La Comtesse - Entretien Julie Delpy

Julie Delpy, scénariste, réalisatrice et interprète de 'La Comtesse'

Deux ans après 2 DAYS IN PARIS, Julie Delpy repasse derrière la caméra avec 'La Comtesse', l'histoire d'Elizabeth Bathory, surnommée la comtesse sanglante..., qui sort sur les écrans le 21 avril 2010. Julie Delpy nous en dit davantage à propos de ce film.




Note d'intention

Née en 1560, Erzsébet Báthory était une aristocrate hongroise qui
formait avec son mari, Ferenc Nadasky, un couple puissant très
impliqué dans le conflit qui opposa durant des années la Hongrie
à la Turquie.
La rumeur dit que peu de temps après la mort de son mari, Erzsébet
perdit la raison et se convainquit que le sang de jeunes filles vierges
lui offrirait la jeunesse éternelle. Mais de nombreux historiens
remarquent que l'empereur Rodolphe II, roi de Hongrie et de
Bohême, puis son frère et successeur Matthias, avaient tout intérêt
à abattre la riche veuve, son éviction présentant de nombreux
avantages parmi lesquels l'effacement de la dette dont la Couronne
Hongroise était redevable.

Parallèlement, la famille Thurzo, ayant hérité d'une partie des biens
de la comtesse Báthory, est devenue elle-même très riche après la
mise en accusation d'Erzsébet. J'ai donc imaginé la possibilité d'un
complot fomenté par plusieurs familles nobles pour se débarrasser
de cette rivale bien gênante.

En racontant l'histoire de la comtesse Erzsébet Báthory, je ne
voulais pas seulement montrer sa folie et sa cruauté. Je souhaitais
aussi évoquer la conspiration dont elle fut probablement victime.
La comtesse avait la réputation d'avoir de nombreux amants, des
hommes jeunes, des hommes puissants, mais aussi des maîtresses,
telle Anna Darvulia, soupçonnée de sorcellerie. J'ai créé le
personnage d'Istvan Thurzo et son histoire d'amour avec Erzsébet
car je ne voulais pas que cette femme apparaisse uniquement
comme un monstre sans coeur. Je voulais souligner non seulement
son pouvoir social et financier mais aussi la complexité de sa
personnalité et sa culture exceptionelle. C'est également une
femme capable d'amour et de haine, et, en un sens, une victime,
non seulement de la conspiration ourdie contre elle mais aussi de
sa propre folie et, finalement, de son époque.

Les thèmes du film sont nombreux : la vanité, l'obsession de
la mort, la jeunesse, le pouvoir, le meurtre, la place de femmes
puissantes dans une société d'hommes, la religion, l'amour... J'ai
voulu développer ces thèmes aussi bien d'un point de vue historique
que fictionnel car au-delà de cette possibilité de complot, il y a
la légende de la comtesse telle qu'elle a été racontée pendant des
siècles.
Son pouvoir, son style de vie, sa sexualité ont été très controversés
à l'époque. Sa piété mêlée à son intérêt pour la science —, aux yeux
du monde, la sorcellerie n'était pas loin —, tout cela perturbait
beaucoup les autres familles de l'aristocratie Hongroise. Au-delà
de la reconstitution historique, j'ai voulu m'attacher à l'essence
même de cette histoire et à la complexité des personnages. Erzsébet
était probablement une meurtrière mais elle était aussi une rêveuse
romantique, à la fois puissante et fragile, brave mais terrifiée par la mort, intelligente mais incapable de comprendre sa propre folie.
Elle croyait au paradis mais ne voulait pas mourir. Femme de son
temps, elle était également d'une modernité totale. Enfin, il est
évident que si elle avait été un homme, son destin aurait été bien
différent.

Julie Delpy


Entretien avec Julie Delpy

(Entretien réalisé par Ingo Klingspon en coopération avec VisionARRI)

Quelle fascination a exercé sur vous la célèbre comtesse et vous a poussée à réaliser ce film ?

