Entretien avec le réalisateur de ”Elle s'appelait Sarah”

D'après le roman 'Elle s'appelait Sarah' de Tatiana de Rosnay traduit dans plus de 30 pays, Gilles Paquet-Brenner réalise le film éponyme avec Kristin Scott-Thomas et Niels Arestrup. Le film sort le 13 octobre 2010.
Entretien avec le réalisateur.




Le Synopsis

Julia Jarmond, journaliste américaine installée en France depuis 20 ans, enquête sur l'épisode douloureux du Vel d'Hiv.

En remontant les faits, son chemin croise celui de Sarah, une petite fille qui avait 10 ans en juillet 1942.
Ce qui n'était que le sujet d'un article devient alors, pour Julia, un enjeu personnel, dévoilant un mystère familial.

Comment deux destins, à 60 ans de distance, vont ils se mêler pour révéler un secret qui bouleversera à jamais la vie de Julia et de ses proches ?

La bande annonce du film



Gilles Paquet-Brenner réalise signe son 9e film.

Qu'est-ce qui vous a donné envie de porter à l'écran Elle s'appelait Sarah, le livre de Tatiana de Rosnay ?
L'idée de ce film est née trois mois avant la sortie d'UV. Je sens que celle-ci va mal se passer et j'ai envie de revenir à un cinéma de fond. Je tombe alors sur le livre de Tatiana de Rosnay. J'ai littéralement dévoré son intrigue captivante qui, en plus d'évoquer la Rafle du Vél'd'Hiv et les camps d'internement du Loiret, l'exprime d'un point de vue contemporain : après la découverte d'un secret de famille, une journaliste américaine installée en France va mieux appréhender l'histoire de son pays d'adoption et voir sa vie bouleversée par quelque chose qui au départ ne la concerne pas.


Le récit explore également des zones d'ombre peu traitées, comme l'attitude des témoins de cette époque où les collabos et les résistants étaient à la marge. La majorité regardait ailleurs en essayant de sauver sa peau , comme la famille Tezac qui, dans l'absolu, n'a rien fait de mal et se sent néanmoins coupable , ou encore les Dufaure, qui deviennent des héros presque contre leur gré. On sort des schémas manichéens : on a les faits, mais aussi les conséquences sur les générations futures et on est loin de la simplification à laquelle nous avons été habitués. Cela résonnait également avec ma propre histoire.


De quelle manière ?


Je suis d'origine juive et les hommes de ma famille ont disparu à cette période. Mon grand-père, un musicien juif allemand ayant fait sa vie en France, a été dénoncé par des Français et est mort au début de sa déportation. Je lui rends hommage dans le film via le personnage de l'homme au violon qui a cette bague contenant du poison pour décider du moment où il va mourir...

Ma mère m'a raconté l'anecdote pour la première fois pendant la préparation du film. Certaines choses sont remontées à la surface. Je n'étais pas là quand mon grand-père a été déporté, mais j'ai vu les conséquences sur ma mère, ses soeurs, ma grand-mère... Je retrouvais ça, dans le livre : les vivants qui doivent apprendre à vivre avec les morts.


Est-ce que Tatiana de Rosnay vous a facilement cédé les droits de son livre ?


Avant même de finir ma lecture, je souhaitais en faire un film. Et en me renseignant, j'ai réalisé que Tatiana et Serge Joncour, l'auteur d'UV, se connaissaient et s'appréciaient. Grâce à Serge, Tatiana a donc su que je voulais adapter son roman et nous avons contacté sa maison d'édition. Nous avons été les premiers à faire cette démarche, puisque j'ai eu la chance de lire l'ouvrage assez vite, quelques jours après sa sortie. Le succès aidant, Tatiana a ensuite croulé sous les propositions, américaines notamment, mais elle n'a qu'une parole et nous a maintenu sa confiance.




Pourquoi avoir choisi Kristin Scott Thomas pour incarner le rôle de cette journaliste qui, en préparant un article sur la rafle du Vel' d'Hiv', va remonter le fil de la vie de Sarah ?


Son profil dans la vie correspond de manière troublante à celui de Julia Jarmond. Cela lui faisait d'ailleurs un peu peur, car elle n'avait jamais joué un personnage aussi proche d'elle. Stéphane Marsil connaissait Kristin pour avoir produit ARSENE LUPIN, et IL Y A LONGTEMPS QUE JE T'AIME est sorti pendant qu'on bouclait notre scénario. Or, avec ce film, un vrai lien fort et durable s'est créé entre elle et le public français.

