Festival Visa pour l'Image 2010

Conversation avec Jean-François Leroy

'Visa pour l'Image', Festival International du photojournalisme, se tient à Perpignan (66) du 28 août 2010 au 12 septembre 2010. Jean-François Leroy, directeur de cette manifestation rassemblant des centaines de photojournalistes venus du monde entier, nous donne le ton de cette 22ème édition. Crise de la photographie, impact des nouvelles technologies, montée des webdocumentaires, photos retouchées, propriété des oeuvres... autant de sujets qui sont abordés ici.





Conversation avec Jean-François Leroy

*Propos reccueillis par Lucas Menget - mai 2010

L'année dernière, c'était l'année de la crise de la photographie, l'année d'avant aussi. Et si on arrêtait de parler de crise de la photographie ?

C'est difficile d'arrêter de parler de crise de la photographie parce qu'il est vrai qu'aujourd'hui on nous parle beaucoup des nouveaux modèles de tablettes de lecture, de journaux électroniques, etc. mais ce n'est pas pour ça que les journaux produisent à nouveau de la photo. La production est en chute libre, elle est quasi inexistante, c'est vraiment effrayant.

Alors par exemple, sur un événement énorme comme Haïti, qu'est-ce qui s'est passé ?

Haïti, c'est un peu différent, parce qu'il y a plein de gens qui sont partis sans commande, pour y aller, pour voir. La production a donc été colossale.

Trop ?

Toutes les images étaient fortes les premières semaines. Il nous a même été impossible, à Visa pour l'Image, de déterminer qui, des photographes, a été le meilleur, si bien que nous avons décidé de faire une projection collective.
Sur Haïti, il y a deux faits majeurs à indiquer : un, les grands journaux américains n'ont pas envoyé de photographes, à part le quotidien le New York Times, et le Washington Post. Deux, les hebdos ont mis huit jours à envoyer leurs photographes.
Mais il est vrai que CNN.com a envoyé cinq photographes sous garantie !

C'est une grande première quand même, que ce soit une chaîne de télé qui ait envoyé en commande des photographes. Dans cette ampleur-là en tout cas.

Ce qui est passionnant avec le phénomène Haïti, c'est que les photographes étaient théoriquement en assignment pour le Web de la chaîne, et que très vite, au bout de 24 ou 48 heures, CNN a utilisé et diffusé des images fixes pour leurs reportages TV. Il est vrai que la photo d'un corps qu'on sort des décombres, surtout si c'est un survivant, est plus forte puisque c'est un instant figé, alors qu'en vidéo c'est fugitif. Il y a donc là, un nouveau créneau à creuser.

Je pense que sur des événements comme ça, la télé peut être l'une des voies pour les photographes. Il y a plein de photographes capables de faire de la vidéo, mais peu de cameramen capables de faire de la photo. C'est une réalité, et ça ne veut pas dire que tous les photographes sont de bons cameramen, mais il y en a quand même plus dans ce sens-là que dans l'autre. Je pense que l'aspect pérenne d'une image fixe peut intéresser les télés. Haïti en a été un exemple. On a vu un grand magazine américain donner une garantie internationale à un photographe pour garder l'exclusivité de ses images sur le Web. C'est une des premières fois que cela arrive. C'est-à-dire que le photographe qui vendait à un magazine américain pouvait vendre, dans la même semaine, à un magazine allemand, français, italien, anglais. Là, on lui dit : « On garde vos photos pour une diffusion internationale pour un mois. » C'est assez nouveau.

L'année dernière, se lançait le premier prix Visa pour l'Image-France 24-RFI du webdocumentaire, est-ce que vous allez continuer le prix ?

Oui, le prix va continuer parce qu'on s'est rendu compte qu'il y avait une vraie demande et que ça a été un grand succès. (C'est l'un de mes collaborateurs, Lucas Menget, qui m'avait soufflé cette idée). Ce prix a toute sa raison d'être. Maintenant, je redis ce que j'ai dit l'année dernière : c'est vrai qu'on a vu, dans la présélection de ce prix, beaucoup de diaporamas qui n'étaient pas vraiment du webdocumentaire. Samuel Bollendorff, l'autre jour à un colloque au Sénat, a eu cette réflexion que j'ai trouvée géniale : «Normalement, dans un diaporama sur Internet, vous n'avez qu'un bouton. Moi, pour montrer que je respecte le spectateur, je mets deux boutons. Et comme ça, il n'a pas l'impression d'être pris pour un con.» C'est résumé de façon un peu réductrice, mais en même temps ça veut dire qu'il donne l'impression au spectateur d'aller un peu là où il veut. Et en même temps, c'est Samuel qui l'emmène.

