A partir du samedi 24 Avril 2010, France 5 diffuse 'Belles et rebelles', une série animalière en trois épisodes qui propose une vision inédite de la nature, sous l'angle des femelles. Interview, par Séverine Correyeur, de Marie-Claude Bomsel, co-auteur de l'émission, docteur-vétérinaire et professeur au Museum national d'histoire naturelle.

Interview de Marie-Claude Bomsel, par Séverine Correyeur
Marie-Claude Bomsel, docteur-vétérinaire, est professeur au Museum national d'histoire naturelle. Elle est également chroniqueuse animalière dans l'émission 'C'est au programme', diffusée sur France 2 du lundi au vendredi à 9h50. Retour sur son rôle de co-auteur de la série documentaire, sur sa vision du monde animal et sur sa relation avec ce dernier.
Rebelle, Marie-Claude Bomsel ?
Sans conteste oui, quand il s'agit de défendre le rôle des femelles. Et de prendre à rebrousse-poil l'éthologie traditionnelle, longtemps masculine.
De quelle façon êtes-vous intervenue sur « Belles et rebelles » ?
En tant que co-auteur. J'ai apporté des idées, nourri la discussion, puis aidé à la réécriture, tout en apportant des connaissances scientifiques. Je connais bien l'Afrique pour y avoir souvent travaillé.
Je connais également depuis longtemps les auteurs Eric Gonzales et Marie Pilhan ainsi que le réalisateur. Ayant déjà travaillé ensemble, nous étions donc en grande confiance.
Quelles scènes avez-vous préféré ?
Le bain des éléphants ! Je suis davantage fan des scènes de marquages de territoires que des scènes de tendresse, comme on en voit chez les lions ou les guépards. Ce sont des comportements que je connais bien pour les avoir observés en Afrique ou au parc zoologique.
J'aime les scènes qui se produisent dans les grands espaces, avec de grands animaux, et qui reflètent le quotidien de l'animal. La cour de l'autruche, par exemple, est extravagante.
Une des phrases de conclusion du 1er documentaire est : « aucune n'est satisfaite de son sort ! ». De la même façon, il est dit que les femelles babouins « aimeraient vivre dans un environnement parfois moins saturé ». Les animaux auraient-ils conscience de leur sort, des regrets, des envies ou des pensées conscientes ?
C'est précisément sur ce genre de questions que je suis le plus intervenue. Le choix des mots était au cœ,ur du problème et nous a amené à nous bagarrer tout le temps. On a discuté chaque terme anthropomorphique. La question étant : jusqu'où peut-on aller ? Chacun de nous a cédé du terrain pour trouver un compromis.
Il y a donc un peu d'anthropomorphisme. Mais il n'y avait pas de solution, sinon on faisait un documentaire classique. Cela a été choisi de façon à faire pénétrer le téléspectateur dans l'intimité de l'animal.
Les femelles guépards sont dites « célibattantes ». Cela ne revient-il pas à attribuer une capacité de choix à une espèce qui ne suivrait que son instinct ?
Etant darwinienne et évolutionniste, je pense que l'animal n'est pas une machine et que chaque animal a une part de liberté individuelle, même si celle-ci n'est pas intentionnelle et qu'il n'en a sans doute pas conscience.
Le comportement n'est pas aussi inné que le pensait Descartes. L'animal peut exprimer et faire évoluer son comportement de manière différente en fonction de sa naissance, du milieu, etc... Il n'est pas prédestiné et a une vie propre.
C'est ce que nous avons voulu montrer dans « Belles et rebelles ». Dans les documentaires classiques, on regarde rarement l'identité d'un animal, sauf pour lui donner un numéro ou un code. Ici, on leur attribue des noms de façon à les différencier en tant qu'individus uniques.
Ce documentaire est donc un peu un retour de flamme contre l'éthologie masculine. Dans le milieu scientifique très masculin, y compris en éthologie, l'arrivée de Dian Fossey et de Jane Goodall, qui ont individualisé leurs animaux, a ouvert une boîte de pandore.
On est ainsi parti d'un comportement vrai, en prenant par exemple un carnivore social (le lion) et un animal extrêmement libre (guépard femelle). Puis, on a fait une transposition de l'Homme à l'animal pour lui attribuer un caractère. Victoria est toujours belle et maquillée, elle est l'idéal féminin. Esther, la bonne copine, est toujours bien entourée.
Ce caractère résulte de l'observation. Il n'y a eu aucune triche. Il y a même des scènes qui nous ont surpris. Nous étions partis avec des personnages pré-écrits, les animaux ont tourné ce qu'ils voulaient. C'est ça qui est passionnant. J'ai vu des comportements que je n'avais jamais vus aussi nettement. Par exemple chez les babouins. On sait pertinemment que les jeunes femelles adolescentes sont souvent peu appétentes. Dans ce documentaire, c'est très net : Josiane est rejetée par les mâles.
Ensuite, le terme « célibattante » donne un ton volontairement décalé. Je sais aussi que si l'on veut intéresser les gens, il faut passer par le crible de leur propre vie. Le terme « célibattante » permet de faire comprendre aux téléspectateurs les soucis qu'ont les femelles guépards, contrairement aux lionnes, pour lesquelles existe un réseau d'entraide.
Remarquez-vous dans le milieu du documentaire animalier ou scientifique en général un intérêt inférieur pour les femelles ou une dépréciation de leur rôle ?