Nous lui avons donc envoyé le script, mais comme elle jouait au théâtre à Broadway, sa réponse n'a pas été immédiate. Or l'élection
présidentielle US approchait et j'ai eu envie de la vivre sur place... J'ai rencontré Kristin le jour de la victoire d'Obama, en allant la chercher à la sortie du théâtre. Là, portée par son envie de raconter cette histoire et sans doute aussi par l'euphorie étrange qui régnait dans la ville, elle m'a dit oui. Son engagement a été décisif. Pour le financement du film, bien sûr, mais surtout pour tout ce qu'elle lui a apporté. Dans ELLE S'APPELAIT SARAH, on la voit telle qu'elle est dans la vie : charismatique, moderne, dans son temps. La sobriété de son jeu et sa classe naturelle emportent le film loin de tout piège larmoyant. Comme elle le dit elle-même, elle est ici la conscience du spectateur. Investie, mais avec la pudeur indispensable.


Pourquoi avoir fait appel à Niels Arestrup dans le rôle de ce fermier qui recueille la petite Sarah, après son évasion des camps ?


Niels a ce côté bourru des gens de la terre, le physique aussi. Et sa froideur de surface est un contrepoint intéressant au courage et à la bonté du personnage. Il l'a lu en deux jours, accepté de me rencontrer autour d'un café et m'a dit oui.

Niels participe au même titre que Kristin à l'équilibre de l'ensemble. Sa retenue sur un rôle qui aurait pu verser dans la bonne conscience un peu facile est fondamentale. Je pouvais même parfois penser qu'il n'en faisait pas assez sur le plateau. C'est dans ces moments-là qu'on s'aperçoit qu'il faut savoir suivre des gens qui en savent plus que vous. Travailler avec des pointures comme Niels ou Kristin apprend l'humilité.




Comment avez-vous choisi Mélusine Mayance pour jouer Sarah, enfant ?


J'avais une conviction : les enfants s'endurcissent et grandissent plus vite en temps de guerre. Je cherchais, finalement, autant l'adulte en devenir que l'enfant... C'est en voyant RICKY que j'ai eu envie de rencontrer Mélusine. Elle a fait partie des trois petites filles que nous avons sélectionnées. Pour les faire travailler quelques séances en vue d'essais filmés. Le but était de les connaître un peu mieux, essayer d'évaluer leur maturité et voir comment elles réagiraient à la dureté du sujet.

En finale, il en restait deux : une plus instinctive et Mélusine, une professionnelle, qui s'est imposée naturellement. C'était son film ! Elle a scotché tout le monde. Elle est précise dans ses intentions, a un sens inné de la caméra, est toujours dans ses marques, sans la moindre hésitation. Comme François Ozon l'a dit : « Mélusine n'est pas une petite fille, c'est une actrice ». Pour un rôle aussi difficile à cet âge, c'est une chance de l'avoir trouvée.


Dans ce film, vous vous confrontez directement à la représentation du Vél'd'Hiv. Comment l'avez-vous abordée ?


J'ai rencontré des survivants et tous m'ont parlé de la chaleur étouffante, de sons, d'odeurs, du fourmillement permanent... Plutôt que jouer la représentation pure et simple, leurs témoignages m'ont conforté dans l'idée d'aller vers un côté immersif, de rendre ces sensations de manière presque impressionniste.


Ensuite, je vois pour la première fois MONSIEUR KLEIN. Et je m'aperçois que Losey l'a tourné au vélodrome Jacques Anquetil de Vincennes. Or celui-ci a gardé sa structure Eiffel, comme le Vél'd'Hiv. C'était donc un lieu envisageable pour nous, et ce d'autant plus lorsque les responsables des effets spéciaux m'ont expliqué qu'il était possible de fermer, à l'écran, ce vélodrome à ciel ouvert. Nous avons donc tourné là et Mac Guff a fait un boulot extraordinaire. Au final, il n'y a que quatre plans truqués dans la séquence. Pour le reste, j'ai travaillé le découpage pour donner une impression de nombre, sans avoir en permanence 500 figurants dans le cadre. Je voulais que le spectateur ait la sensation du grand espace du Vél'd'Hiv, mais sans être démonstratif, car je me méfiais de la 3D, qui permet tout, mais au détriment parfois de la sensation de réalisme. J'ai aussi banni tout plan d'ensemble du lieu car, dans ce cas, le point de vue sur la situation aurait été extérieur, soit à l'inverse de ma volonté d'immersion. Tous les plans du Vél'd'Hiv sont vus à travers le regard de Sarah.