Justement, Bollendorff, mais aussi les autres, vendent aujourd'hui principalement à des sites Internet appartenant à des chaînes de télé. Le principal acheteur de webdocumentaires en France pour le moment reste la télévision. Est-ce qu'il n'y a pas une sorte de paradoxe à ce que ce soit les chaînes de télé ? France 5 vient d'en commander une quarantaine, Canal + en finance plusieurs en ce moment, France 24 aussi dans une moindre mesure.

Le problème du financement n'est pas réglé. La postproduction d'un webdocumentaire reste très chère. Donc pour le moment on a la chance que CNC soutienne pas mal les projets, mais combien de temps ça va durer ? Par ailleurs, Samuel Bollendorff vient de recevoir une lettre de la Commission de la Carte de Presse. Il fait du webdocumentaire, et n'est donc plus considéré comme un journaliste... Il va quand même falloir que les pouvoirs publics remettent en cause les conditions d'attribution de cette carte en France !

Mais quand même, est-ce que vous pensez qu'il y a une économie viable pour ce genre de choses ? Sachant qu'aujourd'hui tous les photographes sont en train de s'intéresser au webdocumentaire parce qu'ils n'ont pas de commandes de la presse. Est-ce qu'il est imaginable que, d'ici deux ou trois ans, des photographes vivent de ça ?

J'espère. De toute façon c'est vrai qu'il y a une demande et que c'est sur le Web que l'économie va se diriger. Aujourd'hui, le monde entier parle de l'arrivée de la tablette d'Apple, en disant que c'est l'avenir de la presse, que le magazine papier va disparaître à moyen terme , je ne pense pas que ce soit dans les deux ans qui viennent. Aujourd'hui les journaux —, parce qu'il faut parler de la réalité économique —, font une offre aux agences photo en disant : « On vous paie tant, c'est pour le papier, pour l'iPhone, pour le Smartphone, pour le BlackBerry, pour l'iPad, pour le Web et pour tout ça. » Donc on augmente les prix de 5 %, mais on multiplie les utilisations par quatre ou cinq. Il y a quand même un vrai problème.

Oui, mais qui est aussi en train de sauver les photographes.

On verra. On est obligé d'en parler : National Geographic continue à produire de longues histoires avec ses photographes. Mais aujourd'hui, on m'envoie énormément de sujets de 18, 20, 22 photos. C'est-à-dire que c'est très bien pour faire un six pages, un huit pages, mais à Perpignan, on ne peut en faire ni une exposition ni une projection.

L'un des problèmes que soulèvent Internet et la téléphonie, c'est aussi la propriété des photos. On a vu dans les 24 premières heures du séisme en Haïti, une histoire assez abracadabrante de reprise d'une photo via Twitter d'un photographe qui avait mal protégé sa photo au départ, et qui a circulé sous différents noms et différentes agences dans différents titres. Est-ce qu'aujourd'hui ça ne pose pas la question aussi pour que les photographes apprennent à maîtriser ces nouveaux outils ? C'est-à-dire qu'ils soient conscients que leurs photos circulent via les téléphones portables.

À partir du moment où tu mets une photo sur Twitter ou sur Facebook, tu la donnes en pâture au monde entier. C'est ce qui s'est passé sur Haïti. Le photographe en question a mis sa photo sur Twitter , cette photo a été aspirée par les utilisateurs, qui se la sont appropriée. Elle appartenait à tout le monde. C'est vrai que ça pose un problème de droits d'auteur, évidemment. Et c'est un problème qui va s'accentuer. Ce matin encore, j'ai reçu, d'une grande agence américaine, une photo d'Haïti. Cette agence me demande de la retirer des projections ou des expositions parce qu'ils ont un problème de copyright non résolu. Donc un procès, etc. C'est vrai que tous ces outils sont très intéressants, on s'en est aperçu l'année dernière : s'il n'y avait pas eu Twitter sur les événements en Iran, on n'aurait pas eu d'information du tout.

