« Topoï », une exposition signée Arno Gisinger, jusqu'au 31 mars

Une relecture contemporaine de l'histoire. Du 19 janvier au 31 mars, Arno Gisinger est invité par le Centre Photographique d'Île-de-France (CPIF). Alliant photographie et historiographie, le photographe autrichien présente « Topoï », une exposition qui articule différentes séries tirées de son oeuvre, telles qu'Oradour, Invent arisiert, Cu Chi, ou encore Konstellation Benjamin, ainsi qu'une production inédite réalisée pour le lieu.

« Devant les images, nous devons convoquer des verbes pour dire ce qu'elles font, ce qu'elles nous
font, et pas seulement des adjectifs et des noms pour croire dire ce qu'elles sont. »

Cette affirmation de Georges Didi-Huberman résume parfaitement l'esprit dans lequel s'inscrit l'exposition. Un projet à la fois rétrospectif et prospectif, qui lie jeux de regards, présence et absence, passé et présent, mémoire et actualisation.

« Dies ist der Stuhl für den Paten »

Une exposition-itinérante

« Topoï » (les lieux) ou l'art de de réinvestir et de repenser les lieux d'exposition. Le projet s'incarne et se réinvente dans quatre institutions européennes : le Centre photographique d'Île-de-France (CPIF), le Museum für Photographie Braunschweig, la Landesgalerie Linz en Autriche et Photoforum PasquArt en Suisse. Chaque lieu (topos) est une occasion originale de mettre en perspective l'histoire, d'interroger la scénographie. Ici, le CPIF s'ouvre comme un lieu d'expérimentation, un laboratoire, où l'on assiste à la création d'une œ,uvre au fil d'un parcours prédéfini.

Fresques, entre immensité et continuité

« Oradour-sur-Glane »

À Oradour-sur-Glane, Gisinger interroge le sens de ruines maintenues en l'état afin qu'elles ne se désagrègent pas. Ci-dessus, des montres retrouvées sur le camp, arrêtées par la chaleur des incendies, marquant les dernières heures de ces hommes, 16 à 17 heures.

L'accrochage et l'affichage deviennent dispositif de création de séries qui dialoguent entre elles et avec le lieu. Déplacement — dans l'espace, le temps et le travail —, expérimentation et production s'inscrivent au cœ,ur du projet. La salle principale est immense, très haute de plafond. Deux grandes fresques, quelques dizaines de photos accolées à de larges parois blanches.

« Konstellation Benjamin »

La première fresque s'appelle « Konstellation Benjamin » , en référence au philosophe allemand, Walter Benjamin. On y lit une petite frise chronologique, inspirée de sa correspondance, qui retrace notamment la période d'exil du penseur, lors de la montée de l'idéologie nazie. La liaison du texte et de l'image est probante, l'image réactualise l'écrit, et vice-versa.

La fabrique de l'histoire : traces et destructions

La seconde fresque, Invent Arisiert , se compose d'une multitude de petits clichés alignés. Certains sont vides, tandis que sur d'autres des objets apparaissent. Il s'agit de photographies de biens juifs (lits de fer, chaises de bois, tapis, tableaux...) qui ont été spoliés par le régime nazi durant la seconde guerre mondiale et ont été conservés par le Mobilier national de Vienne qui a souhaité les remettre à leurs descendants. Curieuse démarche, mais porteuse de sens et saisissante, puisque l'artiste découvre que certains numéros d'inventaire ont disparu. Des espaces vides à l'image d'un double pillage et d'une mémoire doublement détruite.

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Témoins, objets, images, espaces de mise en scène mémorielle, Arno Gisinger questionne la fabrique de l'histoire et les lieux ou non-lieux de mémoire dans une démarche qu'il veut cohérente, d'un point de vue thématique comme formel.

Si son travail ne se laisse pas facilement appréhender, c'est sûrement parce qu'il demande de franchir une barrière de compréhension pour pouvoir en apprécier tous les retranchements et atteindre une nouvelle perception. A suivre, ce joli parcours qui questionne fonction et déploiement de l'archive, statut du document et parole du témoin. Alors, la création artistique, laboratoire d'histoire ?

Par Adeline Rajch

« Topoï » jusqu'au 31 mars 2013 au CPIF (Centre photographique d'Île-de-France), 107 avenue de la République - 77340 Pontault-Combault. Tél.: 01 70 05 49 80. Ouvert du mercredi au vendredi de 10h à 19h, samedi et dimanche de 14h à 18h. Visites commentées le dimanche à 15h.

Arno Gisinger, Topoï, Trans Photographic Press et Bucher Verlag, monographie bilingue français-allemand, 336 pages. Conception graphique : Helmut Völter.

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