J'ai toujours aimé les contes de fées, dans mon enfance et encore aujourd'hui. J'apprécie
particulièrement leur côté sombre : j'aime la méchante reine dans Blanche-Neige et les Cyclopes
dans L'Odyssée. Ces personnages sinistres m'attirent. D'une certaine façon, Erzsébet Báthory,
bien qu'elle ait réellement existé, s'apparente à eux, et son caractère a un côté fabuleux auquel je
suis sensible. Mais en y regardant de plus près, on s'aperçoit que son histoire est une tragédie en
puissance. Peu importe qu'elle ait été une meurtrière folle et sadique ou, si la vérité le révélait, une
innocente accusée par de cupides représentants de l'aristocratie, sa vie demeure une tragédie.

Non seulement vous incarnez le rôle-titre mais vous êtes également scénariste et réalisatrice
du film. Comment êtes-vous arrivée à jongler avec toutes ces responsabilités ?


L'écriture et la réalisation n'ont pas été chose facile. Il a fallu des années pour voir ce projet aboutir,
et même une fois le financement mis en place, beaucoup de problèmes subsistaient. Le métier de
réalisatrice est épuisant : il faut courir en permanence après le temps, ou l'argent. J'ai eu la chance
de travailler avec une équipe formidable, autant pour la production que la post-production.

Il a été dit que la comtesse se baignait dans le sang de jeunes vierges pour préserver sa
fraîcheur et sa beauté. Est-ce une critique des femmes qui veulent rester jeunes à tout prix ?


Non, même si l'emprise du temps et la peur de vieillir chez les femmes sont des thèmes que
j'aborde indéniablement. Personnellement, je n'ai pas peur de vieillir, mais c'est un processus qui
me fascine depuis longtemps. À vrai dire, le film traite plus de la déchéance et de la détérioration en
général que d'une femme que la peur de vieillir rendrait folle. La perte amoureuse et l'angoisse de
la mort sont à la source de sa folie. Je crois même que j'apprécie le fait de vieillir : si j'ai l'air plus
mûre, c'est que j'ai vécu , si je suis vieille, au moins je ne suis pas morte. Et la maladie d'amour est
un phénomène auquel je peux également m'identifier , dépérir d'un chagrin d'amour n'est peut-être
plus très à la mode mais c'est une idée à laquelle je suis très sensible.

Votre album « Julie Delpy », sorti en 2003, a été catalogué comme féministe. Est-ce qu'on
retrouve ce même regard sur les rapports hommes-femmes dans LA Comtesse ?


J'ai grandi entourée de deux féministes —, ma mère l'était, et mon père davantage encore —, et, pour
quelque raison que ce soit, j'aime les histoires de femmes et les chansons écrites de leur point
de vue. Les personnages féminins sont souvent unidimensionnels ou présentent peu de traits de
caractère particuliers. Avec LA Comtesse , j'ai essayé de construire un personnage de femme
complexe. Elle est à la fois folle et saine d'esprit, intelligente. Elle fait preuve de logique, mais
reste confuse, embrouillée , elle peut être clémente envers les autres et parfois terriblement cruelle.
Je trouve la complexité des schémas comportementaux très intéressante et je voulais utiliser ce
personnage comme un exemple spécifique. Le film nous plonge dans un univers masculin au
sein duquel n'évolue qu'une seule femme puissante, et elle sera victime de l'amour et des jeux
de pouvoir. Même si elle peut paraître forte, Erzsébet est terriblement fragile.

Je ne prône pas la
supériorité des femmes sur les hommes, c'est une question d'individus : certaines femmes ne sont en
rien supérieures aux hommes. Je suis pour l'égalité, et l'égalité des chances, ce dont nous sommes
encore bien loin en Occident comme dans le reste du monde. Quand j'ai commencé à travailler
sur le scénario, je craignais de me faire railler, en tant que femme et en tant que comédienne. Pour
beaucoup, les femmes n'ont pas cet humour impertinent et politiquement incorrect que j'aime tant.

