Gottfried Wagner et le Festival de Bayreuth

Un héritier qui tourne le dos au Walhalla : 'il est temps d'en finir avec le mono-culte wagnérien'

Si Richard Wagner reste incontestablement l'un des plus grands compositeurs, tout le monde ne pratique pas la « religion » wagnérienne portée en triomphe à Bayreuth. En particulier son arrière petit-fils Gottfried Wagner. Au moment où ces jours-ci, ses sœ,urs Eva et Katharina reprennent la direction du Festival, il nous accorde une interview exclusive donnant un autre éclairage à « l'héritage Wagner »

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Gottfried Wagner lors d'une conférence en Caroline du Nord pendant la Journée du Souvenir de l'Holocauste


Certains vont à la quête du Graal, thème cher à Richard Wagner. D'autres, comme son arrière-petit-fils et musicologue, Gottfried Wagner, vont à la recherche d'une autre vérité sur Wagner, sa musique et le temple bâti à sa dévotion, le Festspielhaus de Bayreuth où se déroule chaque année le rituel wagnérien. Issu d'une famille si admirative de Hitler, sa quête à lui, inlassable, obsédante, est de regarder en face, encore et encore le drame juif et sa dénégation par certains, de nouer serré le fil du dialogue entre Juifs et non-Juifs, de ne jamais permettre l'oubli.

Pourquoi n'avez-vous pas souhaité être candidat à la direction du Festival en tant que successeur de votre père Wolfgang?

GW : Continuer l'aventure de Bayreuth avec les statuts fondés par Richard Wagner et révisés en 1975 dans le sens d'un culte exclusif et personnel est, pour moi, inacceptable. Sans compter les 57 ans de falsification et de détournement de l'Histoire entrepris par le Festival incapable d'autocritique. Je ne peux en aucun cas y souscrire.
Dès sa création, ce festival a fait preuve de chauvinisme et de racisme. Le Festival de Bayreuth mais aussi l'antisémitisme de Wagner lui-même, en ont fait un lieu de pèlerinage de l'internationale antisémite. L'antisémitisme aussi bien que la misogynie de Richard Wagner ont facilement trouvé écho chez Hitler qui a fait de Richard Wagner son modèle culturel.

Vous semblez n'avoir jamais vraiment cru à la sincérité du Festival quant à sa volonté de couper définitivement avec l'antisémitisme historique ?


GW : Wieland, mon oncle, et Wolfgang Wagner, mon père, sont arrivés aux commandes du Festival en 1951. Après le processus de dénazification entrepris à partir de 1945, ils ont toujours couvert les faux témoignages de leur mère, ma grand-mère Winifred, si proche amie de Hitler, et nié leur rôle actif avant 1945. Jusqu'à la fin de sa vie, bien que démise de son influence sur le Festspielhaus, Winifred n'a cessé d'évoquer son « Wolf » comme elle surnommait son cher ami Hitler, reçu si souvent comme un proche parent.
Quant au soi-disant « nouveau Bayreuth » annoncé en 1951, il n'est qu'à regarder le livre-programme qui a été édité l'année même. Alors qu'auparavant on louait l'époque nazie à Bayreuth, en 1951, marketing du « nouveau Bayreuth » aidant, le festival devenait victime de l'Histoire du monde. Cette année seulement et pour la première fois, on évoquait en quelques lignes, le troisième Reich et la famille Wagner. Cela reste bien insuffisant car l'abondante correspondance entre Hitler et la famille Wagner depuis 1923 jusqu'en 1945, qui contribuerait sérieusement à enfin connaître la véritable histoire de Bayreuth et de la famille Wagner, reste sciemment sous clé à Bayreuth, Munich et ailleurs. Et on tient à les conserver bien cachées pour ne pas perturber le tourisme wagnérien et surtout, pour ne pas entamer le mythe national Richard Wagner

Votre combat pour une reconnaissance de l'antisémitisme familial par les dirigeants de Bayreuth et pour promouvoir le dialogue entre Juifs et non-Juifs est incessant. Depuis quand et pourquoi ?


Winifred, Wieland et Wolfang père de Gottfried en compagnie de Hitler à Bayreuth, juillet 1940


GW : J'ai décrit cela en détail dans mon autobiographie * mais disons que le point de départ date de l'automne 1965 lorsque j'explorai une remise en bois dans le garage. Dans le side-car de la moto de mon père j'ai trouvé deux cartons comprenant de nombreuses boîtes rondes en aluminium contenant des films. Curieux, j'en ai ouvert une et regardé la bande sous une loupe. A ma stupeur j'y découvris mes tantes, l'oncle Wieland, ma grand-mère Winifred en compagnie de Hitler puis des images du « Führer » au Festspielhaus, tout cela dans une joyeuse ambiance familiale, et c'est mon père qui avait tourné tout cela. Le monde des adultes et de ma famille en particulier m'a semblé terriblement inquiétant. Je me rappelais très bien les images de Buchenwald que j'avais vues aux actualités en 1956. J'ai compris aussitôt que je ne devrai pas en parler et que je devais cacher mes découvertes pour éviter leur destruction. Mais je n'ai plus jamais eu de cesse de questionner ma famille sans relâche, n'obtenant guère comme réponse de la part de mon père que « on raconte n'importe quoi » : Que nous, les Wagner, devons à ‘ l'oncle Wolf ' « le sauvetage du festival de Bayreuth » et qu'en fait, « si Hitler avait gagné les Juifs à sa cause, tout n'aurait pas semblé aussi épouvantable que la machine à propagande des Alliés le prétendait.... ». On m'autorisa en 1967 à étudier à Londres où je fus accueilli par la famille Spencer, juive d'origine viennoise, victime de la terreur nazie. L'héritage de Bayreuth me pesait de plus en plus. J'ai vécu, chez eux, l'événement de la guerre des Six Jours, à nouveau heurté de plein fouet par l'histoire juive. En menant mes études, dès le début de ma thèse sur Kurt Weill à partir de 1974, je me suis désolidarisé et clairement séparé de la famille à Bayreuth tout comme des soutiens internationaux du Festival.

Dans mon autobiographie « L'Héritage Wagner » (Nil Editions 1998 diffusé par Le Seuil), ainsi que dans le livre écrit avec mon ami Abraham Peck (« Nos heures de zéro - les Allemands et les Juifs en 1945 - la famille, l'histoire, l'Holocauste et le renouveau », paru l'an dernier en allemand aux éditions Böhlau www.boehlau.at, j'évoque tout ce combat ainsi que mon combat actuel pour favoriser en toute sincérité un dialogue pour parvenir à un semblant de réconciliation entre Allemands et Juifs en acceptant l'histoire personnelle de chacun.

Vos sœ,urs Eva et Katharina vont désormais prendre la relève de votre père Wolfgang avec lequel vous n'avez plus aucune relation. Qu'attendez-vous d'elles ?

GW : Comme je l'ai dit récemment dans une lettre ouverte publiée dans le journal Frankfurter Allgemeine, il s'agit, pour moi qu'on accepte de réécrire l'histoire du Festival de Bayreuth et des différents membres de la famille Wagner qui se sont succédés à sa direction. Si la clarté pouvait enfin se faire en toute indépendance, alors, depuis la démission de mon père, mon rapport à la ville de Bayreuth et au festival pourrait s'améliorer. Tout le reste n'est que de la spéculation de « soap opera » avec laquelle je n'ai rien à faire.




Par Evelyne Dreyfus

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