Le Nouvel Orsay de Guy Cogeval

Inauguré mercredi dernier, le 'Nouvel Orsay' ouvrira ses portes au public le 20 octobre 2011. Guy Cogeval, président des musée d'Orsay et de l'Orangerie, nous éclaire ici sur la rénovation du musée, fruit d'un grand chantier qu'il a initié et conduit qui a nécessité deux ans de travaux sans fermeture du musée.

Orsay soufflera en décembre ses 25 premières bougies. En un quart de siècle, le musée a inscrit dans la durée et le succès son destin unique. A la veille de cet anniversaire, il lui fallait faire peau neuve. Le temps était venu. Architecture, éclairage et accrochage, ces transformations sont les plus importantes qu'aient engagées Orsay depuis 1986. Rendus indispensables par une fréquentation accrue des collections et la nécessité de mieux répartir le flux des visiteurs, les travaux ont permis de repenser, dans leur ensemble, la présentation des œ,uvres et la logique de circulation. Le parcours, pour retrouver fluidité et cohérence, repose notamment sur la séparation plus nette entre l'impressionnisme et le postimpressionnisme. Résultat, chacun de ces moments forts de l'art moderne y gagne une meilleure visibilité. Et le public un confort accru.

Nous voilà conviés à une nouvelle «aventure du regard» au cœ,ur d'un 19ème siècle que l'histoire de l'art ne cesse de «réinventer», pour le dire comme Flaubert. Ainsi modifié, enrichi et comme redynamisé, Orsay se veut à la fois une maison plus accueillante et une fenêtre plus complète sur l'époque qui a fondé notre modernité.

Un lieu repensé

Plus de trois millions de visiteurs poussent chaque année les portes du musée. Les étrangers plébiscitent Orsay, ce passage obligé dans leur découverte du Paris artistique. Certaines de ses œ,uvres ont acquis le statut de véritables icônes, du Déjeuner sur l'herbe de ManetLa Nuit étoilée de Van Gogh. Au fil des années, toutefois, ce succès a fini par se heurter aux contraintes d'un bâtiment et d'une circulation qui n'avaient pas été conçu à sa mesure. Les galeries du 5ème étage connaissaient, quotidiennement, un état de saturation néfaste pour les œ,uvres et désagréables pour les visiteurs. Déroulant en continuité impressionnisme et postimpressionnisme, ces salles détournaient même le public des autres espaces du musée. Par ailleurs, l'ancienne «Salle des colonnes» (succession de niches, le long d'un corridor planté de colonnes non portantes), ne rendait guère justice au développement de la peinture après Seurat et Gauguin. Près de l'ancien Café des hauteurs, Toulouse-Lautrec, confiné et isolé à l'excès, souffrait plus encore des
chicanes de la déambulation première. La décision de déplacer le postimpressionnisme s'est doublée d'une remise en valeur des artistes Nabis et de leur évolution après 1900. La nécessaire redistribution des collections au sein des espaces a donc été mise à profit pour donner à voir les dernières avancées de l'histoire de l'art, suggérer des correspondances inédites et faire en sorte que les catégories, trop contraignantes, soient moins sûres d'elles-mêmes. Il s'agissait également de rendre au musée la polyphonie, entre les courants, les techniques et les différents arts qui étaient au cœ,ur de sa vocation première, notamment en renforçant le dialogue entre peinture et sculpture et en redonnant toute leur place aux arts graphiques, en résonance avec toutes les collections du musée.

L'ancienne «Salle des colonnes», entièrement démantelée, a libéré un plateau de quelques cinq cents mètres carrés, qui abritera désormais deux à trois expositions de moyen format par an. De part et d'autre de cette grande salle ont été aménagés des cabinets particulièrement propices à la présentation de la collection d'art graphique du musée ou destinés à étendre le périmètre des expositions temporaires en y incluant dessins d'architecture, photographies, ou documents d'archives.

