Séraphine, ou la naissance de l'art moderne

Séraphine Louis dite “Séraphine de Senlis” (1864 -1934) fait partie de ces peintres que l'on a qualifié de 'naïfs' et que Wilhelm Uhde, son 'découvreur', préférait appeler “primitifs modernes”. Voici, extraite du dossier pédagogique du film Séraphine, une rapide revue de ce qui se passait sur le plan artistique du temps de son héroïne.

*Lors de la cérémonie des César qui s'est déroulée le 27 février 2009 au soir, Yolande Moreau a reçu le César de la meilleure actrice pour son rôle de Séraphine dans le film éponyme de Martin Provost.

La naissance de l'art moderne

A la fin du XIXe siècle, l'Europe est le théâtre d'un bouillonnement artistique sans précédent. La France y occupe une place de premier plan. Les débuts de “l'Art moderne” sont une période de rupture. La peinture, dont le rôle n'est plus de reproduire fidèlement la réalité (rôle désormais dévolu à la photographie), reprend sa liberté et les peintres en explorent toutes les possibilités.
Après l'impressionnisme vont naître le cubisme, le fauvisme, l'expressionnisme, le futurisme, le dadaïsme, le surréalisme, l'art naïf, l'art abstrait... Avec ces mouvements artistiques, nés d'avant-garde parfois radicales, tous les canons anciens de l'art sont bouleversés. Rien n'y résiste : c'est à la fois les techniques picturales, les modes de représentation et le choix de ce qui est représenté qui se trouvent radicalement renouvelés pour donner à voir et à ressentir une autre dimension du réel ou de l'imaginaire.

"Il ne s'agit pas de peindre la vie, mais de rendre vivante la peinture.” Pierre Bonnard, peintre rattaché au groupe des Nabis (1867-1947)

Le temps des marchands

Avec l'Art moderne, apparaît un véritable “marché de l'art” , un métier, celui de marchand , et un statut, celui de collectionneur. Ces nouveaux venus se substituent aux commanditaires et mécènes d'autrefois (autorités religieuses ou politiques, mécènes issus de la noblesse ou de la grande bourgeoisie).

Le nouveau métier de marchand, qui demande audace et suite dans les idées, compte vite de grands noms : Paul Durand-Ruel (Monet, Sisley, Renoir...), D.-H. Kanhweiler (Picasso...), Ambroise Vollard (Gauguin, Matisse, Cézanne...), Paul Guillaume (Modigliani...).

De grand mécènes et collectionneurs soutiennent les artistes, de W. Uhde (Séraphine, Rousseau, Picasso, Braque...) à Gertrude Stein, la “cubiste des Lettres” (Picasso, Matisse, Gris, Delaunay...). Et des galeries vont bientôt fleurir à Montmartre et à Montparnasse.

Quelques  définitions en “ISME”

L'Impressionnisme

C'est dans la lignée des travaux du peintre britannique W. Turner que l'impressionnisme se développe en France à la fin du XIXe siècle. Il tire son nom du tableau de Claude Monet “Impression soleil levant” (1872). Le mouvement réunit essentiellement des peintres qui souhaitent exprimer leur propre vision de la nature, en peignant “sur le motif”. L'autre caractéristique est technique : le peintre divise en effet la touche picturale en diverses nuances colorées, l'oeil du spectateur reconstituant, par effet d'optique, le mélange des couleurs. Figures du mouvement: Monet, Pissaro, Cézanne, Degas, Manet... L'impressionnisme a donné naissance à un mouvement plus radical encore, le pointillisme, où le motif est représenté à l'aide de petits points de couleurs pures juxtaposés (Seurat...). Le principe s'apparente à celui des trames utilisées en imprimerie pour reconstituer un motif coloré (quadrichromie) à partir de quatre couleurs de base (cyan, magenta, jaune, noir).

L'Expressionnisme

Qualifiant plus une sensibilité commune à de nombreux peintres qu'un véritable mouvement structuré, l'expressionnisme regroupe plusieurs “écoles”, à plusieurs époques. Il réunit, au début du XXe siècle en Allemagne et en Autriche, des peintres issus de diverses “sécessions” : Otto Dix, Georges Grosz, Emil Nolde, Oskar Kokoschka... En France, Van Gogh, Soutine... sont classés dans le genre, qui compte également le Norvégien Munch (“Le cri”), et plus récemment Francis Bacon. Les expressionnistes ont en commun une vision souvent tragique de la réalité, exprimée par des déformations du sujet, des touches picturales violentes, l'utilisation d'une gamme de couleurs pures violemment contrastées.

