A l'occasion de l'examen au Sénat du projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public, Robert Badinter, sénateur socialiste des Hauts-de-Seine, a expliqué pourquoi il allait voter ce projet de loi. Extrait de son intervention le 14 septembre 2010.

Objet du texte
Le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public prévoit que nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. Il prévoit ensuite que la méconnaissance de cette interdiction donne lieu à une amende et ou un stage de citoyenneté. Le projet de loi établit enfin que le fait, par menace, violence ou contrainte, abus de pouvoir ou abus d'autorité, d'imposer à une personne, en raison de son sexe, de dissimuler son visage est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende.
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Extrait de l'intervention de Robert Badinter
(...) J'en viens à mon propos essentiel : pourquoi vais-je voter ce projet de loi ?
N'étant pas naïf, je sais très bien quelles étaient les motivations politiciennes à l'origine de ce besoin soudain de légiférer dans ce domaine. Je laisse toutefois cela de côté... Certains se rendent dans les pays du Golfe et y constatent les progrès accomplis en matière de condition des femmes. D'autres, comme moi, s'intéressent à la vie des instances des Nations unies, en particulier du Conseil des droits de l'homme à Genève.
J'ai eu l'occasion de le dire aussi bien à la commission des affaires européennes qu'à la commission des affaires étrangères, nous ne devons pas nous aveugler : nous sommes en présence de deux visions des droits de l'homme et nous vivons l'un des affrontements idéologiques les plus durs que nous ayons connus depuis les années de la guerre froide. Ce conflit n'est pas, en effet, sans rappeler le temps où les communistes considéraient que s'opposaient deux visions des droits de l'homme, l'une bourgeoise, l'autre socialiste. Aujourd'hui, toutefois, il s'agit d'autre chose.
Au sein de ces instances, nous avons constamment face à face, d'un côté, tous les États démocratiques, qui soutiennent le principe de l'universalité des droits de l'homme, et, de l'autre, les États qui répondent que les droits de l'homme sont un cadeau fait par Dieu à l'homme pour le rendre plus heureux sur cette terre, mais qu'ils doivent être interprétés à la lumière de la charia.
Je pourrais citer un nombre important de textes qui reprennent cette position. Il n'est qu'à lire la dernière résolution proposée et votée sur l'initiative de la République islamique d'Iran lors de la 35e session du conseil des ministres des affaires étrangères de l'Organisation de la conférence islamique, qui réaffirme cette doctrine. Nous sommes bien là en présence d'un conflit majeur, en particulier pour les laïcs que nous sommes.
Lorsqu'interviennent des questions essentielles, telles que la peine de mort ou la résolution adoptée par le même conseil des ministres des affaires étrangères de l'Organisation de la conférence islamique en 2004, à la suite d'une protestation de l'Union européenne, sur la lapidation des femmes, cela prend tout son sens. La réponse fut : cela ne vous regarde pas, l'Union européenne n'a pas, au nom de sa conception des droits de l'homme, à nous donner de leçons sur ce que doit être la loi islamique.
Or il est des principes avec lesquels nous ne pouvons transiger, notamment celui qui nous occupe aujourd'hui, à savoir le principe fondamental, presque primordial, de l'égalité entre hommes et femmes. Nous ne cessons d'œ,uvrer pour le faire entrer plus avant dans nos sociétés.
Or, ce principe est défié. Et ceux qui le défient le font, croyez-moi, en connaissance de cause, pour tester nos facultés de résistance.
On ne peut pas transiger avec ce principe, s'accommoder d'un signe, d'un signal, d'une tenue. Car le voile est porté où, et par qui ? Ce sont les talibans qui contraignent les femmes à porter la burqa. Dès que les talibans prennent ou reprennent le pouvoir, la burqa devient obligatoire et, parallèlement, les filles sont retirées des écoles. C'est à ce moment-là que le port de la burqa prend toute sa signification. Au-delà même du port du voile intégral dans la rue, il faut voir le symbole qui est transmis, exprimé, inscrit dans cette tenue. Nous devons donc réagir. Il s'agit, je le répète, d'un principe avec lequel nous ne pouvons pas transiger, que nous ne pouvons pas abandonner.
Je rappelle simplement, mais c'est essentiel, que le droit à la liberté d'opinion figure dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. À l'époque, on avait précisé, ce qui était singulier, « même religieuse » ! Alors, la liberté d'opinion religieuse ? Oui ! La liberté de pratiquer sa religion ? Oui ! La laïcité les garantit à chacun.
Mes chers collègues, en interdisant le port du voile intégral dans l'espace public, vous n'empêchez personne de pratiquer sa religion. Ce n'est pas une dragonnade ou une inquisition ! Nous favorisons au contraire, comme je le souhaite, par la construction de mosquées et par l'expression constante de notre sympathie, de notre amitié, la garantie à tous ceux qui le veulent d'exercer leur croyance et leur foi.