La Galerie des impressionnistes

Cœ,ur battant de l'ancien musée, elle reste un des passages névralgiques de la nouvelle présentation. C'est à Jean-Michel Wilmotte qu'est revenu le soin d'en corriger le dessin, améliorer l'éclairage et revoir le délicat dialogue entre les vitrines et les murs colorés, en conservant le contrepoint avec l'architecture 1900 de Victor Laloux grâce aux structures métalliques laissées volontairement apparentes. La pose d'un plancher, en plus d'un regain d'élégance, confère à ces espaces une chaleur et une intimité qui conviennent à des œ,uvres conçues, avant tout, pour l'espace domestique moderne. La cire assez sombre retenue pour teinter le bois évite l'éblouissement que l'on pouvait connaître auparavant, par journée très ensoleillée, sur les dalles de pierres polies du sol. En 1986, le choix d'aménager les combles de l'ancienne gare d'Orsay pour y loger les tableaux impressionnistes découlait de l'apport possible de lumière zénithale. Ce parti pris, traditionnel au fond, et préférable aux baies latérales, a été conservé et amélioré par le soutien d'un éclairage artificiel, modulable en fonction de la clarté du jour. Au lieu de l'illusoire neutralité des murs beiges, cette galerie offre désormais une couleur profonde sur laquelle la palette des impressionnistes peut s'appuyer pour être perceptible comme jamais auparavant.

La Galerie Françoise Cachin et la galerie symboliste

L'étage du bâtiment le long de la rue de Lille s'annonce comme un autre point névralgique du musée avec une véritable redécouverte des prolongements de l'impressionnisme. Tout commence avec les expériences de Gauguin à Pont-Aven confronté à la conquête par Van Gogh de la lumière à Arles. Après deux salles consacrées à l'apothéose de Van Gogh à Auvers-sur-Oise et Gauguin en Polynésie, l'aventure postimpressionniste se poursuit avec le néoimpressionnisme autour du Cirque de Seurat et la peinture de l'époque nabie autour de 1890. La grande nouveauté de la muséographie est de structurer le parcours autour de grands courants dont les développements se poursuivent tout au long de la deuxième partie du XIXe siècle. La galerie du rez-de-chaussée Lille est dès lors dévolue au symbolisme de Gustave Moreau, Pierre Puvis de Chavannes, Redon à ses développements chez Gauguin, Denis et Vuillard. Se crée alors une circulation inédite entre le cloisonnisme et le nabisme à l'étage et la présentation de leur versant symboliste de la fin du siècle. Enfin, la terrasse a été profondément transformée pour accueillir une véritable galerie de sculptures, profitant à la fois des volumes de la magnifique voute héritée de la gare et de la proximité des tableaux avec lesquelles elles sont en correspondance.


Le Pavillon Amont

Troisième moment fort du programme architectural et du parcours qui mène de Manet au dernier Bonnard, cet espace a changé du tout au tout. Tirant parti pour la première fois de toutes les virtualités d'un vide sous-exploité, Dominique Brard et l'Atelier de l'Île ont conçu et réalisé cinq niveaux d'exposition, abondant ainsi la présentation des collections permanentes de près de deux mille mètres carrés. Plancher et cimaises de couleur ont également été retenus. Un puits de lumière dissipe toute sensation d'enfermement. Au rez-de-chaussée, une salle entière, d'une formidable hauteur sous plafond, permettra de mettre en valeur les grands formats de Gustave Courbet, tel que L'Atelier du peintre, ou encore L'hallali du cerf, dépôt du musée d'Orsay que le musée des Beaux-Arts de Besançon, en travaux jusqu'en juin 2014, restitue temporairement. Les niveaux 2, 3 et 4 reçoivent l'art décoratif international des années 1900, rapproché pour la première fois de la production tardive des Nabis, Vuillard, Bonnard et Maurice Denis en premier lieu. A cet égard,
une passerelle relie désormais directement le deuxième étage aux galeries
supérieures de la grande nef du musée. Au dernier étage du pavillon Amont enfin, le visiteur, s'il le souhaite, retrouve le chemin des collections impressionnistes après avoir traversé l'espace superbement dépouillé qu'orne seule l'une des horloges monumentales de l'ancienne gare. Entre les aiguilles, le panorama parisien, l'un des plus saisissants de la capitale.

