”Francesca Schiavone, résolument à part”

Alors que l'Italienne Francesca Schiavone, tenante du titre, et la Chinoise Na Li s'affrontent samedi 4 juin 2011 après-midi en finale dames du tournoi de Rolland Garros 2011, voici 'Francesca Schiavone, résolument à part', un article de Myrtille Rambion publié avant le match.



Il y a la longue pause avant de commencer la moindre phrase. Les mots choisis avec minutie. Les grands yeux noisette plongés au plus profond de ceux de son interlocuteur, comme s'ils sondaient son âme. La voix , basse et douce. Et ce qu'elle exprime. Avec Francesca Schiavone, il y a. Quelque chose, assurément. 'On montre dans son tennis qui on est, affirme la tenante du titre. Or ma façon de jouer est différente. Alors, oui, je suis différente à l'intérieur.' C'est précisément ce qui a su toucher et séduire le public des Internationaux de France 2010 qui a assisté, un peu incrédule mais avec un sourire grandissant tour après tour aux lèvres, au sacre de l'Italienne. Un match gagné, puis deux, puis sept. Synonymes d'un premier titre du Grand Chelem à pratiquement trente ans. Un jeu réjouissant, atypique, tout en finesse, fait de variations, de montées au filet et d'amorties, là où la plupart de ses rivales privilégient l'indifférence du gauche-droite, pourvu que ça cogne, lourd et fort.

'J'étais « dans la zone », explique le plus simplement du monde la Milanaise. J'avais trouvé l'équilibre parfait. J'ai su en même temps gérer mes émotions, la tension, la responsabilité que je pouvais ressentir et m'évader dans la tête. Mais un tel résultat ne peut pas juste procéder du miracle ou du divin. C'est impossible, sinon, vous ne gagnez qu'un match. Mais en remporter sept ! Vous ne vous imaginez pas combien c'est long et difficile... Ce n'est que si vous avez effectué une très bonne préparation que vous pouvez réussir ça.'

'Ça', c'est-à-dire une victoire en majeur. Pas n'importe lequel. Roland-Garros. Le plus exigeant des quatre en raison de la surface. Celui dont une adolescente de la Plaine du Pô s'est autorisé à rêver alors qu'elle n'avait que seize ans. 'Ma victoire l'an passé, c'est le résumé de toute ma vie, énonce-t-elle. À l'instant où j'ai gagné, je me suis souvenu de moi petite, de tout le travail que j'ai accompli, de toutes les heures d'entraînement, de toutes les personnes qui ont cru en moi, de tout ce que j'ai fait pour en arriver là. Des sacrifices de ma famille.'

Une aventure intérieure débutée plus de vingt ans plus tôt, dans un hameau de la province de Brescia, en Lombardie, nommé Bornato. Là où Francesco et Luiscita, ses parents, vivent toujours. Des racines si puissantes qu'elles expliquent la Francesca d'aujourd'hui. 'J'ai grandi dans un immeuble gigantesque, se rappelle-t-elle dans un sourire. C'était très étrange comme situation. Il y avait quelque chose comme cent ou deux cents familles qui vivaient là-dedans.' Et encore plus d'enfants, forcément. 'Il y avait aussi des escaliers, poursuit la championne. Beaucoup. Et beaucoup de murs également. Alors, avec mes copains et mes copines, on a commencé à se lancer des défis raquette en main.'

Mais c'est surtout sur la colline d'où l'on domine le village, là où est sis ce 'Castello' roman qui déplace les hordes de touristes aux beaux jours, que les bonnes fées du tennis se sont penchées sur son cas. Par intermittence tout d'abord, puis beaucoup plus sérieusement. 'Là, dit la meilleure joueuse italienne de tous les temps, dans cette maison sur la colline, il y avait deux courts de tennis. C'est là que j'ai commencé à jouer. J'avais sept ou huit ans. Et à dix ans, j'ai intégré un club à Milan.' Il lui faudra vite trancher entre le tennis et son autre passion, la gymnastique. Un entraîneur le fera pour elle. 'J'avais une compétition en groupe, se souvient-elle, et alors que je devais être positionnée devant, la veille, ils ont décidé de me faire passer derrière ! Cette décision a changé ma vie. Je travaillais pour être devant, je voulais être devant ! J'ai compris que ce sport n'était pas fait pour moi.'

Le tennis, en revanche, si. Ce sport la passionne tellement, qu'aujourd'hui encore elle a gardé cette habitude d'adolescente de collecter images et écrits en rapport avec ses idoles dans un journal intime. 'J'aime écrire, dit l'Italienne. Alors j'ai une sorte de livre, ce n'est plus vraiment un journal aujourd'hui. Je découpe des photos ou des interviews, pour lire ce que d'autres disent et pouvoir m'en souvenir ensuite. Je vais vous donner un exemple : Rafa. Que ce soit quand il est à son meilleur ou quand il va moins bien, j'aime voir ce qu'il pense et ce qu'il dit. Pareil avec Roger.' Elle y fixe aussi ses interrogations du moment sur la politique ou la mode.

Résolument à part, la 'Schiavo'. Une différence qu'elle entend bien cultiver. Jusque dans sa capacité à redevenir une nouvelle joueuse à la Porte-d'Auteuil cette année, une page blanche sur laquelle le plus beau reste à écrire. 'Je me dois de passer à une nouvelle étape, disait-elle avant le tournoi, de vivre de nouvelles émotions.' Avant d'ajouter, dans un demi-sourire : 'De ressentir de la joie tout en me servant de cette magnifique expérience. Pourquoi n'y arriverais-je pas ?' Oui, pourquoi pas Francesca ? Elle n'y a plus qu'un seul match à gagner, tout à l'heure contre Na Li.




Par Nicole Salez

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