Éclat d’une vie de Caroline Torbey : le témoignage poignant d’un Liban en plein effondrement

Éclat d’une vie. Beyrouth, 4 août 2020, 18h07 : c’est le titre du dernier livre de Caroline Torbey paru aux éditions L’Harmattan. Établie au Liban, l’écrivaine franco-libanaise livre un témoignage poignant sur la catastrophe survenue à Beyrouth le 4 août 2020 et l'horreur vécue par le peuple libanais.

 

Caroline Torbey

Portrait de Caroline Torbey

 

Beyrouth, le mardi 4 août 2020, 18h07. Deux explosions dévastatrices secouent la capitale libanaise, provoquant un souffle ressenti à des dizaines de kilomètres à la ronde et de nombreux dégâts. Le bilan humain est dramatique : 220 morts et près de 7000 blessés. En cause : un stock de – possiblement – 500 kilogrammes de nitrate d’ammonium entreposé dans un bâtiment du port de Beyrouth, servant d’engrais dans l’agriculture et d’explosif dans l’industrie minière.

Le peuple libanais accuse son gouvernement, qui fait la sourde oreille : « Une image m’interpelle plus que les autres, celle de trois jeunes gens tagguant un muret en face du port de cette phrase véridique : MY GOVERNMENT DID THIS ». Survenu dans un pays fragilisé par de multiples crises, ce drame a relancé le mouvement de contestation contre une classe politique accusée de corruption et de négligence, conduisant ainsi le premier ministre Hassan Diab et son gouvernement à démissionner le 10 août 2020.

 

Quand la littérature permet de mettre des mots sur les maux

« Le paysage de désolation qui s’offre à nous à l’approche de Beyrouth et du port est abominable et m’est encore pénible à décrire ». Blessée par cette tragique déflagration, Caroline Torbey tente de panser ses plaies à travers une écriture qui se veut salvatrice. Dès le début de son roman, l’auteure franco-libanaise énonce l’impérieuse nécessité de témoigner sur cette catastrophe collective que chacun a vécu différemment : « La réalité n’existe que si quelqu’un est là pour la raconter ». Écrire pour extérioriser le traumatisme vécu et l’angoisse qui reste très ancrée, telle est la raison d’être de son œuvre.

 

Du témoignage personnel au récit d’une fêlure collective

Au-delà de son récit personnel, c’est le soulèvement de tout un peuple partagé entre horreur, désespoir, douleur, colère et incompréhension que Caroline Torbey nous dépeint avec une grande justesse : « Mon histoire, c’est celle de nombreux Libanais qui ont vécu, de près comme de loin, la plus grande catastrophe humanitaire de notre siècle survenue à Beyrouth le 4 août 2020 à 18h07 ».

L’écrivaine met ainsi à l’honneur la force, le courage, la détermination et surtout l’espoir du peuple libanais, notamment celui des femmes, face à l’indicible et à la succession de crises qui touchent le Liban, autrefois appelé la Suisse du Moyen-Orient. Engagée dans la place de la femme au sein de la société libanaise, Caroline Torbey évoque les souvenirs de la révolution du 17 octobre 2019, la Thaoura, dont les femmes ont été le moteur.

 

L’entraide et l’espoir, socles de la reconstruction

« Beyroshima », surnommée ainsi à cause de sa puissance destructrice, fut au cœur de l’actualité mondiale durant plusieurs semaines. D’après les estimations, 300 000 foyers ont été touchés. Partout dans la presse, on glorifie encore et toujours les louanges de la « formidable résilience des Libanais » qui traversent les crises l’une après l’autre : « Pour enterrer la résilience, il faudrait déjà ne plus l’être ! ».

Si ses nombreux appels aux dons auprès d’associations l’ont aidé à dépasser le traumatisme, Caroline Torbey exprime surtout sa grande fierté de voir la ferveur avec laquelle les Libanais s’entraident : « C’est toute la diaspora libanaise, estimée à près de 15 millions d’individus installés un peu partout sur la planète, qui s’organise pour venir en aide au Liban de quelque manière que ce soit ».

