Alors que la lutte contre les violences faites aux femmes est déclarée 'Grande Cause nationale 2010', la députée UMP Chantal Brunel vient de publier 'Pour en finir avec les violences faites aux femmes'. Un livre coup de poing où la vice-présidente de la commission spéciale de l'Assemblée nationale chargée d'examiner la proposition de loi relative à la lutte contre les violences faites aux femmes dresse un état des lieux accablant. Chantal Brunel répond à nos questions et préconise certaines solutions pour enrayer le phénomène.

- Qu'est-ce qui a motivé votre choix de défendre cette cause de la lutte contre les violences faites aux femmes ?
C'est un coup de gueule. Avant d'être élue députée, je connaissais surtout les problématiques « classiques »: parité, égalité des promotions et des salaires. Je fus dès 2003 confrontée aux détresses d'enfants vivant dans des familles polygames. La polygamie m'a éclatée au visage. Puis ce furent toutes les autres formes de violence. Les femmes venaient me voir dans mes permanences.
J'ai ensuite voulu creuser ces sujets et c'est toute l'horreur peu connue des violences du XXIème siècle (pornographie sous la contrainte, sadomasochisme et échangisme forcés) que j'ai enfin découverte. Je veux non seulement dénoncer mais plus encore agir. C'est pour cela que de nombreuses mesures sont proposées dans cet ouvrage. On a assez parlé, le temps est largement venu de passer aux actes.
- Au fil de vos rencontres, en tant qu'élue ou dans le cercle privé, avez-vous été témoin de telles violences et de leurs conséquences ? Pouvez-vous nous citer des exemples ?
J'ai été confrontée, dans le secret de ma permanence, à de nombreux cas de figure. Chaque histoire, chaque calvaire est différent et il n'y a aucune hiérarchie entre les cas: la souffrance est la même. J'ai été particulièrement touchée par le cas d'une femme venue me voir à ma permanence de Bussy. Son mari l'humiliait constamment. Malheureuse en couple, elle a voulu le quitter mais son mari est devenu, selon ses mots « comme fou ». Il l'a rouée de coup et poignardée sous les yeux de sa fille de 4 ans. Elle s'est enfuie avec sa fille par le jardin et a eu la chance d'être recueillie par un voisin. Son mari fut incarcéré à Fresnes et, malgré la gravité reconnue des faits, elle était obligée de garder des contacts réguliers avec lui car ils étaient toujours mariés aux yeux de la Loi. Cela devait durer tant que le divorce ne serait pas prononcé. Sa vie continuait du coup d'être un enfer. J'ai immédiatement obtenu une procédure de divorce par comparution immédiate avec le cabinet du Garde des Sceaux (à l'époque Rachida Dati). Cette femme qui a été victime de violences extrêmes est d'une dignité et d'un courage que j'admire profondément.
Son cas, comme de nombreux autres, m'ont donné et me donnent encore la volonté d'agir et de me battre pour des mesures concrètes qui accompagnent les femmes victimes et les aident à sortir d'un cercle de destruction. Ce cas particulier a révélé un impératif pour lequel je me bats aujourd'hui: l'extension de la procédure de divorce par comparution immédiate dans le cas d'une tentative d'homicide.
- La lutte contre les violences faites aux femmes est engagée depuis plusieurs années en France. Quelle est la situation aujourd'hui ?
Il y a eu beaucoup d'avancées, c'est indéniable. Il existe aujourd'hui tout un arsenal législatif complet et compétent pour aider les femmes victimes. Toutefois cet arsenal se concentre plus particulièrement sur le cas spécifique des violences conjugales: les autres formes de violence, en particulier celles coutumières comme l'excision, les mariages forcés ou la polygamie, sont assez peu traitées par la justice. Il faut aller plus loin et développer un arsenal compétent pour ces autres formes de violences. La prostitution fait aussi partie de ces violences sur lesquels nous devons impérativement agir.
En outre, le problème est toujours le même: les femmes victimes de violences ont du mal à avouer ce qu'elles vivent. La loi existe est s'avère efficace dès lors qu'elles ont franchi le pas. Mais combien le franchissent par rapport au nombre de celles qui souffrent en silence? La loi peut être aussi complète que possible, elle ne peut parvenir à endiguer ce qui relève de la psychologie proprement humaine... C'est pour cela que la loi doit s'accompagner d'un puissant arsenal de prévention. Et je dois dire, à ce propos, que des efforts notables ont été réalisés quant à la sensibilisation du grand public, et je m'en réjouis. Valérie Létard mais aussi Nadine Morano ont lancé des campagnes très fortes.
- Ces violences prennent-elles de nouvelles formes ?
Oui. Elles se déplacent, se transforment. Aujourd'hui, il existe un certain nombre de pratiques, marginales à une époque, qui deviennent en quelque sorte des pratiques à la mode et font l'objet des pires dérives. C'est le cas du sadomasochisme par exemple, qui pour plusieurs femmes, prend la forme d'un pur et simple viol. C'est également le cas d'un phénomène particulièrement pervers et dangereux: la pornographie sous la contrainte, et sur Internet... Avec l'essor de l'Internet de deuxième puis de troisième générations, on voit se développer, depuis seulement quelques années, une industrie du crime sexuel à l'écran.