Maintenant —, désolé, je fais peut-être un peu réactionnaire en disant ça —, se pose quand même la question de la crédibilité des sources. Moi, quand je vois une photo signée AFP, AP, Reuters ou Getty, je ne me pose jamais la question, a priori, de savoir si cette photo est volée ou pas. Alors qu'il y a des sites où on ne voit pas de crédit, on ne sait pas d'où vient cette image. Dans un prix de photojournalisme, quand on donne un prix à une photo prise sur Twitter, je trouve que c'est un mauvais exemple, un mauvais signal à faire passer, parce que ça veut dire qu'on met la photo d'amateur, nécessaire parfois, au rang de la photo d'un professionnel. Donc on dévalorise l'information. Je le dis depuis des années, je voudrais qu'on réussisse à faire ce qu'Apple a réussi à faire dans le monde de la musique. Il y a dix ans, tout le monde piratait de la musique. Aujourd'hui, plus personne ne pirate de la musique parce que c'est beaucoup plus facile et ça prend beaucoup moins de temps d'aller sur iTunes, de chercher son morceau et de le payer 99 centimes d'euro. Pourquoi ça n'existerait pas en photo ?

Est-ce que vous n'inviteriez pas à Perpignan tous ces gens et ces entreprises que l'on a considérés peut-être à tort comme des ennemis, mais qui sont pour certains peut-être des outils et peut-être une partie de l'avenir de la photographie ? Est-ce que vous invitez CNN, Yahoo, Google, Twitter, Facebook à Perpignan ?

Je rêverais qu'ils viennent. J'en rêverais, forcément.

Est-ce qu'il ne faut pas parler avec eux ?

Il faut qu'on parle avec eux, mais le problème de ces boîtes gigantesques, je le dis très honnêtement, c'est que je ne sais pas à qui m'adresser pour avoir le bon interlocuteur, celui qui peut décider. Prenons l'exemple de Google en France : la législation française fait que Google perd à peu près tous ses procès d'utilisation de photo.Ce qui n'est pas le cas aux États-Unis, ni en Angleterre, ni en Italie. En conséquence, mes interlocuteurs de Google France ne vont pas du tout avoir le même discours que les interlocuteurs de Google de la maison mère. Mais pour répondre honnêtement à votre question, oui, j'adorerais que Google, Yahoo, Twitter, Facebook viennent à Perpignan. Même si, aujourd'hui, leur modèle économique n'est pas très simple, je pense que l'avenir de la photo passe par eux.

Puisqu'on parle d'avenir de la photo et de technologie, Adobe sort dans les semaines qui viennent la nouvelle version de Photoshop, qui est d'après ce qu'on sait une version visiblement révolutionnaire. Qu'est-ce que vous envisagez à Perpignan pour parler de cette question, qui n'est pas forcément un problème, mais qui est une question importante de l'utilisation de Photoshop ? Et qu'est-ce que vous en avez retiré de l'édition 2009 ?

C'est vrai qu'on voit, et le problème s'intensifie, de plus en plus de photos qui sont tellement retouchées et manipulées sur Photoshop qu'on ne sait plus où est la vérité. Sur Haïti, j'ai reçu une photo faite par un photographe de AP où l'on voit cinq photographes en train de prendre une photo. On identifie clairement un soldat, on voit la situation : un ciel gris, des gravats gris et un policier avec un pantalon bleu marine. Sur les cinq photographes qui sont en train de prendre une photo derrière ce soldat, il y a trois photographes que j'identifie, deux dont j'ai vu les photos : leurs gravats sont d'un blanc éclatant, l'uniforme du policier devient bleu roi et le ciel est violet avec des nuages roses. On peut me dire que c'est une question d'interprétation, mais est-ce que ce n'est pas une réécriture ? On a vu, l'année dernière, des images sur le Congo, où des Noirs devenaient gris, le sang devenait écarlate. C'est un problème sur lequel je n'ai pas tranché, car regarder les fichiers RAW, ça ne sert à rien.

Mais vous avez envisagé à un moment d'exiger tous les fichiers RAW, en tout cas pour les expositions.

Oui, j'ai envisagé de demander tous les fichiers RAW, mais ce n'est pas simple. D'accord, le fichier RAW est inutilisable tel quel. Mais après, vous avez de telles manipulations que quand vous arrivez dans un labo, le labo ne peut plus faire de tirage de ces fichiers, parce que ce que vous demandez, il n'y a aucun papier au monde qui peut l'encaisser. C'est peut-être faisable sur un écran d'ordinateur, mais ce n'est plus imprimable. Il y a donc un vrai problème. La latitude de pose du papier fait que vous ne pouvez pas tirer des ciels fluo. Ça n'existe pas. Cette année, ça devient un problème majeur.

