Deux enfants par femme dans la France de 2010 : la fécondité serait-elle
insensible à la crise économique ? C'est ce qu'analyse la revue Population et Sociétés dans son numéro de mars. Voici quelques extraits de cette étude signée par Gilles Pison.
Contrairement aux attentes, le nombre de naissances a continué à
augmenter en France en 2010 malgré la crise économique. La hausse du
chômage, au lieu de faire baisser la fécondité, l'aurait-elle au
contraire augmentée ? Les femmes sans emploi profiteraient-elles de leur
disponibilité pour faire des enfants ? Afin d'y voir plus clair, Gilles
Pison analyse les relations entre conjoncture économique et fécondité en
France et dans les autres pays développés, notamment en période de
récession.

Conjoncture économique et fécondité : des liens assez lâches en France
Le nombre de naissances en France a varié sensiblement
au fil des ans depuis 1950, entre un peu moins de 900 000
et un peu plus de 700 000 , les fluctuations sont en partie
corrélées à celles du produit intérieur brut (PIB), mais de
façon assez lâche.
Concentrons-nous sur les épisodes
de ralentissement économique les plus significatifs.
À la suite du fort ralentissement de la progression
du PIB en 1952 et 1953, les naissances baissent effectivement
avec un décalage d'un an cohérent avec le temps
de conception et de gestation. En 1958 et 1959, la croissance
du PIB est à nouveau brusquement ralentie mais,
cette fois, les naissances, qui étaient à la hausse, continuent
sur leur lancée aux fluctuations annuelles près,
avec un léger creux en 1960 et un léger pic en 1961.
La hausse brutale du prix du pétrole fait chuter en 1975 le
PIB et les naissances, déjà en baisse rapide depuis
quelques années (c'est la fin du baby-boom), et qui atteignent
un minimum l'année suivante, en 1976.
Le PIB recule une nouvelle fois en 1993, et les naissances suivent
le mouvement en 1993 et 1994. Mais alors que le PIB
stagne en 2008 et recule fortement en 2009, les naissances
restent stables, aux petites fluctuations annuelles près.
En résumé, si les ralentissements économiques des
soixante dernières années en France ont été généralement
suivis d'une diminution des naissances, des exceptions
demeurent, notamment lors de la dernière récession.
La crise ne fait que retarder les naissances
Une revue systématique des récessions classiques survenues
dans les pays développés au cours des dernières
décennies sans changement de système économique (1)
confirme qu'elles ont souvent des effets sur la démographie
mais que ces effets sont variables d'une récession à
l'autre et d'un pays à l'autre. Quelques régularités
apparaissent cependant :
1 —, une récession n'a guère d'effets sur le nombre final
d'enfants des générations , elle modifie seulement le calendrier
des naissances. Une partie des couples reportent
leur projet de fécondité en attendant des jours meilleurs(...) la crise ne
réduit pas les naissances, elle les retarde
2 —, le retard concerne surtout l'arrivée du premier enfant
et moins les naissances suivantes (...)
3 —, le report de la première naissance est lui-même en
partie induit par le retard du mariage ou de la vie en
couple entraîné par la crise .
Mais ce lien s'observe
surtout dans les pays où il faut encore être marié pour
avoir des enfants, comme en Europe du Sud (Italie, Espagne,
Grèce) ou en Asie (Japon, Corée du Sud). La
France n'est pas dans ce cas.
4 —, le choix de retarder ou non une naissance dépend de
la situation du couple, notamment s'il a lui-même ou
non été touché par la crise en ayant par exemple perdu
un emploi (celui de l'homme ou de la femme)(...) Mais la
situation économique d'ensemble a également une influence
même lorsque le couple n'a pas été directement
affecté par la crise (...)
5 —, les variations du taux de chômage ou des indicateurs
reflétant la confiance dans l'avenir, comme l'« indicateur
de confiance des ménages » en France, semblent être davantage
associées aux naissances et à la fécondité que les
variations du PIB.
6 —, dans un couple, le chômage de l'homme a en général
plus d'influence sur la fécondité que celui de la femme.
7 —, si l'influence du chômage féminin sur la fécondité
semble moins nette que celle du chômage masculin, c'est
aussi qu'elle varie selon le niveau d'instruction et la position
sociale. Chez les femmes les plus instruites, diplômées
de l'enseignement supérieur, le chômage et la
baisse de confiance dans l'avenir tendent à retarder la
première naissance, tandis que c'est l'inverse pour les
moins instruites : le chômage semble accélérer la naissance
du premier enfant.
8 —, la relation entre chômage et fécondité varie aussi selon
l'âge. Les femmes jeunes, de moins de 30 ans, sont
en général plus sensibles à la conjoncture économique
ou à leur propre situation.
9 —, ce qui est vrai dans un pays ne l'est pas forcément
dans un autre. Une récession économique entraîne le
plus souvent un recul de la fécondité et des naissances,
mais elle peut avoir l'effet inverse. Ainsi, la Finlande a connu au début des années 1990 une grave crise économique
qui s'est traduite n(...) par une
hausse de la fécondité.
10 —, enfin, le niveau de fécondité est moins sensible aux
crises écononomiques dans les pays ayant développé de
longue date une politique familiale et un système de sécurité
sociale.
INED
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