 

« Trouver la beauté certaine dans les ruines »

L’auteure met en lumière la jeunesse libanaise « cette jeunesse désenchantée, fracassée, mais toujours battante » qui se serre les coudes pour nettoyer Beyrouth et se mobilise pour aider les plus touchés. Face à ce présent et cet avenir pleins d'incertitudes, elle appelle ces jeunes Libanais en quête de stabilité et de sécurité à garder espoir tout en essayant de « trouver la beauté certaine dans les ruines ». Un espoir traduit dans le titre de son ouvrage, qui fait référence aux éclats de verre provoqués par ces explosions, mais symbolise également l’éclat d’une vie.

 

Ce 4 août 2020 marquera à jamais les habitants du pays du Cèdre, les rues de Beyrouth et l’Histoire du Liban :

C’est comme si on avait effacé une partie de la mémoire des Libanais .

Et reste la mission de faire éclater toute la vérité sur ce drame : 

Et le saurons-nous un jour ? Une enquête internationale est en cours, mais nous dévoilera-t-elle toute la vérité si elle dérange certains intérêts ? 

Un livre porteur d’espoir qui offre une formidable leçon de courage et d'Humanité.

 

Livre éclat d'une vie Beyrouth, 4 août 2020, 18h07

 

Extraits choisis :

 La crise sanitaire planétaire de la Covid-19 n’octroyait que très peu de chances qu’on vienne lui voler la vedette sur la scène médiatique internationale. Toutefois, c’est ce qu’a fait une explosion apocalyptique survenue dans le port de Beyrouth le 4 août 2020 à 18h07. Cet évènement fait partie des catastrophes humanitaires les plus meurtrières de notre siècle, classée troisième explosion en termes de violence après celles d’Hiroshima et de Nagasaki. 

Et puis, malheureusement, plus d’un an après l’apocalypse, on ne parle presque plus de Beyrouth dans les médias internationaux. Ça parait déjà loin, Beyroshima, mais, dans le cœur des victimes, elle est toujours douloureusement présente. Elle infléchit le destin des gens et c’est là que la littérature intervient. 

Plus qu’une thérapie salutaire, plus qu’une histoire pansement, je vais vous raconter un enchaînement d’images écrites sans artifice, sans exagération ni fioriture qui n’est autre que le récit d’un crime contre l’humanité dont les coupables ne sont toujours pas punis. 

À l’instant où je noircis ces pages, c’est la première fois que je prends réellement conscience que je suis habitée par la vie. C’est prodigieux de vivre. 

À 18h07, exactement 7 secondes après la première explosion vue puis entendue, Beyroshima s’abat sur Beyrouth dans une déflagration apocalyptique. Tout éclate, s’écroule, se brise, se casse, s’effondre face à la puissance meurtrière du souffle. 

La fuite. C’est un concept qui poursuit, une vie durant, tout Libanais qui naît et habite au Liban. Dès l’enfance, on inculque aux gamins à être prêts. Prêts à fuir. Fuir la guerre, fuir l’instabilité politique, fuir les crises économiques, fuir le manque de soins, fuir le chômage, fuir les odeurs nauséabondes des amoncellements de déchets dans les rues qui ne sont pas ramassés par l’État défaillant, fuir la fuite elle- même. 

Tout est comme cela au Liban : bancal, dangereux, tordu. Fabriquer un désastre home made, fait maison, en mélangeant les pires ingrédients moraux qui puissent exister autrement dit la négligence meurtrière, l’insouciance criminelle et la corruption scélérate, tel est le malheur du petit pays et de son peuple mal gouverné depuis de trop nombreuses années. 

En un peu plus d’un an, nous avons connu des espoirs révolutionnaires, une crise financière sans précédent, une pandémie mondiale et une explosion apocalyptique.

Être résilient, même en langue anagramme, ça voudrait dire ne pas changer et accepter son sort. Ce serait accepter le fait d’être condamné à encaisser les coups, à souffrir, et à puiser ce qu’il reste de forces en nous pour pouvoir nous remettre sur pieds. Là où d’autres, comme le psychiatre Boris Cyrulnik, voient la résilience comme étant un moyen d’aller vers un nouveau commencement, de bouger vers un renouveau, je vois la résilience comme un état de stagnation et de capitulation.

Nul ne peut changer ce qui s’est passé. Comme il y aura un avant et un après coronavirus, il y aura un après « Beirut blast ». 

 

Adeline Rajch Toutpourlesfemmes

Infos pratiques

Caroline Torbey,

Éclat d'une vie. Beyrouth, 4 août 2020, 18h07,

L'Harmattan, collection « Lettres du monde arabe », 136 p., 14,50 €

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