Christian Lacroix, Le Livre de Poche : Interview

Le Livre de Poche a donné carte blanche à Christian Lacroix pour illustrer
neuf romans de son catalogue. Des ouvrages autour d'héroïnes qui l'ont particulièrement marqué. Quelques questions à Christian Lacroix à propos de ce projet « couture ».




- Qu'est-ce qui vous a intéressé dans ce projet ?

Je le dis souvent, parce que c'est la vérité : je n'entreprends aucun projet qui ne me « parle » intimement. J'ai besoin de sentir une sorte de familiarité, de cohérence, de légitimité. Comme si je l'avais toujours attendu. Et ce petit signe, je l'ai ressenti dès qu'Olivier Etcheverry

*ndlr : Olivier Etcheverry, scénographe des Rencontres d'Arles
a évoqué, pendant les Rencontres de la photo à Arles en 2008, une éventuelle collaboration : il ne pouvait pas savoir qu'à l'école primaire, j'avais décrété que mon métier serait « illustrateur de couvertures de livres ». Je me souviens que c'était en 1959, j'étais en CE2, et on m'avait demandé d'imaginer une couverture pour Barbe-Bleue en cours de dessin. Si ça, ce n'est pas un clin d'oeil du destin ! Voilà pourquoi cinquante ans après, j'ai éprouvé tant d'enthousiasme à l'idée de ce projet : la promesse de l'époque allait être tenue !

- Qu'évoque pour vous Le Livre de Poche ?

Le Livre de Poche, c'est d'abord, pour moi, deux livres, La Nausée et La Chatte, posés sur une étagère, au milieu des années cinquante, chez mes parents, parmi d'autres volumes d'« époque », comme Bonjour tristesse. J'ai appris depuis que La Chatte est l'un des premiers titres publiés par Le Livre de Poche, avec en couverture cette image peinte d'une chatte angora grise sur fond vert, bizarrement coincée dans l'angle droit. Et pour Sartre, un jeune homme au teint jaunâtre et aux cheveux colorés se fondant avec l'arbre derrière lui. J'avais quatre ou cinq ans, je savais déjà lire, mais on m'enlevait des mains ces bouquins dont la couverture, si attractive pour moi, tranchait tellement au milieu des autres classiques. Puis, vers dix ans, est arrivé le choc inévitable du Grand Meaulnes avec en couverture ce château aquarellé dans son paysage d'hiver. Tout cela dit bien ce qui a compté dans ma première rencontre avec les auteurs édités « en poche » : le dessin, dont la passion précoce était pour moi loin de s'éteindre. Chaque jour, en sortant du lycée, je passais par la grande librairie qui s'était installée dans la chapelle des Trinitaires d'Arles. J'y consultais les grands panneaux en carton glacé portant au recto la liste des livres par ordre alphabétique d'auteurs et au verso les titres. La responsable du rayon était une grande dame maigre en jeans et gros chandail, cheveux gris ébouriffés, lunettes d'écaille et éternelle « clope » au bec. Mais je dois avouer que j'en ai acheté beaucoup pour leur seule « mine », comme j'aurais acheté un tableau, sans me soucier d'en lire le texte. Il y avait aussi le jaspage, jaune passé, rouge rosé, vert-de-gris, sur les tranches, qui pâlissait au soleil et dont je préférais dans ma bibliothèque le drôle de spectre fané, comme des rayures, plutôt que le classique agencement par tranches. Et surtout l'odeur du papier et de l'encre vieillis, le parfum de la littérature, intime et grisant, capiteux comme la fragrance d'une dame en noir, les fumets d'un repas bien arrosé : cela me donnait envie d'être seul et de dévorer ces pages en paix.

- Comment avez-vous travaillé sur ce projet ?

J'ai commencé par relire avec gourmandise cette fameuse liste, plus qu'enrichie en quarante ans, pour en extraire les pépites qui scintillaient le plus pour moi. Elle était longue, pas toujours appropriée au projet d'une « bibliothèque idéale » où n'avaient pas leur place les « trop » grands classiques. Nous avons choisi de suivre comme fil conducteur les personnages féminins qui m'ont particulièrement touché. Ainsi s'est imposée l'idée de couvertures composant une sorte de « défilé », de « collection » —, mot qui s'applique aussi bien à l'édition qu'à la mode. Il s'agissait ensuite de rendre homogène ce choix de neuf titres, sans pour autant les confondre dans le même graphisme. Cette première étape a été pour moi passionnante : jouer avec ces couvertures comme avec un puzzle ? Créer un paysage panoramique allant d'une héroïne à l'autre ? Retrouver le souvenir des couvertures des années 50/60 qui ont tant influencé ma façon de dessiner ? Les symboliser par un collage/portrait chinois ? La première idée étant souvent la bonne, nous avons opté pour des silhouettes aux modes précises et parlantes, aux visages de chromos ou de photos anciennes, sur fond de paysages nuageux, et se prolongeant sur les rabats par des ombres chinoises ou des détails évoquant l'intrigue. Le logo du Livre de Poche a été travaillé comme un visage, qu'un accessoire distingue d'un ouvrage à l'autre. Le titre et le nom de l'auteur sont manuscrits puis marqués à l'or cuivré. Enfin, un coffret, dont les rayures rappellent les tranches colorées des Poches d'« antan », reçoit les neuf livres jaspés de rouge fuchsia.

- Pourquoi avoir choisi ces neuf titres ? Avez-vous avec l'un ou l'autre d'entre eux un souvenir particulier ?

Comme je l'ai dit plus haut, ce sont les héroïnes qui m'ont particulièrement marqué que nous avons sélectionnées. Ç'aurait pu être des héros, des écrivains, ou encore une écriture particulière... À l'évidence, mon nom impliquait des personnages chatoyants comme Carmen, fantasmagoriques comme Alice, ou emblématiques comme la princesse de Clèves, tous nés de l'imagination d'auteurs incontestables. Et permettant de concevoir une galerie de costumes qui signât logiquement ce projet « couture ». Je me rends compte aussi, même si c'est anecdotique, qu'à part ceux de Proust ou de Vita Sackville-West, tous les autres titres ont été portés à l'écran, avec plus ou moins de bonheur mais toujours de façon « spectaculaire ». Sans doute, à nouveau, un retour inconscient à mon enfance, puisque, après le métier d'illustrateur, c'est celui de costumier de théâtre ou de cinéma que je me voyais adopter. Jeanne Le Perthuis des Vauds, Emma Woodhouse ou Henriette sont indéniablement des héroïnes cinématographiques. On peut donc voir aussi dans ce coffret un théâtre miniature, une petite salle de spectacle, qui rejoint la passion qui est la mienne désormais, bien au-delà de la mode et du spectacle : théâtraliser un quotidien le plus souvent morne, que ce soit par le biais d'un hôtel, d'un train, d'un cinéma, d'un musée, d'un livre, à partager avec le plus grand nombre.

(Source: Le Livre de poche)




- Les livres de Christian Lacroix , Coffret 9 volumes contenant : A l'ombre des jeunes filles en fleur, Alice au Pays des merveilles, Carmen, Emma, La princesse de Clèves, Lettre d'une inconnue, Tendre est la nuit, Toute passion abolie, Une vie
- Collectif, Christian Lacroix
- Roman (coffret). 9 volumes.
- Editeur : Le Livre de Poche
- Paru en 11/2010
- 56,95 € - (54,11 € sur fnac.fr)

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Par Nicole Salez

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