Et comment les photographes réagissent au fait que vous demandiez les fichiers bruts ?

Ils réagissent mal. Parce qu'ils me disent que c'est leur interprétation et leur vision des choses. C'est vrai qu'il y a quinze ou vingt ans, un photographe qui mettait un film noir et blanc dans son appareil faisait le choix du noir et blanc. Après, la manière dont il tirait son noir et blanc, sur un grade dur ou sur un grade doux, du très contrasté ou du moins contrasté, c'était déjà une interprétation. On se souvient du portrait du docteur Schweitzer à Lambaréné : Smith disait toujours qu'il avait travaillé plus de quinze jours pour avoir les noirs qu'il voulait. Maintenant, sur un écran avec Lightroom ou Photoshop, on fait ça en trois minutes...

Mais en quoi Photoshop est-il un problème si finalement les photographes ont toujours manipulé la réalité de leur négatif ?

Le problème de Photoshop dans sa nouvelle version aujourd'hui, c'est qu'il vous permet de redresser quelque chose qui est tordu en deux clics. Il vous permet d'enlever un lampadaire, un fil électrique qui vous gêne sans que ce soit visible. Ça a toujours été un grand débat : c'est quoi une photo manipulée ? Au début, on disait : « C'est ajouter ou retirer une kalachnikov sur une image. » Là c'était simple, et il y a eu des exemples célèbres.
Maintenant, si ça devient si facile de redresser un bras, beaucoup de gens vont être tentés de faire une photo parfaite. Ce que je veux dire par là, et là où le danger me semble terrible, c'est que dans des grandes agences comme AP, AFP, Getty, Reuters, ils ont des limites bien définies, des cadres à ne pas dépasser, des modifications à ne pas dépasser : quand tu ne dépasses plus ces limites, tes photos font ternes



Qu'est-ce qu'il faut alors ? Il faut que Visa pour l'Image soit une sorte d'autorité morale ? Est-ce qu'il faut instaurer une sorte de CSA de la photographie ? Qui va contrôler tout ça ?

Je n'ai aucune intention ou désir de devenir le CSA de la photo. Je dis simplement qu'il faut qu'on soit très vigilant car, oui, on peut ajouter des contrastes, faire une saturation, etc. mais il va falloir qu'on soit de plus en plus vigilant. Et la nouvelle génération de photographes, qui n'est jamais passée par l'argentique, n'a aucune notion des limites.

Sous quelle forme, à Perpignan cette année, vous allez essayer d'évoquer cette question et d'en débattre ?

On va essayer d'en débattre. On réfléchit à une grande projection pour parler de ces problèmes. Maintenant, je ne sais pas si on peut se permettre, nous, au nom de quoi, de dire des photos : « Celle-là est too much ». On n'est pas non plus des censeurs.

Mais c'est aussi à Visa pour l'Image de se poser cette question.

C'est vrai. Mais je pense à certains photographes qui, pour moi, sont beaucoup trop manipulateurs et font, comme on dit, de
l'« over Photoshop ». Est-ce que ces photographes accepteront que l'on montre leurs photos, en disant : « Voilà, pour nous, c'est la limite dépassée de la manipulation ». Le photojournalisme, même si c'est une notion arbitraire, c'est quand même témoigner de la réalité. Il y a cinquante ans que les photographes, en tirage, font monter leurs ciels pour avoir des ciels plus denses. On fait monter des nuages, après on ajoute du violet dans le ciel, puis un nuage parce que c'est plus joli, on enlève un fil électrique parce que ça coupe la photo en deux, etc. Et on se retrouve avec quelque chose qui est une interprétation du monde. Donc ce n'est plus du journalisme. À ce moment-là, est-ce qu'il faut que Visa pour l'Image devienne un repaire d'artistes peintres Photoshop ? Je n'en sais rien.

En tout cas vous avez la conviction qu'il faut en débattre et en discuter à Perpignan en septembre prochain.

C'est évident.

Sous quelle forme ?

Je ne sais pas encore, mais je pense qu'il faut faire intervenir des photographes qui manipulent, qu'ils nous expliquent pourquoi, quelles sont leurs limites. Je pense que cette profession se met en péril. Elle se met en péril elle-même par des abus de manipulations.

