Durée du Travail - Rémunération Forfaitaire

Durée du travail et rémunération forfaitaire. Faudra-t-il bientôt déclarer forfait ? Cette question du droit du travail ne doit elle pas évoluer ? Me Jacques Brouillet, avocat, analyse la complexité et les contradictions de ces deux composantes majeures du contrat de travail.

Durée du travail et rémunération forfaitaire : faudra-t-il bientôt déclarer forfait ?


► Lorsque j'ai rédigé, le 25/05/1997, pour la Gazette du Palais, une chronique sous le titre provocateur de « Forfait ou Forfaiture ? », j'évoquais le renforcement des mesures de contrôle des modes de rémunération forfaitaire, préconisé par la circulaire (96.30) d'application de la Loi Robien du 11/06/1996.

. Et j'invitai mes lecteurs à apporter une attention particulière à la rédaction d'une convention expresse de forfait en révisant, au besoin, la rédaction du contrat de travail proprement dit.

. Depuis lors, je n'ai cessé de préconiser une revalorisation des contrats de travail et la rédaction d'avenants spécifiques, notamment pour ce type de clauses relatives à la durée et/ou la rémunération forfaitaire.

► Mais cette recommandation n'a pas toujours été suivie... alors même qu'avec les lois Aubry successives concernant la réduction du temps de travail, chacun s'est ingénié à concevoir diverses formes de forfait, dans l'espoir de limiter (sinon même éviter) un contrôle précis et quotidien de la durée du travail.

₋ C'est ainsi que ce sont développées les distinctions parfois ubuesques entre les « cadres intégrés », les « cadres autonomes », les « cadres dirigeants » permettant, selon les cas (en principe définis par un accord collectif) de mettre en oeuvre un forfait annuel en heures, ou un forfait annuel en jours, voire « sans référence horaire » pour les cadres dirigeants.

₋ Etant rappelé que la loi sur la mensualisation du 19/01/1978 avait déjà lancé la pratique du forfait mensuel en heures pour de nombreux salariés (cadres ou non cadres).

► les abus des uns entraînant généralement les excès des autres... il ne faut pas s'étonner de voir se multiplier les contrôles par l'administration du travail et les condamnations par les tribunaux.

C'est ainsi que :

1 - S'agissant des Cadres dirigeants et le forfait sans référence horaire :

▹ ils sont, certes, exclus explicitement de la réglementation sur la durée du travail depuis notamment une décision de la Cour de Cassation du 15/12/1971 et trois circulaires DR n° 93/9 —, 94/4 et 96/39.

▹ Mais cette « qualification » permettant de les rémunérer forfaitairement sans référence horaire reste sous le contrôle du juge qui ne saurait se considérer lié par une classification collective (CCN) et peut donc vérifier précisément les conditions réelles d'emploi de la personne concernée (Cf Cass.Soc 14/12/2006 n° 04-43694 et Cass.Soc 13/01/2009 n° 06-46.208).

▹ A cet égard, il convient de relever un arrêt récent (6/04/2011) concernant l'article 1.09 (9) de la CCN du Commerce et de la réparation automobile du 15/01/2981.

₋ La cour a, en effet, estimé que cet article prévoyant que les modalités justifiant l'application d'un forfait sans référence horaire (pour un cadre dirigeant) doivent faire l'objet de précisions dans le contrat de travail ou un avenant, cela signifie qu'il convient de justifier de la rédaction d'un écrit spécifique (Cass.Soc 6/04/2011 n° 07-42.935).

₋ Certes, cette décision s'appuie sur une disposition explicite de cette convention collective... mais tout laisse à penser qu'elle pourrait être invoquée dans bien d'autres branches d'activité !

₋ De telle sorte qu'il paraît prudent de rédiger, par avenant, une convention expresse de forfait sans référence horaire pour la plupart des cadres dirigeants qu'on entend exclure de la réglementation sur la durée du travail.

2 - S'agissant des forfaits jours créés par la loi Aubry de 2000 pour les « Cadre autonomes », et depuis 2005 aux non-cadres autonomes, la réglementation prévoit, outre un accord d'entreprise, l'accord explicite de chaque salarié concerné.

₋ Il convient, de surcroît, de justifier d'un entretien annuel entre l'employeur et le salarié, pour examiner la charge réelle de travail et l'articulation entre vie professionnelle/vie privée... !

▹ Chacun sait que des organisations syndicales (CGT et CGC) considèrent que ce dispositif viole la Charte Européenne des Droits Sociaux, notamment du fait qu'il permet d'échapper au respect des durées légales maximales de travail (10h par jour/48 h par semaine ou 44h en moyenne sur 12 semaines).

₋ De telle sorte que cela rend possible un travail maximal de 78h/semaine puisque seules s'imposent les durées minimales de repos (11h/j et 35h consécutives par semaine).

> Il est donc assez probable que la Cour de Cassation ne pourra ignorer plus longtemps ce débat et la position du CEDS.

₋ Or, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation va examiner le 8 juin le cas d'un cadre commercial de la société IMV Technologie.

₋ Elle devrait rendre sa décision vers la mi-juillet et le Conseiller à la Chambre Sociale, Monsieur Hervé Gosselin a déjà fait savoir qu'il va falloir trancher... ! (Le Monde du 11/05).

Nous saurons alors si les entreprises pourront encore mettre en oeuvre des conventions de forfait/jours... ou dans quelles nouvelles conditions.

Jacques BROUILLET
-Avocat au Barreau de Paris
-Cabinet ACD
-membre Avosial
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