On se sent une responsabilité par rapport à l'Histoire dans ces moments-là ?


Ça me terrorisait... Je n'y pensais pas vraiment en écrivant, car je prends les problèmes les uns après les autres. Mais c'est remonté violemment à la surface quand j'ai lu La petite fille du Vél'd'Hiv, d'Annette Müller, une rescapée à peine plus jeune que Sarah à l'époque des faits. C'est vraiment à ce moment-là que j'ai pris conscience de ce que j'allais avoir à immortaliser. Mon inquiétude a encore grandi quand j'ai revu LA LISTE DE SCHINDLER. Je me suis alors demandé pourquoi je m'attaquais à tout ça à 35 ans !


Y a-t-il une scène que vous redoutiez plus qu'une autre de tourner ?


Celle de la séparation des enfants et de leurs mères. Et ce encore plus, quand je me suis retrouvé à la tourner avec Annette Müller à mes côtés...


C'est vous qui aviez souhaité sa présence ?


Non, c'est elle. Elle est venue avec son frère, Michel, qui était déjà là avec elle en 1942. Et comment avez-vous alors vécu le tournage de cette scène impressionnante ? J'étais dans ma bulle, je ne voulais pas être influencé par l'émotion du plateau pour ne pas devenir complaisant.


J'ai commencé par mettre la caméra à distance, en retrait pour voir comment les figurants se déplaceraient. Or ils ont été exceptionnels. Ce qu'ils ont donné n'a pas de prix. Certains se sont même évanouis... Je me suis peu à peu rapproché du coeur de l'action. Pendant une demi-journée, je ne suis pas parvenu à capter l'essence de ce que je voyais - la sauvagerie insupportable - et mon inquiétude grandissait. J'ai alors demandé au cadreur de se mettre au milieu des gens au 14mm, quitte à ce qu'ils le cognent, le bousculent. Il s'est fait mal, mais en cinq prises, il a obtenu le chaos qu'on peut découvrir à l'écran.


Avec ELLE S'APPELAIT SARAH, vous êtes le premier à avoir filmé dans le Mémorial de la Shoah.


Oui, ce Mémorial n'avait jamais été filmé dans le cadre d'une fiction. Et la scène où le personnage de Kristin s'y rend est ‘‘casse-gueule'', car on peut vite basculer vers la politique. L'homme qu'elle rencontre là-bas lui résume ainsi sa mission : « échapper aux chiffres et aux statistiques pour redonner un visage et une réalité à chacun de ces destins. » Ces mots définissent mon but profond avec le film. Jusque-là, les films sur l'Holocauste sont restés - de façon certes indispensable - sur l'Histoire avec un H majuscule. Moi, je ne me sentais pas à l'aise là-dedans. Ça a été fait de nombreuses fois et à mes yeux, LA LISTE DE SCHINDLER est indépassable. Je me suis alors demandé quelle petite pierre je pourrais apporter à cet édifice. Et la chose qui m'est apparue était d'essayer de faire ressentir aux gens cette tragédie, sortir des grands discours pour lui redonner un aspect concret et palpable, à hauteur d'homme, faire que les spectateurs se sentent au contact des événements, indépendamment de leurs opinions ou leur origine. Le personnage de Kristin est Américain et non juif. L'histoire de Sarah et de la Shoah n'est donc pas son histoire, mais elle va être touchée indirectement. Cela pourrait arriver à n'importe qui.




Comment se situer alors par rapport à ces contingences ?


ELLE S'APPELAIT SARAH est une fiction, mais le livre que j'adapte est extrêmement bien documenté et respecte au plus près la réalité des faits. En suivant ces différents destins, j'espère avoir fait un film dans lequel tout le monde peut se sentir concerné. Un film qui nous fait visiter l'histoire d'un point de vue accessible et identificateur, mais pas infantilisant ni moralisateur.

Par Thérence Normann

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