Statut Auto Entrepreneur : Enjeux - Limites

Envie d'enjeux ou enjeu d'une vie ?

Le statut de l'auto entrepreneur connait un véritable succès. Quelque 500000 entreprieses sont créées en 2009. Toutefois, il faut en mesurer les limites. Impréparation des nouveaux entrepreneurs qui n'ont pas forcément eu le choix de cette situation, dérives ou abus... les écueils ne manquent pas.

Me Jacques Brouillet, avocat, spécialiste des ressources humaines nous décrit les qualités, nombreuses de ce dispositif et nous éclaire aussi sur ses défauts.



La loi de modernisation de l'économie (n° 2008-776) du 4 août 2008 a donné naissance à un régime de création d'activités ultra simplifié.

Avec le statut de l'auto entrepreneur, l'objectif affiché par M. Hervé Novelli, Secrétaire d'Etat, chargé des entreprises et du commerce extérieur est, en effet, de rattraper le retard de la France en matière de densité entreprenariale (3 millions d'entreprises en France contre 4 millions en Grande-Bretagne ou en Espagne).

Pour cela, il convennait de « libérer les énergies nécessaires à la création d'emplois et à la relance de l'économie française ».

Des enjeux politiques et économiques

Alors que le nombre de suppressions d'emplois ne cesse de croître et que l'économie française semble tarder à sortir de la crise, le dispositif mis en place depuis le 1er janvier 2009 paraît rencontrer un incontestable succès :

- 182 000 personnes inscrites mi-juillet (dont 17 000 micro-entrepreneurs ayant décidé de changer de régime),
- 500 000 entreprises effectivement créées fin 2009 contre 328 000 en 2008.

Ces chiffres révèlent-ils une soudaine révolution inspirée par l'envie de créer ou ne sont-ils que le reflet d'un sursaut plus ou moins imposé de sauver son propre emploi ?

Il conviendrait sans doute de pouvoir davantage analyser ces données et notamment de dissocier parmi celles-ci, les créations stimulées par l'accroissement du nombre de PSE (et/ou plans de départs volontaires) ainsi que les simples régularisations d'activités non déclarées !

Une simplification salutaire des formalités de création

En effet, les formalités administratives peuvent désormais se faire sur Internet en quelques clics permettant d'échapper à ce véritable parcours du combattant d'antan imposant des demandes auprès de multiples administrations.

De surcroît, le statut d'auto-entrepreneur prévoit un forfait social et une stricte proportionnalité entre le chiffre d'affaires effectivement réalisé et les charges sociales et fiscales prélevées.
Ainsi, ce dispositif évite les situations passées où il était possible de se ruiner en travaillant... d'autant que la cessation d'activité en cas d'échec est elle-même dédramatisée.

Les candidats à la création peuvent être d'origine très diverses, de l'étudiant au retraité, en passant par le demandeur d'emploi . Il est même admis qu'un salarié puisse cumuler son emploi et cette nouvelle activité, dès lors qu'il respecte les contraintes de son contrat de travail (obligation d'exclusivité et de loyauté).

Les activités exercées ne subissent guère d'autres limites que celles inhérentes à certaines professions (diplômes —, qualification —, assurances...).

Les exclusions sont rares et concernent soit des activités non éligibles au régime fiscal de la micro-entreprise ou ne bénéficiant pas de l'exonération de la TVA , soit de celles générant des revenus obligatoirement imposables en salaires .

L'immatriculation au registre du commerce ou au registre des métiers est, en principe, facultative. Toutefois, l'activité d'artisanat exercée sous cette forme, reste soumise à immatriculation avec notamment dispense de paiement des frais d'immatriculation .

Des modalités de gestion simplifiées sont prévues dès lors que l'activité ne génère pas un chiffre d'affaires supérieur à 80 000 € HT pour les activités commerciales et à 32 000 € HT pour les autres.

Les cotisations sont calculées sur la base d'un forfait social (englobant toutes les charges sociales) sur le chiffre d'affaires réellement encaissé au taux de :

- 12% pour les activités commerciales,
- 21% pour les activités de prestations de services,
- 18,3% pour les activités libérales relevant de la CIPAV.

Le règlement de ces cotisations est ainsi proportionnel aux revenus et définitif, en ce sens qu'il n'y a pas de régularisation en fin d'exercice contrairement au régime classique des travailleurs indépendants.

L'auto-entrepreneur bénéficie d'une protection sociale complémentaire alignée sur le régime des travailleurs indépendants dans la mesure où, il s'agit d'une activité exercée à titre principal. A défaut, l'intéressé conserve la couverture liée à son activité principale.

Un régime fiscal de faveur est en outre proposé. Ce dernier n'est autre que celui des micro-entreprises qui permet un abattement pour charges appliqué au chiffre d'affaires et fixé à 71% pour les activités commerciales, 50% pour les activités artisanales et, 34% pour les activités libérales.

Ce revenu après déduction est alors ajouté aux autres ressources du foyer fiscal pour être soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu .

Enfin, l'activité est exonérée de TVA. En revanche toute option à la TVA semble exclusive du régime.

