Interview de Olivier Daviaud compositeur

Olivier Daviaud revient sur le film Gainsbourg, une vie héroïque. Interview.

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Comment avez-vous abordé la musique du film ?



Avec beaucoup d'humilité, parce que c'est la première fois que je compose une bande originale pour un long métrage, parce qu'il s'agit de Gainsbourg, et que je devais m'imprégner de la vision poétique de Joann.

Il voulait qu'on ne s'éloigne jamais de Serge, tout en le réinventant sans cesse ! Il y a plus de soixante moments musicaux dans le film, c'était un travail de titan ! Je me suis réapproprié les chansons de Gainsbourg et pour les musiques additionnelles, j'ai créé des compositions dans lesquelles j'ai injecté des éléments de l'univers musical de Gainsbourg.


Comment vous êtes-vous libéré du poids de l'icône Gainsbourg ?



En faisant les choses à ma manière, et, surtout, en me mettant au service du scénario de Joann : nous sommes dans un conte et il ne fallait pas que je cherche à faire une bande originale pour les musiciens ou les fans de Gainsbourg, mais plutôt une musique pour accompagner l'histoire. C'est un pari. Je sais que ça ne va pas plaire à tout le monde.


De quelles influences vous êtes-vous servi ?



J'ai essayé d'évoquer la Russie d'où il est originaire, le Jazz qu'il a découvert enfant dans les années 30, et la musique classique, dans laquelle il a incessamment puisé.


Dans « Initials BB » Gainsbourg a par exemple utilisé le premier mouvement de « La symphonie du nouveau monde » de Dvorak. J'ai eu l'idée, pour la scène de rupture entre Gainsbourg et Bardot, d'introduire le début de « La symphonie du nouveau monde » avant de passer à « Initials BB ». C'est un petit clin d'oeil aux connaisseurs et ça correspondait à l'émotion de la scène. On peut retrouver aussi un prélude de Chopin dans le film, la troisième symphonie de Brahms dont Gainsbourg s'est servi pour « Baby alone in Babylone », ou encore un morceau de Beethoven qui a inspiré « Ma Lou Marilou ».


Quelles sont les chansons les plus fidèles aux originales ?



Pour « Je t'aime moi non plus », on a utilisé la version de Gainsbourg : elle est intouchable. Avec la « Valse de Melody » c'est l'un des rares morceaux où l'on a utilisé le Master. Mais nous avons fait en sorte que ces chansons existent de telle manière dans le film qu'elles ne jurent pas avec les autres, qui sont toutes rejouées. La version du « Poinçonneur » par les Frères Jacques ou « Aux armes etc » sont aussi très proches des versions de l'époque, toujours en lien avec ce que l'on veut raconter.




Pourquoi avoir choisi Dionysos, Emily Loizeau, Nosfell pour revisiter certaines chansons ?



Je voulais que certains morceaux aient une identité forte. Sur « Nazi Rock », on cherchait un groupe qui puisse faire du rock'n roll et susciter le malaise. J'ai immédiatement pensé aux Dionysos avec qui j'avais déjà travaillé avec un grand bonheur. Pour « Love on the beat », j'avais besoin d'une beat box humaine, de bruitages, de cris sauvages, de miaulements, qui iraient encore plus loin dans la violence que ce qu'a fait Bambou. Nosfell répondait à tous les critères.

En ce qui concerne « Aux armes etc », j'ai demandé à K2R Riddim, qui est pour moi la meilleure section rythmique de reggae en France, et à Tyrone Donnie, le clavier de Bob Marley, de m'accompagner pour jouer ce qui pourrait être la toute première version de cette chanson.

Pour « Qui est in, qui est out », j'ai fait appel à Emily Loizeau et Jeanne Cherhal. On voulait quelque chose de fou furieux, sexuel, et donner l'impression que ce sont des adolescentes qui braillent mais le faire avec des voix de chanteuses confirmées. Les musiciens du groupe Zone Libre sont intervenus sur « L'hôtel particulier » parce qu'on voulait un rock pur et dur, une sonorité terrienne, rugueuse, et la sensibilité de Serge Tessot-Gay, afin d'accentuer la violence de la scène de la crise cardiaque. Et Gonzales a interprété la moitié des morceaux au piano de Gainsbourg. Il a un toucher unique et il nous fallait une vraie patte pour ces parties musicales. Mais les mains qui jouent du piano à l'image sont les miennes (rires) !