En interdisant le port du voile dans l'espace public, vous n'empêchez pas celles qui le veulent de pratiquer leur religion, mais vous ne tolérez pas que les éléments les plus intégristes et les plus fanatiques affichent et proclament leur vision, que nous ne pouvons pas accepter, d'une société où les femmes disparaissent de l'espace public et ne sont plus que des fantômes.
Cela, non ! Et c'est la raison pour laquelle je voterai ce projet de loi. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
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Biographie de Robert Badinter
Robert Badinter
Né à Paris, le 30 mars 1928
Marié à Elisabeth Badinter,
Agrégée de philosophie, écrivain.
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Etudes
Après une licence ès lettres (Sorbonne, 1947) et une licence en droit (Faculté de droit, Paris 1948), Robert Badinter s'est vu attribuer une bourse du gouvernement français pour étudier aux Etats Unis. Il a obtenu son diplôme de « Master of Arts » à l'Université de Columbia, en 1949.
De retour en France, il a terminé son doctorat en droit en 1954.
En 1965, il est reçu au concours de l'agrégation de droit, la plus haute qualification universitaire en France. Il est nommé Professeur des Facultés de Droit en 1966.
Carrière professionnelle
En 1951, Robert Badinter rejoint l'ordre des Avocats à la cour d'Appel de Paris.
Il exercera la profession d'avocat, jusqu'en 1981. Il a plaidé comme avocat de la défense, de nombreuses affaires retentissantes où l'accusé encourait la peine de mort.
Sur le plan universitaire, Robert Badinter fut successivement Professeur de droit à l'Université de Dijon, Besançon et d'Amiens, avant d'être nommé, en 1974, à l'Université de Paris-I Panthéon-Sorbonne. Il est demeuré membre actif de cette université jusqu'en 1994, lorsqu'il a accédé au statut de « professeur émérite ».
Vie politique
En juin 1981, après l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République, Robert Badinter a été nommé Ministre de la Justice - Garde des Sceaux, fonction qu'il occupa jusqu'en février 1986. Durant cette période, Robert Badinter a conduit une politique active de promotion des libertés publiques en France. Ainsi, il a présenté et défendu devant le Parlement, les textes de lois portant abolition de la peine de mort (1981), suppression de la Cour de Sûreté de l'Etat (1981) et des tribunaux militaires (1982), ainsi que des lois accordant de nouveaux droits aux victimes. Il a également présidé la commission chargée de rédiger le nouveau Code pénal, adopté en 1992, en remplacement du Code napoléonien. Il a pris de nombreuses mesures pour humaniser les prisons.
En mars 1986, Robert Badinter fut nommé Président du Conseil Constitutionnel, pour 9 ans. Cette institution prestigieuse a principalement pour fonction le contrôle de la constitutionnalité des lois.
En 1991, le Conseil des ministres de la Communauté européenne a nommé Robert Badinter membre de la Commission d'arbitrage de la Conférence pour la paix en ex-Yougoslavie composée de cinq Présidents de Cour Constitutionnelle ou Suprême. Il a été élu Président de cette commission. La Commission d'arbitrage a rendu 11 avis sur les principaux problèmes juridiques nés de la dissolution de la fédération yougoslave. Parallèlement il a été l'un des inspirateurs de la création du Tribunal International pour l'ex-Yougoslavie. Il a aussi activement contribué à la création de la Cour Pénale Internationale de la Haye.
En 1992, Robert Badinter a été le principal inspirateur et promoteur de la Convention de Stockholm créant la Cour de Conciliation et d'Arbitrage de l'O.S.C.E. qui siège à Genève. Il en est le Président depuis 1995.
A partir de 1989, Robert Badinter a été consulté au sujet des problèmes constitutionnels émergeant par les gouvernements des nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale, notamment dans l'ex-URSS, la Russie, la République Tchèque, la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie.
En octobre 1995, Robert Badinter a été élu Sénateur des Hauts-de-Seine pour un mandat de neuf ans. Il a été réélu en 2004 membre du groupe socialiste de la Commission des Lois et de la Délégation des affaires européennes au Sénat.
En cette qualité, en 2002 Robert Badinter a été appelé à participer aux travaux de la Convention de Bruxelles pour l'élaboration du projet de constitution européenne
En novembre 2003, Robert Badinter a été désigné par le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Anan, pour siéger dans le Comité de seize personnalités internationales chargé de proposer une réforme de l'ONU dont le rapport a été publié en 2005 sous le titre 'Un monde plus sûr notre affaire à tous'.
Source : www.badinter.com
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