvellent le hip hop, c'est grâce à eux que cette danse perdure ».

Mourad Merzouki : sa compagnie se produit dans 61 pays

Partager ses acquis est donc une étape naturelle pour Mourad également conscient du caractère éphémère de la danse et de l'importance de laisser une trace, une empreinte de sa contribution à l'évolution du hip hop en France.

«Je rêve tous les jours»

Mourad Merzouki est un homme doué, intelligent, intuitif, serein. Pudique aussi, humble, modeste, et cette simplicité est sans doute sa plus grande qualité. Le contact est facile, évident, et s'alimente tout seul. C'est presque magique, comme un moment suspendu dans la course effrénée du quotidien, une belle parenthèse. Mourad embellit le temps passé en sa compagnie. Ses équipes ne tarissent pas d'éloges sur son humanité, sa gentillesse, sa disponibilité malgré ses urgences artistiques dont il a besoin, ces nombreux rendez-vous avec lesquels il jongle habilement et qui font de lui un homme rassasié et accompli.

Quand on lui demande ce qu'on pourrait encore lui souhaiter, il répond simplement « que les choses continuent, j'aime ce que je fais, je rêve tous les jours». Sa recette est presque trop simple pour être vraie : Mourad est un éternel satisfait, ne regarde pas en arrière et ne se contente jamais de ce qui a déjà été fait. Vigilant sur l'idée que tout peut s'arrêter du jour au lendemain, il parle de succès avec prudence, voire superstition et s'oblige à se lancer des défis réguliers, sans opportunisme aucun, mais juste parce qu'il se sent bien comme ça et que c'est sa manière de fonctionner : « je préfère ne pas me donner du temps au doute ».

Des hommes comme lui, on aimerait en rencontrer plus souvent car Mourad fait partie de ces personnes qui inspirent confiance et foi. Toute la beauté de son histoire ne réside pas dans les objectifs atteints mais dans le chemin parcouru. C'est là que se situe la noblesse de son travail. Son exemplarité reconnue et soulignée notamment par ses nominations de chevalier des arts et des lettres et de la légion d'honneur, ne laisse pas indifférent et en impose, mais sa belle humilité renvoie au vestiaire toute timidité malvenue.
Chevalier, Mourad l'est bel et bien à sa manière, en avance sur son temps, sa sérénité lui donnant des allures de prophète. Et et cela est définitivement tout sauf désuet...

Par Laure Thirion

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