Elle perd sa crédibilité ?

À un moment, on verra une photo et on dira : « Ce n'est pas vrai. »

Et qui pourra dire que cette photo était vraie ou pas ?

Cette rapidité de diffusion, cette capacité à envoyer des photos à l'autre bout du monde en vingt secondes, c'est très bien, mais paradoxalement, c'est beaucoup plus facile de se faire confondre.
Parce que si vous êtes à Haïti, que vous avez vu une scène et que vous la comparez à une photo qui a été prise à trente centimètres sur la gauche et qui a été manipulée, vous vous prenez le manipulateur la main dans le sac.

C'était le cas, il y a quatre ans maintenant, pendant la guerre du Liban, Hezbollah—,Israël, d'un photographe qui avait rajouté une colonne de fumée.

Et sur laquelle, il faut le rappeler, la direction de Reuters (c'était un photographe de Reuters) a été exemplaire car le photographe a été remercié dans les dix minutes. Et à juste raison. Parce qu'elle commence où, la manipulation ? On parlait tout à l'heure d'ajouter ou de retirer une arme sur une image. Je me souviens, c'était à Haïti déjà, longtemps avant le tremblement de terre, en 2003 ou en 2004 : un cadavre vu par deux photographes. Sur une photo, il y avait une arme à côté de lui, et sur l'autre photo, l'arme avait disparu. Est-ce qu'un des photographes avait amené l'arme, ou est-ce que l'arme avait été volée ? Je n'en sais rien, mais ça m'avait posé de lourds problèmes.

Alors justement, comme Visa pour l'Image a plus de vingt ans d'existence maintenant, vous avez décidé aussi que Perpignan devait être le lieu d'une forme de transmission d'un certain nombre de valeurs que le festival défend depuis vingt-deux ans. Et que ces valeurs, vous avez envie de les transmettre à des générations, partant du constat qu'une immense partie des visiteurs accrédités de Visa pour l'Image sont des gens jeunes, qui n'étaient jamais venus à Perpignan.

C'est vrai que Perpignan est aujourd'hui devenu le point de ralliement de toute cette profession et on se dit qu'on a envie de transmettre. C'est ce qu'on fait, depuis des années, avec les scolaires la troisième semaine du Festival. Maintenant on se rend compte qu'une troisième ou quatrième génération de photographes arrive à Perpignan, c'est peut-être à nous de dire :
« Voilà comment, nous, on envisage... »

Ce à quoi on croit ? C'est ça que vous voulez dire ?

Oui, les valeurs auxquelles on croit. C'est vrai que des photographes comme Stanley Greene, Pascal Maître, Eugene Richards sont des gens qu'on a envie de mettre en avant. Qui ont souvent été exposés à Perpignan, c'est vrai, mais qui ont été exposés parce qu'ils représentent l'intégrité, le travail en profondeur, et qu'ils savent comment raconter une histoire et comment la présenter

Ce sont les valeurs du reportage au fond que vous voulez mettre en avant et transmettre ? Ces valeurs-là, ce sont des valeurs journalistiques. Lesquelles ?

Ce sont des valeurs de rigueur, des valeurs d'engagement pour un sujet, des valeurs de crédibilité de l'information. Des photographes, comme ceux dont je parlais tout à l'heure, quand ils m'apportent une photo, je ne me pose jamais la question de savoir si elle est truquée. J'ai une confiance aveugle en eux, et nous devons montrer que nous partageons les mêmes valeurs et qu'on a envie de les transmettre.

Sous quelle forme envisagez-vous cette transmission des valeurs ?

On va essayer de faire, je ne veux pas dire des workshops parce que ça ne sera en aucun cas une revue de portfolio ou un exercice de prise de vues , je pense que cela passera plus par des rencontres avec des photographes, qui vont leur expliquer comment, pourquoi ils travaillent comme ça, et leur donner envie. J'ai toujours respecté des gens comme Marc Riboud, Jean-Pierre Laffont, Jacques Pavlovsky, etc. Aujourd'hui des Stanley Greene et Pascal Maître, Eugene Richards —, pour n'en citer que quelques-uns —, sont devenus les références des jeunes générations, je trouve que c'est à nous de les mettre en relation. Ça ne sera pas l'école Visa pour l'Image ou les workshops Visa pour l'Image, mais ce sera une manière de transmettre des notions que nous avons envie de mettre en avant, et que nous avons envie de défendre, et que l'on défend, à Perpignan, depuis vingt-deux ans.

