elles@centrepompidou : Interview de Camille Morineau

'elles@centrepompidou' se tient depuis le 27 mai 2009 au Musée du XXème siècle, Camille Morineau, commissaire de cet accrochage au féminin répond à nos questions.




- Qu'est-ce qui motive cet accrochage aujourd'hui ?

Nous avions pensé il y a environ trois ans à consacrer une exposition au féminisme en art, or beaucoup d'expositions se préparaient alors sur le sujet à l'étranger (notamment aux Etats-Unis et en Espagne). Alors le directeur du Musée et moi-même avons préféré traiter le sujet autrement : non pas le féminisme mais la place des femmes dans l'art au XXème siècle. Ce qui motive ce geste, aujourd'hui, c'est que nous avons acheté beaucoup d'artistes femmes et qu'il était donc possible de leur « confier » pour ainsi dire l'histoire de l'art contemporain. Car nous ne pensons ni que toutes les femmes sont féministes, ni que leur art est féminin : au contraire la présentation des collections a pour objectif de démontrer que l'art des femmes est aussi radical, fort, complexe que celui des hommes dans l'art contemporain. Si bien qu'elles « représentent » la création contemporaine dans toute sa diversité, seules, pour la première fois, dans nos salles. J'ajoute que nous ne montrons que les collections du musée, il n'y a pas d'emprunt. Et lorsque je dis « nous » c'est que nous avons été cinq conservateurs à travailler sur ce projet, c'est une vraie réflexion collective.

- Selon quelle approche cette présentation est-elle réalisée ?

Nous avons envie de montrer justement que le critère des femmes n'est pas opérant , qu'il n'y a rien de « féminin » dans leur pratique. Certains nous reprochent de «ghettoïser » les femmes en les rassemblant, or c'est tout le contraire que nous avons cherché à faire. Nous les rassemblons pour montrer que le visiteur, très vite, oublie que ce sont des femmes : le critère de sélection disparaît. On voit des œ,uvres, des chefs d'œ,uvres, toutes les techniques et tous les styles de l'art contemporain représentés. De la peinture et de la sculpture, mais aussi du design, de l'architecture, beaucoup de photographies, de vidéo, même du cinéma. Et on réalise qu'il ne s'agit que de femmes. Nous avons pris une approche thématique pour bien souligner cette richesse de la production des femmes. Dans le catalogue associé à cet évènement, nous avons reproduit toutes les citations des artistes elles-mêmes qui commentent leur œ,uvre dans les salles : on voit bien que leur point de vue sur le fait d'être un femme est très divers, très personnel. Impossible de généraliser... tout le contraire donc d'une ghettoïsation d'une réduction des femmes à une idée générale. Et puis le site internet consacré à « elles » va dans le même sens.

- Quels sont les critères de sélection des oeuvres ?

Nous les avons choisies exactement de la même manière que nous choisissons d'habitude les œ,uvres à cet étage pour représenter les collections, et l'art contemporain. D'abord un critère de qualité (nous ne montrons qu'un quart des artistes femmes des collections), puis une priorité aux œ,uvres acquises récemment (en effet 40% des œ,uvres visibles dans « elles » ont été acquises dans les cinq dernières années). J'ajoute que presque un tiers des œ,uvres va être renouvelé en janvier 2010, à la fois pour des raisons de conservation (les photographies et les dessins ne peuvent être montrés plus de six mois à la lumière) et pour associer plus d'artistes et d'œ,uvres à cette manifestation. Enfin nous continuons à acquérir beaucoup d'artistes femmes, nous avons reçu de nombreux dons à l'occasion de « elles ».... Que nous tenons absolument à montrer très vite.

- Aux artistes elles-mêmes, « elles@centrepompidou » associe par exemple des sociologues, dans quels buts ?

Effectivement nous avons placé dans les salles du Musée des citations de sociologues, d'historiens d'art, philosophes, écrivains... afin d'éclairer la question de la femme et de ses rapports à la création, sa place dans l'histoire. Et d'ouvrir aussi à la question du « genre » : aux Etats-Unis notamment les « Gender Studies » sont devenues une discipline, qui interroge aussi bien en Histoire de l'art, en Histoire et en Philosophie, même en Sociologie, la manière dont le genre influence la création, le discours, la réception des œ,uvres... des livres... des discours politiques. C'est une question que l'on pose peu en France , cette discipline n'est pas enseignée à l'Université. Il nous fallait donner donc une toile de fond intellectuelle qui l'évoque. Dans le catalogue et le site internet il y a de nombreux textes, éléments visuels comme des films d'actualités, des portraits d'artistes, des réactions de spécialistes, qui permettent de se renseigner sur cette question essentielle.

- Estimez-vous que cette présentation contribue à faire avancer la parité hommes - femmes dans le milieu artistique en France ? Quels types de réactions avez-vous enregistrées jusqu'alors ?

Je ne peux que l'espérer, car je crois que la question doit être posée sans relâche. Quoique l'on puisse penser, et bien que les choses avancent, la parité n'et pas encore là... les statistiques le disent assez ! Ni en politique, ni dans le domaine économique, ni dans la vie quotidienne... Ouvrir un espace de discussion, un chantier de réflexion, ne peut qu'être positif. Or le Musée est un lieu formidable pour faire cela, surtout avec les collections —, et pas avec une exposition qui durerait peu de temps et apparaîtrait somme un évènement, donc forcément un peu politique. Ici on est au cœ,ur du Musée et de l'Histoire : les œ,uvres que l'on montre seront là pour toujours, pour écrire l'Histoire de l'art. De plus l'évènement est symbolique : il y a eu beaucoup d'expositions sur l'art et les femmes, mais jamais un Musée n'a pris le risque de faire « écrire » l'histoire par les femmes. Une encyclopédie de l'histoire des femmes a été publiée sous la direction de Michelle Perrot il ya plus de dix ans , je crois que nous allons dans le même sens. Il s'agit de produire une vision historique, de la complexité et de la richesse de cette histoire, qui n'est pas forcément spécifique.

Les réactions sont très nombreuses, et dans leur grande majorité très bonnes. Certaines féministes nous reprochent de « ghettoïser » les femmes , mais je crois qu'elles n'ont pas vu le résultat, ou pas bien lu les textes du catalogue...

- Pensez-vous que cet accrochage au féminin fera école dans d'autres musées importants ?

A vrai dire il fait déjà école, puisque le MOMA

*Museum of Modern Art - New York
avec qui nous co-produisons un colloque sur la présence des femmes dans les Musées, et qui publie un livre dans un an sur les femmes dans leur collection, a décidé tout récemment —, en voyant le résultat de « elles », d'associer à la publication de son livre une exposition des femmes de... leur collection.




Par Nicole Salez

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