Sous l'angle des règles comptables, les obligations sont également allégées :

En effet, un livre journal mentionnant les recettes suffit alors que les règles de facturation sont celles du droit commun (Art. L. 441-3 Code commerce) avec seulement la mention « TVA non applicable art 293B du Code général des impôts ».

Enfin, un compte bancaire séparé n'est pas obligatoire mais néanmoins vivement conseillé.

Par ailleurs, la sortie de régime est dédramatisée dans la mesure où, celle-ci peut résulter, volontairement, de la cessation d'activité ou de son évolution suscitant l'adoption d'une autre forme (option pour la TVA ou pour le régime réel d'imposition si des frais importants sont engagés, création d'une société, etc...).

Par contre la sortie s'imposera si le chiffre d'affaires est inexistant sur une période de 36 mois consécutifs ou, au contraire, si le seuil de chiffre d'affaires est dépassé.

Dans les deux cas, les formalités sont simples et peuvent se faire par Internet.

Des lacunes à combler ou des dérives à limiter

Le système paraît donc assez séduisant pour que l'envie d'enjeux devienne l'enjeu d'une vie réussie. Il est cependant nécessaire de relever certains écueils.

Il s'agit tout d'abord de savoir si ce régime qu'on a voulu simplifier à l'extrême ne risque pas d'entraîner l'auto-entrepreneur dans une aventure qu'il n'a pas la capacité de maîtriser.

Dans la mesure où le « choix » pour cette activité nouvelle est bien souvent le résultat d'une perte d'emploi, on peut douter d'une réelle volonté d'entreprendre, d'une suffisante préparation du projet et de son accompagnement, notamment celui des « cellules de reclassement » prévues dans la plupart du Plan de Sauvegarde de l'Emploi (PSE).. !

L'absence d'obligation d'ouverture d'un compte bancaire professionnel est également une source de danger, tant pour l'auto-entrepreneur que pour ses clients.

Sur ce point, le projet de loi Novelli, du 17 février 2010, devrait permettre à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) de créer un « patrimoine affecté ». Ce dispositif devrait pouvoir être explicitement étendu à l'auto-entrepreneur qui pour l'instant, doit se contenter de l'insaisissabilité de son patrimoine foncier. L. 526-6 du Code de commerce
Une attention particulière semble devoir également être portée sur « l'assurance perte d'activité », car s'il peut paraître antinomique d'avoir un « tempérament d'entrepreneur » et de vouloir la sécurité de l'emploi et donc d'avoir une assurance-chômage... il n'est pas sage de se lancer dans cette aventure sans une garantie sérieuse, en cas d'échec.

Il paraît indispensable que le « candidat » sache s'entourer de conseils préalables et soit suivi tout au long de son activité.

Il convient, en outre, de bien mesurer la réalité du marché et par conséquent, la capacité de résistance de ceux, qui exerçant déjà cette activité, voient dans les « privilèges » accordés à l'auto-entrepreneur, une concurrence déloyale.

Il n'existe pas (encore) de contrôle de la « qualification revendiquée » souvent sans fondement, ni d'obligation de justifier d'une formation professionnelle (initiale ou continue)... d'autant que le taux des cotisations forfaitaires n'englobe aucune contribution à cet effet.

Ainsi risquent d'être « légalisées » certaines activités de conseils en tout genre, voire de véritables charlatans se donnant un statut plus rassurant du fait d'une facturation officialisée, sans pour autant sécuriser la prestation. Certes le fisc peut trouver avantage à favoriser la sortie de la clandestinité de certains... mais le risque d'abus subsiste avec peut-être même celui de l'augmentation des tarifs !!

Par ailleurs, de l'auto-entreprenariat au travail dissimulé, il n'y a qu'un pas !

En effet, au risque de vider de toute substance ce nouveau statut et d'en dénaturer la finalité, les employeurs doivent s'abstenir d'inciter leur collaborateur à opter frauduleusement pour ce statut. La dénomination donnée à un contrat (prestations de services, ...) ne saurait empêcher les juges de requalifier un faux travail indépendant en un contrat de travail et d'en tirer toutes les conséquences.

Enfin, d'un point de vue concret, la considération que porteront certains opérateurs économiques tels que les bailleurs et les banques sera, dans une certaine mesure, révélatrice de la pertinence et des limites de ce régime.

Aussi, on ne peut manquer de s'interroger sur le sens profond de ces évolutions qui, sous prétexte de favoriser la création de son propre emploi (dans l'esprit américain du self employment) risque d'accroître la transformation progressive de salariés en travailleurs-indépendants. Ne doit-on pas reconsidérer cette notion, où la « liberté », et « l'indépendance » sont parfois illusoires et ne font que refléter une précarisation croissante ?

- Bibliographie :

- L'auto-entrepreneur —, LE PARTICULIER Septembre 2009
- Micro-entreprise, micro-entrepreneur et auto-entrepreneur —, JCP ( E ) 2009 n° 16.17
- Les avantages du statut de l'auto-entrepreneur en matière de création d'entreprise —, JCP (N) 2009 n° 24


Jacques BROUILLET
Avocat au Barreau de Paris

Cabinet A.C.D.
120 avenue des Champs-Elysées
75008 PARIS



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