Présence(s) du design contemporain

Naturellement, l'accent porté sur les années 1900 appelait la contribution des créateurs d'aujourd'hui. Le design contemporain est l'héritier direct des objets d'art présentés sur trois des niveaux du Pavillon Amont. Ainsi les frères Campana ont-ils totalement revisité le Café des hauteurs en hommage à Emile Gallé et à sa liberté décorative, son goût des éléments marins, de l'arabesque entêtante et des couleurs saturées. Le designer japonais Tokujin Yoshioka a posé sa griffe sur les bancs «Water Blocks» qui scandent la Galerie impressionniste de leurs effets d'eau irisée et de délicieux flottement. Le musée a enfin commandé une série de chaises réalisées par Marcel Wanders pour les agents de surveillance affectés aux nouveaux espaces. C'est ce designer également qui signe les lustres du nouvel espace librairie et vente de la Réunion des Musées Nationaux, installé à proximité de la grande horloge du Pavillon Amont.


Galerie Chauchard entre Courbet et les Pompiers

Dans la continuité de l'ambition initiale du musée d'Orsay, la présentation et la connaissance de tous les arts du XIXe siècle, le rez-de-chaussée donne à voir du côté Seine tous les arts du Second Empire. Une première galerie présente la révolution du paysage de l'école de Barbizon, les Corot, Millet, Rousseau, Diaz, de la prodigieuse collection Chauchard et se poursuit avec les autres œ,uvres plébiscitées au Salon jusqu'au début des années 1870. De part et d'autres, les avant-gardes de l'époque se déploient dans des salles consacrées à l'Orientalisme, Courbet, Monet et une confrontation des débuts de Cézanne aux peintures de Manet inspirées de la peinture espagnole. Dans la continuité se retrouve une histoire de l'émulation entre les jeunes artistes qui se lancent sous le Second Empire, notamment Tissot et Degas, dans les salles du fond de l'allée des sculptures, du côté Lille.

Une cohérence retrouvée

La vocation originelle du musée d'Orsay, sa raison d'être, consiste toujours à montrer l'art occidental des années 1848-1914 comme aucun autre musée ne l'avait fait avant 1986 et ne l'a tenté depuis. La nouveauté de l'entreprise, quand son idée prit corps, tenait moins à la période considérée qu'à la façon dont elle serait montrée au public. Sélection, orientation, présentation, autant de perspectives à réinventer. Si le cadre chronologique menait du réalisme au fauvisme et aux derniers développements du mouvement Nabi, selon une trajectoire alors admise, les choix muséographiques avaient de quoi déranger. Ils dérangèrent, du reste, et la polémique fit rage dans la presse et les revues d'opinion... La vraie singularité du musée d'Orsay ou la cause du scandale, selon le point de vue qu'adoptèrent alors les commentateurs, c'est qu'il donnait accès, pour la première fois, à une tranche entière de l'histoire des arts, à la manière d'un musée de civilisation, sans s'aligner sur les hiérarchies et les exclusives du premier XXe siècle. Au cours des années 1960-1970, l'intérêt des chercheurs et des collectionneurs s'était certes porté sur les «exclus» de la mémoire artistique, artistes et mouvements, qu'il s'agisse de ceux qu'on appelle vaguement les Pompiers ou des courants esthétiques dévalués comme le symbolisme, l'orientalisme ou l'Art Nouveau, etc. Orsay est né de cette évolution des sensibilités autant que de l'émotion que causa la destruction des halles de Baltard. Porteur d'une vision plus large, où l'unité historique devait prévaloir sur les oppositions devenues stériles, le musée du renouveau entendait éclairer d'une lumière égale ceux qui avaient traversé le temps en vainqueurs, de ManetMatisse, et leurs victimes, de CoutureBouguereau. Tout aussi urgent apparaissait le besoin de jeter un œ,il neuf sur d'autres lignes de forces que le réalisme, l'impressionnisme et leur héritage direct. La modernité, génie d'un siècle en rupture, et l'invention, obsession d'un siècle en mouvement, n'avaient pas été leur privilège exclusif. On ne pouvait plus ignorer en 1986 la place qui revenait aux autres voix de la création, tournée plus résolument vers la tradition, l'exotisme ou l'onirisme. Il fallait en outre rappeler aux visiteurs qu'il était vain d'opposer brutalement regard objectif et vision intérieure, impression et expression, arts du réel et arts de l'irréel, pour parler comme Malraux. A l'instar de la création contemporaine, largement entrée dans l'ère postmoderne, Orsay pouvait désormais délester le second XIXe siècle des
perspectives trop linéaires. Reste que le salutaire bilan qu'offrait Orsay en 1986 a eu
tendance à s'émousser au cours des années récentes. Disparition de la salle orientaliste , raréfaction des tableaux pompiers , dispersion du lien jusque-là affirmé entre l'œ,uvre d'art et son ancrage historique. A rebours de l'œ,cuménisme et de l'effort de contextualisation qui avait inspiré le programme originel, les salles se sont en effet vidées de ces grandes machines, voire de ses vastes tartines, dont il faut saluer le retour dans les salles, à l'endroit même où elles peuvent dialoguer avec ce que nous appelons «les modernes». Qu'on puisse à nouveau juger sur pièce et sur place les toiles jadis fêtées de Bouguereau, Barrias, Robert-Fleury, Gervex, Dinet et même Geoffroy, voilà qui est réconfortant. On aurait tort d'y diagnostiquer, voire de condamner un nouvel essai de réhabilitation, comme on a pu le dire lors de l'ouverture du musée, quand il était de bon ton de dénoncer une reculade antimoderne dans le souci de faire cohabiter «arrière-garde» et «avant-garde». Il s'est agi plutôt de recréer les conditions d'un regard à la fois instruit, libre et imaginatif. Redonner un propos plus cohérent au parcours général, c'est à la fois renouer le fil historique et le lien des convergences oubliées. Plus que jamais la peinture y rencontre, au sens fort, la sculpture, l'architecture et la photographie, jusqu'au cinéma des origines. Sous le choc des styles, ou la cacophonie apparente des sujets, toutes ces œ,uvres partagent l'empreinte de leur époque et l'ambition d'en exprimer la vérité. Au musée d'Orsay de le faire comprendre en redonnant sens et substance à tous les croisements qu'autorise la collection. Les œ,uvres, doivent chatoyer les unes par rapport aux autres. Comme les Salons du temps, qui revivent à leur manière, le nouvel Orsay réunit les amis ou les ennemis d'hier, et fait surgir une histoire complexe derrière eux. La nôtre.