En clair, c'est parler de ces valeurs-là autrement que le soir dans les bars de Perpignan.

C'est officialiser ce qui se passe dans les bars de Perpignan. C'est vrai que j'ai été frappé de voir des jeunes, très jeunes photographes à Perpignan se pousser du coude en disant : « Tu as vu, c'est Stanley Greene, c'est Pascal Maître », et ne pas forcément aller vers eux, alors que ce sont tous des types totalement accessibles. C'est de leur dire : « On vous donne la possibilité de rencontrer ces gens-là, de façon tout à fait officielle, et de pouvoir vous imbiber de leur expérience. Qu'ils vous fassent partager ce en quoi ils croient et qui a fait qu‘ils sont devenus les photographes qu'ils sont aujourd'hui. »

On a quand même l'impression que, pour une fois, vous avez l'air d'être un peu optimiste, vous qui êtes souvent assez pessimiste. Qu'il y a des solutions et que vous essayez de les trouver. En tout cas de ne pas fermer les portes.

Je crois que soit on baisse les bras et on dit : « Les solutions, il n'y en a pas, donc on arrête et on ferme. » Soit on se dit : « Il y a des modèles qui restent à inventer. » Et je suis convaincu que toute cette révolution à laquelle on assiste, avec l'excitation de tous les journaux sur la tablette Apple, qui sortent des formules spéciales pour l'iPad avant même que l'iPad soit disponible, etc. va apporter de nouveaux modèles, de nouvelles voies. Il y a eu un sondage la semaine dernière qui dit que 80 % des gens ne sont pas prêts à payer pour de l'information sur Internet. Or, l'information de qualité coûte cher. Elle coûte cher à produire, et donc elle ne peut pas être gratuite. Parce que, à moins d'avoir des mécènes qui décident de financer des projets qu'ils mettront gracieusement à la disposition du monde entier, les journaux et les entreprises de presse doivent encore gagner leur vie. Pour moi, c'est le pire danger : à force de ne plus produire et d'aller chercher des photos uniquement sur Twitter, Flickr, Facebook, etc., on perd cette exigence sur la qualité de l'information.

Je vous parlais d'optimisme et là, une fois de plus, vous êtes en train de me dresser un tableau noir.

Non, parce que je suis complètement persuadé qu'il y a des modèles à inventer, et que c'est vrai que Perpignan doit être le laboratoire où l'on cherche, où l'on creuse, où l'on essaie de trouver des solutions. Je le redis, même si j'ai parfois l'air pessimiste, si je n'avais pas un peu d'optimisme, j'arrêterais. Je me dirais : « C'est foutu, on change de métier. » Or, justement, je suis persuadé qu'il y a des solutions à trouver. C'est vrai qu'en ce moment on est au creux de la vague parce que plus personne ne produit rien. Je ne me satisferai jamais de la petite information que je peux trouver sur Internet. J'ai envie d'avoir des types qui vont sur le terrain, qui enquêtent, qui me rapportent des histoires, des témoignages crédibles. Je ne veux pas être informé par des tweets qui n'ont plus d'analyse, pas de racines, de connaissances de ce qui s'est passé avant.

Justement, est-ce que Visa pour l'Image va bien ? Est-ce que vous pouvez continuer ?

C'est l'un des paradoxes de cette crise : Visa pour l'Image peut continuer. On a signé des contrats avec Canon, avec la ville de Perpignan jusqu'en 2013, et donc pour quatre ans encore on est assuré de pouvoir remplir notre mission. Maintenant, c'est vrai que l'on fait cette conversation un peu plus tôt que nous l'avions fait l'an dernier, mais je suis assez inquiet de voir la médiocrité de la production qu'on m'envoie.

Mais tout n'est pas encore arrivé.