Le milieu scientifique évolue, mais lentement. L'arrivée dans l'éthologie dans les années 70 de Dian Fossey, Jane Goodall et Birouté Galdikas a donné un plus et a permis de faire des émules. Depuis, il y a plus de femmes dans ce milieu, auparavant majoritairement masculin. Notamment aussi parce qu'on a préféré laisser les filles s'y engouffrer. L'éthologie étant une science dite « molle », il y a peu de débouchés.
Ces femmes sont restées comme les trois grâces du célèbre paléontologue Louis Leakey et elles ont un peu été confinées dans ce rôle. Mais elles ont permis de nuancer l'idée de Konrad Lorenz, qui donnaient les mâles comme dominants.
Dans « Belles et rebelles », on a voulu continuer à rééquilibrer le système, en montrant que ce sont les femelles, qui outre de donner la vie, font l'éducation des petits et sont le noyau du groupe. Elles ne sont pas soumises, mais ont au contraire leur propre hiérarchie, avec leurs propres difficultés. C'est l'inverse de ce qui était montré jusqu'ici, du fait des « théories du surmale » qui conduisaient majoritairement l'éthologie.
Vous êtes au contact des animaux toute la journée. Quels sont les comportements qui vous ont le plus marqué ?
Le geste de la femelle morse, dans le film Océans , quand elle protège son petit de ses nageoires. C'est étonnant car c'est une attitude qui s'apparente à celle du grand primate quand il veut bercer son petit.
Je suis également toujours autant étonnée par la grande facilité d'adaptation des animaux. L'évolution conduit à faire une espèce sur des millions d'années. On a domestiqué des animaux sur des milliers d'années, et dans les parcs zoologiques, on a réussi à adapter des animaux en une dizaine d'années.
Les animaux en captivité ont davantage de possibilités d'expressions comportementales que dans la nature car ils en ont le temps. J'irais jusqu'à dire qu'un grand singe est plus intelligent dans le système humain en laboratoire ou en zoo parce qu'il en a le temps et les moyens. Il peut apprendre à compter, à travailler avec un lexigramme. Souvenons-nous la dernière fois que les premiers hommes ont émergé des forêts : ils n'ont pas eu beaucoup de réflexions profondes, car il leur fallait avant tout survivre.
De la même façon, les chats et les chiens, qui sont issus des loups et des chats sauvages, se sont ouvert de nombreuses possibilités au contact de l'homme. On voit apparaître chez ce genre d'animaux une part d'humanité.
Qu'avez-vous appris à leur contact ?
L'apprentissage maternel. En observant un grand singe, on comprend tout de suite qu'on a tout faux. On est toujours en train de trimballer les bébés, de les langer. Un bébé singe ou un bébé panthère va éveiller ses sens à travers sa mère et sans le monde extérieur. Le sensoriel se développera sur la fourrure de sa mère au cours d'heures de toilettage et d'une certaine gestuelle. Les humains ont une moins bonne gestuelle généralement à cause du manque de temps passé au contact de la mère.
Ils m'ont également appris une forme de dissimulation de la souffrance. Les animaux ont beaucoup plus de « dignité » que l'homme. On voit des animaux très malades qui ne laissent rien paraître. Parce qu'ils ne peuvent se montrer faibles faute d'être exclus du groupe. Pour cette raison, je me sens plus proche de la résilience que de l'assistanat psy 24h/24h.
Enfin, j'ai compris qu'ils savaient exprimer leur joie sans arrière-pensée. Ils ont une compréhension émotionnelle non polluée par l'intelligence. Très souvent, je vais voir les grands singes à la ménagerie. J'ai avec eux une communication différente d'avec les humains. Nous avons appris à une telle dissimulation que la communication entre humains est difficile.
Y-a-t'il une espèce qui vous touche plus qu'une autre ?
Les grands singes et les ours. Les ours pour leur côté faux protecteur. Ce sont des rocs : ils sont costauds et ont une très grande force d'isolement, avec un fort besoin d'espace. Les grands singes parce qu'ils sont des faux-semblants de nous mêmes.
Voudriez-vous faire passer un message aux internautes ?
Ce serait un message sur l'altérité de l'animal. Il nous observe et n'est pas un reflet de nous-mêmes. Il a sa propre vie et un regard sur nous.
C'est ce mélange de part de nous-mêmes et de celle qui leur est propre qui m'intéresse. Se souvenir de cela permet de ne pas tomber dans le gagatisme « mon chien me parle, il me comprend », ou dans le pendant inverse « l'animal est totalement sauvage, libre, heureux ».
L'animal est loin d'être uniforme. Malheureusement, on ne naît pas libre, égal et fraternel. C'est aussi faux pour nous que pour l'animal. La différence est que nous pouvons tendre vers cet idéal, contrairement à l'animal qui ne peut comprendre ce précepte.
Il y a en eux une petite part de nous mais aussi beaucoup de dissemblance. Ils ont des problèmes et des comportements différents des nôtres dus à l'évolution de leur espèce et à leur propre histoire. C'est exactement ce qu'on a essayé de montrer dans Belles et rebelles.
Interview réalisée par Séverine Correyeur
et publiée le 24/03/2010 sur le site de France 5.
- Belles et rebelles. Série documentaire en 3 épisodes de 52' écrite par Eric Gonzales et Marie Pilhan, avec la collaboration de Marie-Claude Bomsel, réalisée par Laurent Frapat, et coproduite par France Télévisions / One Planet / Animal Planet International. 2008. Commentaires : Julie Depardieu.
- Diffusion chaque samedi à 16h55
- 1er épisode : Belles & rebelles, de l'art dêtre libre (Samedi 24 Avril 2010 - 16:55)
- Durée : 00:51
- (Programme sous-titré par télétexte pour les sourds et les malentendants)
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