Solutions locales pour un désordre global

Sortie le 7 avril

Dans 'Solutions locales pour un désordre global', Coline Serreau part en guerre contre les désordres agricoles et alimentaires de la planète. Dans cette interview, la cinéaste explique comment elle a parcouru le monde pendant trois ans pour rencontrer certains de ceux qui proposent des solutions alternatives au modèle actuel de production.




Vous revenez au thème de l'environnement qui vous est cher avec un documentaire écologiste et engagé. Quelle a été la genèse de ce film ?

Coline Serreau

La Belle Verte, que j'ai tourné en 1996, parlait déjà d'écologie et d'une transformation radicale de notre mode de pensée. Il vient d'être réédité en DVD-livre chez Actes Sud.

Il y a trois ans, j'ai commencé à tourner pour mon plaisir des reportages sur divers sujets, dont un entretien avec Pierre Rabhi, l'un des pionniers de l'agriculture écologique (1). En rentrant du Maroc où j'avais filmé quelques unes de ses actions, j'ai voulu continuer ce travail et approfondir le sujet dans le monde entier, avec tous les acteurs du changement.
Je suis donc partie en Inde, au Brésil, en Ukraine, en Suisse, pour interviewer des gens qui proposaient des alternatives crédibles à notre système.
J'ai voulu que la parole soit portée autant par les théoriciens et ténors des différents mouvements que par les paysans et les petites gens qui sont les vrais acteurs et inventeurs des changements.
Je ne voulais pas faire un film qui culpabilise et déprime les gens.
En ce moment, chacun se débrouille comme il peut dans cette société malade et, pour la majorité des gens, la question de la survie économique se pose tous les jours : comment vais-je payer mon loyer, trouver un travail ou ne pas me faire licencier, payer les études de mes enfants, manger sainement sans me ruiner, aurai-je une retraite ?
Nous avons la responsabilité de changer de système, oui, mais responsabilité n'est pas culpabilité.

Coline Serreau : 'Universalité et simplicité des solutions'


Il fallait d'abord mettre des mots vrais sur les chimères dont on nous berce : la réalité c'est qu'un petit nombre concentre chaque jour plus de richesses dans ses mains, tandis que la majorité s'appauvrit inexorablement. Et les problèmes écologiques sont la conséquence de cette organisation de la société qui valorise l'exploitation, la prédation et le profit plutôt que les forces de vie.
Une fois qu'ils auront vu cette réalité et les dégâts qu'elle engendre, les gens, en leur âme et conscience, selon le cours de l'histoire, feront ce qui leur semble juste et bon pour eux, ce n'est pas à moi de leur donner des conseils.
Avec ce film, je montre qu'il existe partout dans le monde des gens qui, sans se connaître, font la même chose, ont la même philosophie de vie et les mêmes pratiques envers la terre nourricière.
Mettre en lumière cette universalité des solutions, tout autant que leur simplicité, c'était vraiment le but du film.
Je voudrais qu'après avoir vu le film, les gens aient de l'espoir, et l'envie de commencer tout de suite à agir et à inventer partout leurs propres solutions.
Je voulais aussi que les mouvements de caméra soient libres et vivants, comme des yeux qui découvrent, regardent, sans grammaire imposée.

Vous dénoncez une production agro-alimentaire mortifère pour les terres et pour les populations

Tout d'abord on analyse l'origine de cette forme d'agriculture qui vient des surplus d'armes chimiques de l'après-guerre, qui est donc une agriculture d'attaque contre la terre.

Ensuite on voit comment s'est perpétré un véritable génocide des paysans, puis comment, dans une logique de profit pour les industries chimiques et pétrolières et en volant l'argent public au profit de quelques uns, on a éliminé tout ce que la terre et les animaux donnaient gratuitement pour y substituer des semences non reproductibles, de la chimie à outrance et l'éradication de la biodiversité.
Ce qui était précieux dans la biodiversité, c'est que chaque paysan gardait et sélectionnait les semences qui convenaient le mieux à son terroir, ce qui lui donnait la liberté et l'autonomie.