Un éclairage de pointe

L'une des innovations majeures de la présentation des œ,uvres est la mise en place d'un éclairage de dernière génération, reproduisant quasiment à la perfection la lumière naturelle, mais de manière directionnelle. Le résultat permet d'apprécier la richesse chromatique des œ,uvres de façon tout à fait inédite. Il s'agit bien souvent d'une redécouverte des œ,uvres comme lorsque les coiffes des arlésiennes de La Salle de bal à Arles de Van Gogh, que l'on croyait noires, sont apparues d'un bleu intense. L'effet est d'une manière générale pour l'impressionnisme, éblouissant dans la révélation des couleurs.

L'abandon du blanc

Peu à peu, dans le sillage du Museum of Modern Art de New York, les musées du XXe siècle optèrent pour les cimaises blanches, baignées de lumière vive. Étrange évolution quand on songe aux premiers musées et à leur polychromie inspirée, le plus souvent, des réalisations romaines et pompéiennes. Or l'art du XIXe siècle, peinture et sculpture, appelle des surfaces colorées et une mise en valeur plus fine de la chromie des œ,uvres. Le blanc tue toute peinture, en dehors de l'art du XXe siècle et de l'art contemporain. Lorsque vous placez une peinture académique ou impressionniste sur un fond blanc, le rayonnement du blanc, son halo d'indétermination autour de l'œ,uvre, empêchent la révélation des contrastes de valeurs, parfois si subtils. Progressivement, depuis 2008, le musée d'Orsay a renoué avec le principe du mur coloré en testant de nombreuses teintes. Un tableau de Courbet ou une toile de Manet exigent d'autres fonds que la peinture impressionniste à la fois plus claire et plus cursive. Par ailleurs, les cadres dorés, notamment les cadres propres à la peinture de Salon, retrouvent leur fonction visuelle et valorisante sur les fonds de couleurs. Les nouvelles salles obéissent donc à ce nouveau parti pris qui apporte aux salles de peintures une chaleur et une élégance très appréciables.

Guy Cogeval

- Musée D'Orsay (Entrée du musée d'Orsay : 1, rue de la Légion d'Honneur, 75007 Paris.)
- Horaires : 9h30-18h/
21h45 le jeudi/
fermé le lundi
- Tarifs : Plein tarif : 8 €
Tarif réduit : 5,50 €
Moins de 18 ans, adhérents : gratuit
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Lire également :
- Vers le Nouvel Orsay
- Musée d'Orsay : Inauguration des nouveaux espaces

Par Nicole Salez

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