Qu'attendiez-vous des acteurs ?



Qu'ils arrivent à chanter comme si c'était naturel pour eux. On ne voulait pas qu'ils chantent en playback sur les disques originaux ni qu'ils soient doublés par un chanteur ou un imitateur. On avait envie de vérité et de naturel. Et le point d'interrogation principal, c'était Eric Elmosnino.
De la même manière qu'il devait s'approprier Gainsbourg sans l'imiter, il fallait qu'il chante à la façon de Gainsbourg sans le singer. Par bonheur Eric est un excellent chanteur, ce qu'il ignorait totalement avant de prendre des cours.

Dès le premier essai, on a su qu'on était sauvé. On avait prévu un plan B au cas où il aurait été incapable de chanter, ce qui peut toujours arriver, mais ça n'aurait plus été le même film. On l'a fait travailler sur cinq chansons et au bout de trois semaines, on l'a écouté. Il n'avait évidemment pas tout à fait le timbre de voix de Gainsbourg, mais il provoquait une émotion incroyable, son chant me donnait le frisson.

Tous les autres comédiens, Laetitia Casta, Sara Forestier, Anna Mouglalis, Lucy Gordon, Philippe Duquesne, Yolande Moreau et le petit Kacey qui incarne Gainsbourg jeune, ont également réussi à trouver cette vérité qui fait qu'à l'écran on ne se pose pas de questions. Et bien sur, Philippe Katerine pour qui la question ne se posait pas.




Comment vous êtes-vous adapté aux capacités vocales des comédiens ?



Assez facilement : ils étaient tous doués, et Nathalie Dupuy a fait un super travail vocal avec eux. Il y a un réel cousinage entre la chanson et la comédie, et on a pris garde à ce qu'ils ne ressentent pas de pression, on a abordé le chant par la situation dans laquelle leur personnage se trouve dans la scène.

Pour Philippe Duquesne, qui chante « Antoine le casseur », une chanson inédite de Gainsbourg, j'ai dû baisser la tonalité de la ligne mélodique (que j'avais dénichée sur un manuscrit de Gainsbourg), parce qu'il avait une voix un peu plus grave que prévu. Avec Anna Mouglalis j'ai eu une petite frayeur, je craignais que le duo de « La Javanaise » ne soit trop bas pour elle, mais il s'est avéré qu'elle a une voix sublime dans les graves.

Joann Sfar le Niçois ne cessera jamais de m'étonner, il a incarné le plus naturellement du monde le Sétois Brassens, et Laetitia Casta s'est approchée de Bardot de manière si juste que je n'ai rien eu à faire d'autre qu'à pousser des hurlements de joie ! On a seulement répété en studio, parce que « Bonnie and Clyde » est entremêlée de dialogues, donc on a travaillé à la fois la comédie et la chanson pour que ça coule naturellement dans la scène. Pour le duo Elmosnino-Katerine : même combat, et l'alcool a fait le reste !


Quelles sont les chansons interprétées directement sur le tournage ?



« Le Canari est sur le balcon », Lucy l'a chantée en direct sur le plateau. Elle avait une voix très douce, à fleur de peau, c'était un très joli moment. Pour cette chanson ainsi que pour « Bonnie and Clyde », j'étais au piano, derrière le décor, les comédiens avaient une oreillette pour entendre la musique que je jouais, et je les regardais chanter sur un moniteur pour caler mes accords. Mais la plupart des chansons ont été enregistrées à l'avance, les conditions de tournage sont trop lourdes pour qu'on puisse faire du live en permanence. Il faudrait plusieurs jours par chanson pour arriver à un résultat parfait. Donc, à quelques exceptions près, les chanteurs chantaient en playback pendant le tournage, mais sur leur propre voix.

Par Laure Menanteau

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