Non, mais la deadline du 2 avril clôt un peu nos sujets magazine , on voit arriver des sujets sans aucune construction. Encore une fois, le problème du numérique, c'est qu'avec la facilité avec laquelle on fait une photo aujourd'hui, tout le monde se dit photographe. Je vais prendre un exemple qui peut vous paraître stupide : on doit vendre plusieurs dizaines de millions de stylos-billes par jour dans le monde , ce n'est pas pour autant que vous avez des Proust et des Shakespeare partout. C'est un peu pareil pour l'appareil photo. Je trouve qu'on est dans une période de manque d'exigence. Pourquoi un service photo continuerait à produire alors qu'il peut trouver des sujets pas chers sur le Net, des gens qui sont prêts à brader leurs photos simplement pour avoir le plaisir de trouver leur nom dans un journal. Vous savez très bien, comme moi, qu'un vrai reportage, une vraie investigation, c'est des semaines de préparation, des jours et des jours sur le terrain , et après, c'est une analyse, un montage en vidéo, un édit en photo, une rédaction en texte. Ça ne se fait pas comme ça. C'est un métier. Le problème, c'est qu'aujourd'hui on voit arriver plein de gens qui disent « je suis photographe » parce qu'ils sortent des photos nettes, bien exposées, superbement retouchées grâce aux outils dont on a parlé tout à l'heure, mais il n'y a aucun fond.

Dans ce qui a du fond, j'imagine que vous pouvez déjà nous annoncer un petit peu ce qu'il va y avoir dans les expositions. Au moins quelques-unes.

Il y aura des choses aussi variées qu'une rétrospective de Bill Allard sur cinquante ans de travail en couleur au National Geographic, une superbe rétrospective sur dix ans d'Afghanistan par Stephen Dupont, un photographe qui a fait son premier séjour en Afghanistan en 2001 et qui y est retourné régulièrement : c'est époustouflant. Une des découvertes de l'année, c'est une photographe américaine, Star Reese, qui a fait un travail sur les gens qui vivent dans les tunnels du métro à New York, qui est absolument extraordinaire. Mais voilà, c'est typiquement un sujet qu'elle a travaillé pendant des mois, des années. Du coup, il y a une âme, une consistance, une proximité avec les gens qu'elle photographie que, ni toi ni moi, ne serions capables d'avoir si on y reste trois jours. Autre exposition : Nick Nichols sur les séquoias en Californie.

Enfin, il y a une rumeur, est-ce que vous pouvez la confirmer ou l'infirmer : il paraît que Visa pour l'Image se lance dans l'édition ?

Ce n'est pas une rumeur. On ne se lance pas dans l'édition. L'année dernière, une de nos expositions-phares avait été le travail tout à fait remarquable de Eugene Richards, « War is Personnal ». On pensait que ce travail trouverait un éditeur sans aucun problème. À notre grande surprise, douze éditeurs internationaux ont refusé ce travail, parce que montrer, qu'en Irak, ce n'est pas gagné, que des gens se battent et qu'ils peuvent revenir infirmes, c'était trop dur et ça pouvait atteindre le moral des Américains. Donc, quand Eugene Richards m'a dit en janvier qu'il ne trouvait pas d'éditeur, on a décidé de coproduire le livre. C'est une coproduction que l'on fait avec Getty. Ça va être un bouquin formidable. Je n'ai pas encore vu l'impression, mais j'ai eu Eugene hier soir et il est très content de ce qu'il a vu. On aura quelques centaines d'exemplaires à Perpignan qui vont, à mon avis, devenir très vite des collectors.




- Festival 'Visa pour l'Image'
- du 28 août 2010 au 12 septembre 2010
- Perpignan

--------------------------------------------------------------------------------------------Le Festival International du Photojournalisme est organisé à l'initiative de l'association « Visa pour l'Image - Perpignan », regroupant la Ville de Perpignan, le Conseil Régional du Languedoc-Roussillon, la Chambre de Commerce et d'Industrie de Perpignan et des Pyrénées-Orientales, la Chambre de Métiers et de l'Artisanat et l'Union Pour les Entreprises 66.
Sous le haut patronage et avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication, ainsi que de la D.R.A.C. Languedoc-Roussillon et du Consulat Général des États-Unis d'Amérique à Marseille.
------------------------------------------------------------------------------------------
Association Visa pour l'Image - Perpignan - Hôtel Pams, 18, rue Émile Zola
66000 Perpignan -
Tél : 04 68 62 38 00 - Fax : 04 68 62 38 01 -
email : contact@visapourlimage.com -
www.visapourlimage.com
--------------------------------------------------------------------------------------------

Site de l'office du tourisme de Perpignan (66): http://www.perpignantourisme.com



Par Nicole Salez

Portrait de admin

Ajouter un commentaire