Que pensez-vous du pouvoir des femmes en politique?

Tout au long de l'Histoire, les hommes ont sans cesse refusé le pouvoir aux femmes. Ils ont utilisé des
exemples comme Erzsébet Báthory pour les considérer comme trop futiles, folles ou malveillantes
pour gouverner , voyez simplement les chasses aux sorcières. Il est possible que Erzsébet ne soit
pas aussi coupable qu'on le dit. Elle était apparemment sans pitié et a, en effet, pu faire supprimer
certaines servantes qui ne lui obéissaient pas. Mais des membres de la noblesse ont, par ailleurs, très
bien pu inventer une légende à son sujet dans le seul but de se débarrasser d'elle et d'installer un de
ses cousins à la tête de ses biens. Beaucoup de gens s'opposaient à elle simplement parce qu'elle
était très puissante. Et c'est un aspect de cette histoire que j'aime aussi beaucoup.


La légende de la Comtesse BÁTHORY

Extrait de Heroine des Grauens. Elisabeth Bathory, Michael Farin. (Munich : P. Kirchheim, 2003)

La famille Báthory, dont István (Étienne Ier), l'oncle d'Erzsébet, fut élu roi de Pologne, quitta la
Transylvanie pour s'établir en Hongrie au XIVe siècle. Soupçonnée d'avoir assassiné plus de 600
jeunes filles et de s'être baignée dans leur sang afin d'accéder à la jeunesse éternelle, Erzsébet
Báthory a, de tout temps, été associée à la légende de Dracula. Il existe en effet des corrélations
entre les deux personnages : en 1476, István Báthory déploya ses troupes pour venir en aide au
comte Dracula dans sa reconquête du trône de Valachie. Des années plus tard, Erzsébet acquit un
vaste domaine ayant appartenu au comte Dracula.

Dans son roman Das Geheimnis der Báthory
(« Le Secret des Báthory » : Facility Management and Publishing Dresden Ltd., 2005), Andreas
Varesi prétend avoir compris l'intérêt d'Erzsébet pour ces terres : elle aurait été convaincue d'y
trouver le secret de la jeunesse éternelle par le sang.
Erzsébet Báthory (1560-1614) épousa à 14 ans Ferenc Nadasky, de 10 ans son aîné. Quatre enfants
naquirent de cette union. Pendant que son mari bataillait contre les Turcs, la comtesse régentait son
domaine d'une main de fer avec l'aide de sa proche confidente, Anna Darvulia.
Avec le temps son pouvoir devint immense et elle suscita admiration puis crainte.
En 1611, elle fut condamnée à l'emprisonnement à vie dans son propre château, où on l'emmura
jusqu'à sa mort.
« Une femme élégante et fière, dont le large front témoigne d'une grande intelligence », écrit
Ferdinand Strobel Edler von Ravelsberg, lorsqu'il décrit son portrait. « Une coiffe préserve sa
sombre chevelure du regard de tout un chacun. Chaque matin, elle était méticuleusement coiffée.
Sa gouvernante devait faire preuve de la plus grande attention car la comtesse ne supportait pas que
ses cheveux soient ébouriffés ou tirés. Si par mégarde une maladresse était commise, une gifle était
administrée à la fautive. Un jour, elle frappa sa femme de chambre avec une telle violence que celleci
saigna de la bouche et du nez. Une goutte de sang coula alors sur la main punitive. De dégoût,
la comtesse se saisit d'une serviette, mais constata que le sang de la jeune femme avait amélioré
l'aspect de sa peau. Une idée diabolique traversa immédiatement l'esprit de la comtesse ... »


Extrait du dossier du film
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Lire également :
- 'LA Comtesse', réalisé par Julie Delpy
- Julie Delpy : biographie et filmographie'



Par Nicole Salez

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