Les puissances industrielles sont venues mettre 'de l'ordre' dans cette liberté en confisquant et interdisant les semences locales et en imposant des semences non reproductibles, qui ne poussent qu'avec des engrais et des pesticides et qui sont protégées par des brevets que la population paye, enrichissant ainsi les industries semencières et pétrolières.
Tout ce processus aboutit à la mort de la terre qui devient un désert, virtuel pour le moment, car nous avons encore un peu de pétrole, mais sans pétrole nos terres sont stériles, mortes, ne peuvent plus rien produire.

De toute urgence il faut stopper cette production mortifère qui ne profite qu'à quelques uns et met en danger notre sécurité alimentaire, réparer les terres, remettre debout une agriculture gratuite, saine et durable, qui redonne du travail à des millions de gens.
C'est faisable, la population doit l'exiger, les politiques doivent voter les lois qui le permettent.

En Ukraine et en Inde


L'éviction des femmes qui assuraient les processus de production anciens est l'une des causes du 'déséquilibre global' ?

Le patriarcat est une phase (passagère dans l'histoire de l'humanité) de déséquilibre entre les hommes et les femmes. Ce déséquilibre castre l'humanité de la moitié de ses forces et de sa créativité, il est responsable des dérives violentes et mortifères de nos sociétés.
C'est une maladie infantile, cela se soigne, et les mouvements de libération des femmes qui secouent nos sociétés depuis quelques siècles sont un début de remède à ce mal.

Les maladies infantiles peuvent être très dangereuses et mettre en péril la vie de notre jeune humanité. Jeune car nous sommes les derniers arrivés dans l'ordre des espèces vivantes, et probablement les moins bien adaptés à ce monde.

Toute la question est : passerons-nous cette épreuve ?
Grandirons-nous en humanité, ou resterons-nous malades ?
Si nous grandissons, nous avons un bel avenir devant nous.
Si nous mourons, cela ne dérangera personne, cela arrangera plutôt les animaux, les plantes et les bactéries qui nous ont précédés dans l'univers et qui subissent chaque jour plus durement l'empire de notre arrogance.

L'un de nos grands chantiers philosophiques actuels est d'accepter que l'humain n'est supérieur à rien.
L'accepter c'est vivre une blessure narcissique très violente, du même ordre que celle qui nous a frappés lorsque nous avons dû accepter de voir que la terre était ronde, tournait autour du soleil, qui n'était lui-même qu'une banale étoile semblable à des milliards de milliards d'autres dans un univers dont les véritables dimensions nous échappaient.

Claude Bourguignon (2) nous dit que les généticiens ont été très vexés de découvrir que l'orge a deux fois plus de gènes que l'homme, et pourtant c'est une plante ! Les généticiens, dans leur immense modestie, ont appelé 'junk ADN', 'ADN de merde', la partie du génome de l'orge qu'ils ne comprenaient pas.
C'est tout ce système de pensée qui est à revoir.
Les humains s'autoproclament la race la plus évoluée, ils devraient avoir l'intelligence de s'interroger sur cette soi-disant supériorité.

Quelles solutions proposent les différentes expériences que vous montrez?

Une des solutions c'est un 'retour en avant' :
Retrouver à travers de petites structures locales une autonomie alimentaire sans produits chimiques, qui nous rende notre liberté et assure notre subsistance.

Amap de Vanves


C'est ce que Vandana Shiva (3) appelle la réinvention de la démocratie.
Cette nouvelle démocratie, qui permet de faire le lien entre la terre et l'assiette, n'est pas en lutte contre les inventions techniques et la modernité des communications, il ne s'agit pas d'un retour à l'âge des cavernes. Il s'agit d'exiger notre droit à nous nourrir par nous-mêmes, notre droit à la santé et notre liberté à travers l'autonomie.
Nous ne pouvons plus dépendre du bon vouloir des marchands et des politiques en ce qui concerne notre survie. Ce genre de revendication ne plaît pas aux gouvernants qui sont devenus les gérants et les valets des multinationales. Il ne s'agit pas d'un retour en arrière mais d'un changement de paradigme pour assurer notre futur.