Le Surréalisme

Théorisé avec la publication du “Manifeste du surréalisme” d'André Breton en 1924, le surréalisme est issu d'un mouvement antérieur, le “dadaïsme”. En révolte contre la culture “officielle”, le mouvement entend libérer l'homme et lui permettre d'accéder, au moyen de l'art, à une réalité supérieure. Exprimant sans contrainte leurs rêves sur la toile ainsi que les fruits —, même les plus extravagants —, de leur imagination, les peintres surréalistes ne sont pas contraints par la technique, et la touche la plus classique (Dali) côtoie les assemblages les plus inattendus (Ernst).
Quelques surréalistes fameux : Salvador Dali, Max Ernst, René Magritte, Giorgio de Chirico, Paul Delvaux...

Le Cubisme

On date l'apparition du cubisme de la réalisation en 1907 par Picasso du tableau “Les demoiselles d'Avignon” (aujourd'hui exposé au MOMA de New-York). Mouvement qui s'inscrit en rupture
avec l'impressionnisme et l'expressionnisme, le cubisme propose une nouvelle vision de la réalité. Le motif du tableau, d'abord simplifié, est décomposé en de multiples formes géométriques qui donnent à voir simultanément différents angles de l'objet représenté. Les représentants les plus fameux du cubisme sont Picasso, Braque, Gris, Delaunay...


Séraphine de Senlis - Fleurs et fruits, vers 1920 Huile sur toile - 146 x 97 cm © Adagp, Paris 2008

Ces peintres qu'on dit “naïfs”...

“Naïf : qui représente bien la vérité...” - Première édition du Dictionnaire de l'Académie française (1694)

Face à la robotisation quasi-générale des arts, on s'est aperçu que ces innocents aux mains pleines étaient à peu près les seuls à apporter quelque chose d'autre...” - Anatole Jakovsky - Dictionnaire des peintres naïfs du monde entier - 1976.

L'art naïf n'est pas vraiment un courant pictural. Ce n'est pas un genre unifié avec ses codes, ses techniques, ses références propres. On ne peut donc le comparer à aucun des mouvements
identifiés depuis la naissance de l'Art moderne. Ce qui unit tous ceux que, dans le monde entier, on appelle aujourd'hui les “naïfs”, ce n'est pas ce qu'ils peignent ni même un style de peinture. C'est le caractère spontané et non-académique de leurs oeuvres et le fait qu'ils ne sont généralement pas des professionnels de l'art. Douaniers, postiers, femmes de ménage... ils ont pour la plupart appris la peinture par eux-mêmes et appartiennent à la grande famille des “peintres du dimanche” ! Pourtant, depuis le Douanier Rousseau —, le premier d'entre eux à avoir franchi la porte des musées —, beaucoup ont connu la gloire et de nombreuses expositions leur ont rendu hommage. Pourquoi ? Parce que dans leurs oeuvres, qui se moquent le plus souvent du réalisme, de la perspective, des critères esthétiques à la mode, ils nous présentent librement leur propre vision du monde, et que leur inventivité, leur poésie, leur sincérité savent toucher le coeur de celui qui les regarde.
Au fil du temps et des expositions, ces peintres ont également été appelés “maîtres populaires de la réalité”. Wilhelm Uhde, qui leur a consacré un livre et des expositions, aimait, lui, les qualifier de “primitifs modernes” (en référence aux “primitifs” du Moyen âge) ou encore de “peintres du Coeur sacré”. Il disait de ceux qu'il avait connus : “l'objet de leur représentation n'est pas l'apparence des choses (...) leurs oeuvres jaillissent uniquement de l'extase du coeur.”

Rousseau, le premier des naïfs

Le Douanier Rousseau (1844-1910) n'était pas douanier, mais simple employé de l'octroi (une contribution que devaient payer les marchandises qui entraient dans une ville). Peintre amateur, il fut découvert par W. Uhde, grâce à un ami commun, le peintre Robert Delaunay. Uhde fut le premier à lui consacrer une monographie (en 1911). Victime de moqueries constantes lorsqu'il exposait au Salon des indépendants, Rousseau commença à être reconnu par un petit cercle d'amateurs peu avant sa mort. La consécration allait venir au début des années trente avec l'entrée au Louvre de son tableau “La charmeuse de serpent” (aujourd'hui visible au Musée d'Orsay).

Par Nicole Salez

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