Je savais qu'il existait des films pornographiques plus choquants ou violents que d'autres, mais jamais je n'aurais pu m'imaginer le degré de violence et de barbarie de ceux dont il est question dans mon livre. Des scènes de zoophilie, des tortures sexuelles filmées et mises en ligne sur des sites gratuits, auxquels on peut accéder en deux clics! Souvent, ces sites ne vous demandent même pas si vous êtes majeur! Toute une nouvelle offre a fait son apparition avec la problématique de la vengeance ou de la destruction à vie. Le porno doit faire mal. Ce n'était pas le cas auparavant, en dehors des contenus sadomasochistes dont on sait communément que l'absence de consentement est feinte.
De nos jours, n'importe quel internaute peut être la source du contenu en ligne. C'est un immense progrès, mais c'est aussi à l'origine de l'apparition d'un porno « amateur » qui est devenu la source de toutes ces horreurs. Trop de parents ignorent ce phénomène. Or ces images —, cela a été prouvé par plusieurs études —, peuvent être traumatisantes pour un public jeune. Les liens entre la consommation de films pornographiques et les comportements sexuels violents —, jusqu'au viol collectif par exemple- ont, eux aussi, été prouvés.
Rares sont ceux qui connaissent l'existence de telles dérives. Pourtant, c'est au coeur des foyers qu'elles se situent!
C'est pourquoi il faut responsabiliser les FAI
*Fournisseurs d'accès à Internet
au cours d'une sorte de Copenhague de l'Internet, qui déboucherait sur un accord mondial. Il faut investir dans la recherche technique afin de trouver des outils de maîtrise d'accès à certains contenus du Web.
- En matière de violences faites aux femmes, est-il possible de comparer la situation en France à celle d'autres pays européens ?
La comparaison est difficile dans la mesure où les chiffres sont trompeurs dès lors que l'on parle de violences domestiques. Certains pays semblent moins touchés que d'autres, mais cela peut simplement signifier que les femmes parlent moins ou portent moins plainte. Pour beaucoup d'aspects, la comparaison peut être intéressante mais sa pertinence est relative pour ce qui est des violences de genre.
- Selon les études réalisées à propos des violences faites aux femmes, sont-elles plutôt liées à leur appartenance sociale ? A leur dépendance financière ? Ou encore à d'autres facteurs moins visibles ? Y-a-t-il une typologie de la femme battue ?
Les violences ne sont pas liées à un milieu social particulier. Au contraire, elles transcendent de loin les clivages de cet ordre. Mais il faut avouer deux choses: s'il est difficile pour toute femme, quel que soit son milieu, de parler de son calvaire, on constate que cela l'est encore plus chez les milieux aisés car la pression du qu'en dira-t-on s'ajoute à la peur des représailles et à la honte présentes chez toutes les femmes victimes. Souvent, ces femmes auront peur de ne pas être crue par leur entourage, ou que le fait de porter plainte ne donne pas de suite du fait des connaissances du conjoint. Ensuite, la violence faite au femmes est très liée, non pas au milieu, mais au revenu. Si une femme est entièrement indépendante financièrement, il est plus rare —, même si cela n'est pas systématique pour autant —, qu'elle soit victime ou, du moins, qu'elle ne se sépare pas d'un conjoint violent. La violence se nourrit des dépendances d'ordres multiples (financier, affectif etc...)
- Quelles solutions proposez-vous pour enrayer le phénomène ?
En ce qui concerne la violence conjugale, je propose dans mon livre des mesures qui visent à faciliter les démarches judiciaires afin d'inciter les femmes à parler. Il s'agit de leur montrer que la justice est de leur côté. La suppression du recours à la médiation pénale permet d'assurer à la femme qu'elle ne sera pas confrontée de nouveau à l'homme qui l'a battue et traumatisée. L'extension de la procédure de comparution immédiate lui permet de savoir d'avance que son calvaire aura une fin rapide et efficace.
Mais comme je vous l'ai dit, il est impératif de mettre aujourd'hui l'accent, en outre, sur ces « violences de l'ailleurs » que l'on nomme des pratiques « coutumières » (polygamie, mariages forcés, excision). En ce qui concerne la polygamie, je défend l'idée qu'en cas de polygamie avérée, la totalité des prestations sociales soit versées à un tuteur qui s'assure que cet argent serve à la femme et aux enfants.
Autre exemple: pour ce qui est de l'excision, je propose de faire poursuivre l'examen de la vulve par la médecine scolaire au-delà de six ans. En ce qui concerne la prostitution, je suis favorable à un inversement du statut de la prostituée qui doit impérativement passer de coupable à victime aux yeux de la loi. 80% d'entre elles sont en effet prises dans les réseaux de proxénétisme mafieux. On pourrait, par ailleurs, songer à mettre à l'étude un cadre de réouverture des maisons closes pour encadrer la prostitution en vue de freiner les réseaux de la traite des femmes en Europe.
Chantal Brunel
Chantal Brunel est députée UMP de Seine-et-Marne. Après avoir passé dix ans dans les cabinets ministériels et treize années à diriger une PME, elle a été élue à l'Assemblée nationale en 2002. Membre de la Commission des Finances, elle est également aujourd'hui vice-présidente de la commission spéciale de l'Assemblée nationale qui examine la proposition de loi relative à la lutte contre les violences faites aux femmes.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Lire également :
- 'Pour en finir avec les violences faites aux femmes'.
- Lutte, violences faites aux femmes
Par
Ajouter un commentaire