Parmi les personnes interviewées :

(1) Pierre Rhabi : 'Bientôt, quand on se met à table, plutôt que de se souhaiter bon appétit il faudra se souhaiter bonne chance'. Expert international pour la sécurité alimentaire, il a créé le premier centre de formation à l'agro-écologie au Burkina Faso. Auteur de nombreux livres, il dirige l'association Terre et Humanisme et le mouvement Colibris. Pour lui : « Ceux qui sont en ville peuvent parfaitement se solidariser avec ceux qui sont à la campagne et ainsi faire un pont par-dessus la sphère affairiste. Et l'autonomie, c'est le maître mot d'aujourd'hui. » http://www.colibris-lemouvement.org.

(2)
Claude Bourguignon

Claude Bourguignon : 'Nous détruisons la planète depuis 500 000 ans, et faire comprendre aux hommes qu'il est maintenant temps de la respecter c'est encore plus compliqué que de leur faire comprendre qu'il faut respecter les femmes '. Claude Bourguignon est ingénieur agronome et docteur ès sciences microbiologique. Avec sa femme Lydia, maître ès sciences agroalimentaire, ils ont créé le LAMS, Laboratoire en Microbiologie des Sols et développé des solutions sur mesure pour permettre aux agriculteurs de régénérer leurs terres. Auteurs de « Le sol, la terre et les champs » (éditions Sang de la Terre) www.lams-21.com, http://fr.wikimedia.org:wiki/Claude_Bourguignon

(3)
Vandana Shiva

Vandana Shiva : 'Plus on produit de marchandises, plus nombreux sont les affamés.'
'Aucune autre espèce que les humains n'a été assez stupide pour détruire volontairement la source de son alimentation tout en se croyant super intelligent'.
'L'agriculture industrielle a réduit notre nourriture à 5 ou 6 espèces de plantes alors que nous mangions 1500 espèces.' Physicienne est épistémologue, diplômée en philosophie des sciences, Vandana Shiva est l'une des chefs de file mondiales des écologistes de terrain et des altermondialistes. Elle lutte contre la biopiraterie, l'appropriation par les firmes agro-chimiques transnationales des ressources universelles en particulier des semences. Elle a fondé Navdanya, association qui œ,uvre pour la bio diversité et les droits des fermiers. Parfois qualifiée de José Bové en sari, elle est l'auteure de nombreux ouvrages et a reçu le Right Livelihood Award, équivalent du Prix Nobel alternatif. Elle est à la tête de la Commission internationale pour l'avenir de l'alimentation et de l'agriculture. http://www.vandanashiva.org/, www.navdanya.org/

Devender Sharma : 'Il y a 40 ans, nous avons adopté ce que l'on appelle la Révolution Verte. Et aujourd'hui nous avons le plus fort taux de suicides d'agriculteurs au monde.' Ingénieur agronome, journaliste et écrivain Devinder Sharma. http://www.countercurrents.org/gl-sharma260207.htm

Joao Pedro Stedile

Joao Pedro Stedile : « Les fertilisants et les pesticides, on ne doit pas les chercher dans la chimie, on doit les chercher dans les ressources que la nature nous offre ». Economiste et activiste social brésilien, il est l'un des fondateurs du mouvement des sans-terre (MTS)
A signaler encore : l'association française Kokopelli qui distribue des semences issues de l'agriculture biologique et biodynamique. Elle défend le droit des générations futures à choisir leur alimentation en « libérant » la semence.


Pour voir la bande annonce du film de Coline Serreau : cliquer ici

Par Gisèle Prévost
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